« Alléluia ! Déploie ta puissance, Seigneur, et viens pour nous sauver. » (Psaume 79, 3)
Commentaire spirituel
Le psaume 79 (ou 80 selon l’hébreu) convient très bien à la période liturgique de l’Avent. C’est un appel pressant à l’intervention divine dans un contexte très douloureux (peut-être celui de la prise de Jérusalem en 587). Le Seigneur est presque sommé par le psalmiste qui représente le Peuple tout entier. Mais cette sommation est fondée sur la considération préalable de la grande misère d’Israël et sur l’humilité qui en résulte. Le psalmiste sait qu’un tel acte ne peut que plaire à Dieu et l’inciter à l’action. C’est même lui qui suscite cette humilité, cette prise de conscience que sans lui nous ne pouvons rien faire. La prière la plus misérable est assurée d’attirer la miséricorde. Les accents du psaume sont très poignants mais donc aussi très confiants. Ils sont notamment rythmés par ce petit refrain plein d’espérance et qui revient trois fois : « Dieu, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés. »
« Berger d’Israël, écoute, toi qui mènes Joseph comme un troupeau ; toi qui sièges sur les Chérubins, resplendis devant Ephraïm, Benjamin et Manassé, réveille ta vaillance et viens à notre secours (on reconnaît le texte de notre alléluia). Dieu, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés. Jusques à quand, Yahvé Dieu Sabaot, prendras-tu feu contre la prière de ton peuple ? Tu l’as nourri d’un pain de larmes, abreuvé de larmes à triple mesure ; tu fais de nous une question pour nos voisins et nos ennemis se moquent de nous. Dieu Sabaot, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés. Il était une vigne : tu l’arraches d’Egypte, tu chasses des nations pour la planter ; devant elle tu fais place nette, elle prend racine et remplit le pays. Les montagnes étaient couvertes de son ombre, et de ses pampres les cèdres de Dieu ; elle étendait ses sarments jusqu’à la mer et du côté du Fleuve ses rejetons. Pourquoi as-tu rompu ses clôtures, et tout passant du chemin la grappille, le sanglier des forêts la ravage et la bête des champs la dévore ? Dieu Sabaot, reviens enfin, observe des cieux et vois, visite cette vigne : protège-la, celle que ta droite a plantée. Ils l’ont brûlée par le feu comme une ordure, au reproche de ta face ils périront. Ta main soit sur l’homme de ta droite, le fils d’Adam que tu as confirmé ! Jamais plus nous n’irons loin de toi ; rends-nous la vie, qu’on invoque ton nom. Yahvé Dieu Sabaot, fais-nous revenir, fais luire ta face et nous serons sauvés.
L’Église se sert de ce psaume, de son contexte psychologique, pour l’appliquer à la situation liturgique de l’Avent, et ce choix est très heureux. Souvenons-nous que l’Avent nous fait célébrer chaque année un triple mystère, ou plus exactement les trois phases d’un unique mystère : celui de la venue du Messie parmi nous. Nous célébrons à la fois un événement passé (la venue du Christ selon la chair), un événement présent (la venue du Christ dans nos âmes) et un événement à venir (la venue du Christ dans la gloire). À ces trois phases qui nous conduisent vers la présence plénière du Messie dans l’Église, correspondent trois expressions d’un désir ardent de voir enfin le Sauveur. La liturgie de l’Avent, liturgie du désir et de l’attente, assume toutes les aspirations des temps qui ont précédé l’Incarnation, tous les désirs des âmes qui ont cherché Dieu ici bas, toute la quête de bonheur éternel qui anime les générations successives en tendance vers le ciel. Et ce désir universel se fonde lui aussi sur la considération d’une misère universelle. Toutes les époques peuvent redire les paroles de ce psaume, toutes les époques ne peuvent que se sentir plongées dans une profonde misère en comparaison de la gloire promise à ceux qui mettent en Dieu leur confiance, toutes les époques attendent un libérateur, un vrai, qui ne soit pas compromis dans les intrigues du siècle, un sauveur définitif et transcendant qui nous obtienne la joie une fois pour toutes. La prière de notre alléluia monte alors de toute l’humanité vers le ciel : « Déploie ta puissance, Seigneur, et viens pour nous sauver. » En célébrant l’Avent, nous rejoignons réellement toute cette impressionnante cohorte de prières intimes ou collectives qui ont traversé les siècles, nous l’exprimons par notre propre prière quand nous disons et chantons : « Viens, Seigneur Jésus, déploie ta puissance, Seigneur, et viens pour nous sauver. » C’est une prière de supplication intense, mais aussi de grande espérance, puisque la venue du Messie, en Jésus incarné, est déjà amorcée, déjà inaugurée. Elle a même été promise par Dieu dès le soir de la chute originelle, alors que la misère commençait tout juste à s’exprimer. Dieu a déjà répondu à notre prière, il est en train d’y répondre, il va y répondre grandement, pleinement. Nous le savons et c’est pourquoi notre prière est joie, elle est liée à l’alléluia.
