La pause liturgie | « Alléluia Non vos relinquam » du 7ème dimanche de Pâques

Publié le 27 Mai 2020
La pause liturgie | "Alléluia Non vos relinquam" du 7ème dimanche de Pâques L'Homme Nouveau

« Alléluia ! Je ne vous laisserai pas orphelins. Je m’en vais, et je reviendrai vers vous, et votre cœur se réjouira. »
(Jean, 14, 18, 28 ; 16, 22)

Commentaire spirituel

Le texte de notre alléluia est assez typique de la façon dont les anciens pouvaient citer l’Écriture. En, effet, il n’existe pas comme tel dans l’Évangile de saint Jean qui sert de référence, mais il fait appel à trois versets pris dans les deux chapitres 14 et 16 qui relatent long discours après la Cène :

Jean, 14, 18 : « Non relinquam vos orphanos, veniam ad vos ».
Jean, 14, 28 : « Audistis quia ego dixi vobis : vado et venio ad vos. »
Jean, 16, 22 : « Iterum autem videbo vos et gaudebit cor vestrum. »

Il est difficile de savoir exactement si le compositeur a cité approximativement de mémoire ou s’il a réellement composé un texte à partir de ces trois références qui se répondent les unes les autres. Mais dans ces deux cas, le sens scripturaire est parfaitement respecté. On peut même saisir sur le vif, tant ces trois morceaux s’harmonisent bien entre eux et relient heureusement les versets scripturaires, combien il a été goûté et approfondi, longuement ruminé dans la prière et la réflexion, spirituelle et musicale. Et cela donne un texte tout simple et très riche qui convient à merveille au temps liturgique de l’Ascension.

Ces trois bouts de versets constituent trois promesses qui se déduisent l’une de l’autre. La première promesse s’appuie sur une vérité qu’elle suppose : le Christ a été pour ses apôtres, il est pour chacun et chacune d’entre nous, un véritable père, un père selon l’Esprit, un père spirituel. Or la paternité spirituelle n’est pas comme la paternité charnelle, soumise au temps. En quittant ce monde, le Christ ne quitte pas le cœur de ses disciples, il demeure dans son Église, il l’accompagne, il continue de l’aimer. Il ne nous laisse donc pas orphelins en nous ôtant sa présence physique, sensible. Pourtant, le Seigneur fait plus que nous assurer qu’il ne part pas vraiment. Il nous fait réellement une promesse, une triple promesse : le contexte historique du discours après la Cène évoque bien sûr la prochaine résurrection, c’est la promesse la plus immédiate, celle qui concernait les apôtres, mais qui nous concerne aussi dans la célébration renouvelée de l’année liturgique. Chaque année, à la résurrection, nous retrouvons le Seigneur d’une façon nouvelle. Mais ici, nous sommes à la fin du temps pascal, après la solennité de l’Ascension. Donc, cette promesse de Jésus vise aussi le dernier avènement, quand il reviendra, définitivement et souverainement, pour juger les vivants et les morts. Et puis, dans l’entre-deux, il y a la promesse du Paraclet, du Consolateur, de cet autre Père spirituel, de ce Père des pauvres qu’est l’Esprit-Saint, l’Esprit de Jésus. Nous ne sommes donc vraiment pas orphelins puisque le Père qui nous dit ces choses ne nous quitte pas vraiment, puisqu’il nous promet son retour, puisqu’il nous promet un autre Père qui n’est pas d’une autre nature que lui.

Vado et venio ad vos, c’est la seconde promesse exprimée dans le texte de l’alléluia et cette promesse, comme la précédente dont elle découle, se comprend dans un triple sens : le sens historique, le sens eschatologique et le sens spirituel. Trois mystères : le mystère de la résurrection, le mystère du jugement dernier et le mystère de la Pentecôte, qui fusionnent dans nos âmes filiales, comblées de la présence divine.

La dernière promesse, enfin, est celle qui dérive tout naturellement des deux autres, et c’est une promesse psychologique : c’est la promesse de la joie, la promesse du bonheur. La joie est très présente dans le discours après la Cène. La joie, c’est précisément la résonance dans notre âme d’une présence bienfaisante. La promesse de la venue en nous du Sauveur, celle de son Esprit, est source d’une joie spirituelle très profonde, tellement profonde, que Jésus dit d’ailleurs (juste après le troisième bout de verset qu’a retenu le compositeur) que nul ne pourra jamais nous la ravir. La joie nous est promise, c’est donc une joie de l’espérance en même temps qu’une joie de l’amour, et c’est peut-être cet aspect qui donne à cette pièce comme à tout le temps qui suit la fête de l’Ascension, un caractère quand même un peu mélancolique et nostalgique. Malgré la promesse de Jésus, malgré la certitude de notre foi en sa présence, la fête de l’Ascension a ravivé dans nos cœurs la tristesse de la séparation. La présence physique de Jésus nous manque car nous sommes, par nature, sensibles à ce mode de présence. C’est pourquoi nous avons besoin d’entendre et de chanter cet alléluia pour renouveler en nous la joie essentielle du chrétien.

Commentaire musical

Le compositeur a choisi le 1er mode, mode de la paix, pour illustrer musicalement ce texte très riche tiré de plusieurs passages de l’Évangile de saint Jean. La mélodie renforce, par sa douceur pénétrante, le caractère aimant des paroles du Sauveur. L’alléluia se compose d’un long jubilus et d’un verset constitué de trois phrases mélodiques qui correspondent exactement aux trois promesses de Jésus.

C’est sur la tonique du mode, le Ré, que le jubilus commence, avec un appui ferme mais léger et doux sur cette première note qui prélude à la courbe modeste qui s’élève jusqu’au Fa, mais reconduit bien vite au Ré et même au Do grave, avant un nouvel élan, plus vigoureux celui-là, qui part du Fa et atteint le Sib, pour se poser sur une première cadence en La, dominante du mode. Toute cette intonation doit être douce mais légère, assez vive même, avec un beau crescendo vers le sommet. Les deux incises suivantes, parfaitement identiques, sont légères, très legato, la deuxième renchérissant sur la première.   Elles sont vraiment belles ces courbes, avec leur intervalle initial de quinte et leur déroulement fluide et ardent par degrés conjoints. C’est de l’art grégorien dans toute sa splendeur ! Une troisième fois, et donc encore plus fort, la mélodie reprend l’intervalle de quinte, touche le Sib déjà si expressif de la bonté du Maître, mais pour redescendre cette fois, en pente douce, et dans une grande paix, d’abord jusqu’au Do grave, un Do qu’il faut bien goûter et pour cela prendre avec une certaine retenue, sans sauter à pieds joints dessus, puis, après un nouveau petit élan, vers la cadence finale en Ré. Tout cela est plein de tendresse, d’une force d’amour qui envahit l’âme de la présence divine et la rassure. Avant même que le texte du verset se soit déployé, le jubilus, à lui seul, nous a établis dans l’atmosphère de confiance qui nous dispose à recevoir les promesses du Seigneur.

La première phrase, d’ailleurs, reprend exactement le début du jubilus, avec la même douce fermeté, le même élan. Toutefois, sur le verbe relinquam, la mélodie quitte son modèle, juste pour reprendre, transposé à la tierce, le motif initial, ce qui a pour effet d’amplifier la sécurité des disciples. Le Sib touché une seconde fois, renforce encore cette idée dominante de tendresse. La cadence aboutit au La, comme dans le jubilus, mais elle est prise par en haut, comme pour exprimer que cette première promesse vient du Seigneur. La mélodie du mot orphanos est ensuite toute pleine de tendresse compatissante. Relinquam et orphanos se terminent de la même manière, sur ce demi-ton Sib-La si expressif, si émouvant. On a l’impression que le compositeur a voulu rendre la nuance de souffrance que le Seigneur lui-même éprouve d’avoir à faire souffrir ses enfants par le retrait de sa présence sensible. C’est très beau, ce jeu profond de sentiments !

Après cela, la deuxième phrase doit avoir un caractère beaucoup plus ferme et décidé. C’est la deuxième promesse. Le départ du Seigneur est chose décidée : vado, et après s’être attendrie un moment, la mélodie reprend de l’élan. On sent la fermeté du Seigneur à travers ce motif qui reprend  celui du jubilus avec son intervalle de quinte, très léger et élancé, et son développement par degrés conjoints. Mais il est remarquable qu’à nouveau, le verset quitte son modèle, juste pour la cadence qui se termine, exactement comme les deux précédentes, sur ce demi-ton Sib-La. On revient ainsi au thème de la souffrance du Sauveur, si touchante, si pénétrante. On saisit comment le compositeur interprète réellement et avec grande justesse le texte évangélique et les sentiments du Christ à la veille de sa passion. Car cette douleur douce et tendre se comprend si bien, à quelques heures seulement de l’agonie. Pourtant, il s’agit ici d’un chant pascal, qui parle d’un autre départ, définitif celui-là, de la présence physique du Seigneur. Les deux événements (résurrection et ascension) sont ainsi enveloppés dans les mêmes sentiments profonds qui nous révèlent la qualité du cœur de Jésus. C’est par amour pour nous qu’il a déployé tout le mystère de sa vie parmi nous.

Avec l’expression et venio ad vos, la mélodie reprend de l’assurance. Il faut donner avec vigueur l’accent de venio bien souligné par l’épisème. Le tempo est léger et la cadence finale de cette phrase, en Sol, manifeste la certitude incluse dans cette promesse. Ad vos conclut ainsi avec grande fermeté cette deuxième promesse.

La troisième phrase est, elle aussi, assez exceptionnelle. D’abord parce que son très long développement musical s’effectue sur le verbe qui exprime la joie, gaudebit, ensuite parce que cette vocalise est très nuancée. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une joie exubérante. Il y a beaucoup de mouvement, mais pas d’éclat. C’est plutôt d’assurance joyeuse qu’il s’agit, assurance qui transparaît à travers l’alternance entre les notes allongées et celles qui sont plus brèves. Il y a notamment un petit passage qui évoque les alléluias du 4ème mode (Excita de l’Avent ou Emitte de la Pentecôte) si expressifs de la douceur et de la chaleur de l’amour de Dieu. Sur ce passage, la mélodie devient plus retenue, elle se fait plus intérieure. Et après deux longues tenues sur le Fa, on retrouve pour finir la formule type du jubilus, celle qui orne également le mot vado et qui s’achève sur cette cadence en demi-ton Sib-La,  pleine de tendresse. La joie de l’espérance se fait poignante, le cœur du Christ mesurant une nouvelle fois la souffrance que son départ inflige à ceux qu’il aime.

Enfin, la dernière phrase avec la troisième promesse reprend à l’identique le motif du long jubilus. Le dernier mot de la pièce est vestrum. Le Seigneur pense à ses amis, il se penche sur eux, il chante la joie future de leur cœur, il leur témoigne cet amour sans borne, sans date dont il les a enveloppés depuis les première heures de sa vie publique, et au-delà depuis toujours et pour toujours dans son éternité. Cet alléluia unit le ciel et la terre dans ce chant du Christ qui résonne dans les âmes, en cette fin de temps pascal et qui nourrit vraiment en elles la nostalgie de l’éternité.

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