Commentaire musical
La belle mélodie de cet alléluia est ce qu’on appelle une mélodie type du 4ème mode. Elle est très contemplative et ici elle se prête admirablement à l’humble et ardente prière de demande du psalmiste reprise par l’Église entière. La pièce est composée du jubilus de l’alléluia, relativement court, puis de trois phrases mélodiques assez brèves mais très expressives. C’est une composition très équilibrée qui rayonne la paix, le calme, l’ardeur du désir spirituel. Un chant qui contribue à nous assurer que notre prière est déjà exaucée. Et de fait le Seigneur est déjà venu, il nous a déjà manifesté sa puissance qui est une puissance d’amour, une puissance surprenante. La mélodie va nous orienter vers cette douceur de l’amour, en contraste avec le texte. Elle témoigne du fait accompli de l’Incarnation qui s’est réalisé de façon totalement imprévisible : Dieu a pris la forme d’un nourrisson pour nous sauver, voilà comment s’est déployée sa puissance, sa vaillance.
L’alléluia monte doucement, à partir du Fa initial et de son appui sur le Ré grave, sous-tonique du mode, par tous les degrés, jusqu’au Sib qui confère au chant un accent de grande paix intime. La dernière syllabe de l’alléluia connaît un développement mélodique d’une grande beauté avec cette triple reprise d’un motif ascendant puis descendant qui donne l’impression d’un vol d’oiseau venant se poser délicatement après avoir effectué trois courbes gracieuses dans le ciel. Cela peut évoquer ici les trois phases mentionnées plus haut de l’attente de l’humanité, les trois désirs et les trois descentes de Dieu qui correspondent à ces désirs (avènement dans la chair, dans l’âme de justes, dans la gloire). Cet alléluia devra être donné dans un mouvement assez large, avec des voix chaudes mais très douces suivant avec souplesse les moindres contours de la ligne mélodique.
La première phrase du verset contient juste quatre mots : excita, Domine, potentiam tuam. C’est la prière poignante, presque violente mais si bien tempérée par la douceur, presque la plainte, de la mélodie. On commence à l’aigu, sur le La, comme pour marquer d’emblée l’ardeur de la supplication. Mais tout se déroule dans un climat de grande paix, sans aucune inquiétude. La prière est sûre d’être exaucée. Bien prendre le temps de prononcer chacune des syllabes de ce verbe excita. La dernière syllabe bénéficie d’un élargissement sur sa déposition, puis se déploie de façon très légère et aérienne pour rejoindre le Mi, avant l’attaque de Domine. Ce mot est mis en lumière grâce à la belle et ardente montée mélodique qui part du Ré grave et remonte tous les degrés jusqu’au La très fervent. ce passage doit être donné dans un mouvement assez large. On souligne ensuite l’accent de potentiam et la phrase se termine sur le mot tuam en mode de Ré, c’est-à-dire dans la paix et la certitude.
Au début de la deuxième phrase, sur et, on reprend du mouvement. La formule mélodique qui orne le mot veni est vraiment de toute beauté. On retrouve un balancement analogue à celui de l’alléluia, avec les deux Sib si expressifs. La mélodie doucement déployée à l’intérieure de la quinte Ré-La, semble ne pas finir. C’est l’ardeur du désir qui s’exprime ici, ce long désir qui a traversé les siècles avant la venue du Christ et qui continue d’animer les cœurs en tendance vers le ciel et la béatitude promise. Ce veni est extraordinaire de douceur, de ferveur, de certitude aussi. Un parfait legato s’impose dans l’interprétation. Le mouvement de toute cette phrase est plutôt léger, mais très tranquille. L’Église assume dans sa longue prière toute l’attente de l’humanité. Et l’on pense à la Sainte Vierge, l’une d’entre nous, dont la qualité du désir a déclenché de manière irrésistible la descente de Dieu dans la nuit de ce monde. Cette deuxième phrase, constituée des ces deux seuls petits mots, et veni, mais chargés d’intensité, se termine en mode de Mi, dans la contemplation de Celui qui doit venir.
Enfin la dernière phrase commence de façon très sobre sur ut salvos, avant de retrouver sur le verbe qui décrit l’action divine le motif de l’alléluia et son vol si aimable. La pièce s’achève sur le pronom personnel nos qui évoque non seulement l’assemblée qui chante cet alléluia, mais les hommes et les femmes de tous les temps qui ont attendu avant nous, et qui attendront après nous, la réalisation plénière de la venu du Messie. C’est une prière universelle. Nous sommes tous un dans le désir et nous chantons tous ardemment : « Alléluia ! Déploie ta puissance, Seigneur, et viens pour nous sauver. »
A écouter ici.