La pause liturgie | « Alléluia Omnes gentes » du 13ème dimanche ordinaire

Publié le 20 Juin 2020
La pause liturgie | "Alléluia Omnes gentes" du 13ème dimanche ordinaire L'Homme Nouveau

« Alléluia ! Toutes les nations, battez des mains, acclamez Dieu avec des chants de joie ! »
(Psaume 46, 2)

Commentaire spirituel

Voici un chant d’universalité et un chant de joie. Chant d’universalité car il s’adresse à tous les peuples avec les accents du psaume 46 (47 selon la tradition hébraïque) qui est une hymne d’action de grâces célébrant la victoire de Dieu dans l’histoire. Chant de joie parce que c’est un alléluia, et aussi parce que l’invitation à la louange que contient le mot alléluia se double d’une invitation explicite à la joie et même à une joie très expansive. Exsultatio, en latin, c’est une joie qui transporte, une joie qui fait bondir, sauter, danser. Notre texte est très expressif. Essayons d’imaginer l’humanité tout entière en train d’applaudir et de bondir de joie en Dieu. C’est cela qu’ose nous demander la liturgie avec cette pièce au texte si  remarquable.

On pourrait dire avec un réalisme à raz de terre et un peu désabusé qu’on n’en est pas là, qu’on en est même très loin. Les nations ont d’autres occupations, souvent moins innocentes, que celle de danser de joie en présence de Dieu. Et d’ailleurs la présence de Dieu dans notre monde est de moins en moins perçue par bon nombre de nos contemporains, et nous sommes touchés nous-mêmes, en tant que chrétiens, par le silence de notre Dieu face au déchaînement du mal dans la familles, dans la société. Alors ? Est-ce que la liturgie est décidément à côté de la plaque ? Est-ce qu’elle est là pour nous accabler et nous décourager en nous montrant un spectacle irréaliste ? Est-ce qu’elle est cruelle même en nous invitant à une joie que nous ne pouvons pas goûter ? Non bien sûr. L’Église est maîtresse de vie spirituelle, elle est mère, elle sait ce qui convient à ses enfants. Sa spiritualité, qui passe largement dans sa prière, dans sa liturgie, transcende toutes les écoles de spiritualité et s’adresse à tous, petits ou grands, quels que soient notre état de vie, notre vocation, notre mission, notre situation physique ou morale. Nous pouvons toujours nous attacher à la prière de l’Église, nous aurons toujours intérêt à le faire. Cela nous oblige souvent, de fait, à un dépassement de nous-mêmes, à la découverte de nouveaux horizons qui sont en fait plus réels que ceux qui barrent tristement notre champ de vision. Et c’est bien le cas avec un texte comme celui-ci. Car le psaume repris par notre alléluia vise en définitive l’Église triomphante, c’est-à-dire le règne du Christ dans l’au-delà. Un jour, notre espérance nous le dit parce que Dieu nous l’a dit, parce que le Christ nous l’a révélé, parce que les apôtres nous l’ont transmis, un jour nous contemplerons ce spectacle inouï d’une foule innombrable, composée de tous les peuples de la terre, unie dans un seul et même regard tourné vers le Seigneur et vers sa gloire, et jouissant d’une même allégresse. Est-ce que cette vision, relatée dans notre psaume 46, reprise dans notre alléluia, cette vision que l’on retrouve abondamment exprimée dans le livre de l’Apocalypse, est irréelle, naïve, déconnectée en tout cas de notre vie quotidienne ? Certainement pas. C’est bien plutôt notre vie quotidienne, nos activités de chaque jour, nos pensées, nos affections, qui ont besoin d’être régulièrement soulevées par cette espérance d’un monde meilleur, pas un monde terrestre, pas ce monde-ci dont nous savons pertinemment qu’il est le lieu irrémédiable du chagrin et de la misère, malgré tous nos efforts légitimes pour le transformer. Mais justement, nous savons que ce monde est en phase de transfiguration, en quête de salut. Nous savons que l’œuvre du Christ, vrai roi des peuples, renforcée par l’œuvre de l’Esprit, accomplit cette montée du monde vers sa vocation ultime. Et nous avons besoin de contempler à l’avance cette lumière. Et en contemplant cette lumière anticipée dans la vie du Christ, dans la vie des saints, dans notre propre histoire, nous prenons part à la joie de la résurrection. Voilà ce que veut dire un texte comme celui de notre alléluia, choisi maternellement par la Mère Église. Sachons le recevoir comme des enfants. Sachons vivre les pieds sur terre mais la tête dans les cieux. C’est cela le vrai réalisme. C’est seulement cette attitude spirituelle qui nous fera tenir au milieu des bourrasques qui secouent la petite barque de nos âmes, de nos familles, de nos pays. La liturgie est école de vie, elle n’est pas déconnectée du réel, elle nous montre le vrai réel, elle nous fait dépasser le faux réel de notre vie d’en bas, elle nous propose sans cesse un idéal élevé mais déjà réalisé en la personne de Jésus, notre chef, notre tête, et en la personne de Marie, notre Mère, notre modèle, la toute première des rachetés. Oui, nous sommes en bonne compagnie en pensant au ciel et c’est un excellent remède à la neurasthénie de notre pauvre monde à l’horizon de plus en plus bouché. Alors, « Alléluia ! Toutes les nations, battez des mains, acclamez Dieu avec des chants de joie ! »

Omnes gentes Partition

Commentaire musical

Paradoxalement, mais c’est souvent le cas, la mélodie de l’alléluia, empruntée au 1er mode, n’a pas l’enthousiasme du texte, elle veut dire autre chose, elle complète et enrichit l’enseignement de la Parole de Dieu. On est habitué au binôme louange-extériorité. En fait, les mélodies grégoriennes, et les alléluias grégoriens notamment, nous orientent davantage vers une dimension plus contemplative de la louange. Et c’est bien le cas ici, comme nous allons le voir. La pièce est constituée du jubilus assez long et de deux longues phrases mélodiques dont chacun des mots est très développé.

Le jubilus commence de façon très ferme. On part du Ré, tonique du 1er mode, puis on a une note longue sur le Fa (bivirga épisématique dans les manuscrits) ; une autre note longue sur le Sol. Cela donne à ce début quelque chose de parfaitement assis rythmiquement, quelque chose de très net qui permet de bien lancer le mouvement. Ce mouvement se déploie sur les notes suivantes en un bel élan large et sonore qui conduit la mélodie jusqu’au Do aigu. Une fois ce sommet atteint, la descente est amorcée presque aussitôt et elle est très belle, très contemplative justement, uniquement constituée d’intervalles de seconde. On se pose d’abord sur le La, puis après avoir touché le Sol on remonte et on touche le Sib avec sa belle nuance de tendresse, et on redescend vers le Fa. Ce double petit motif mélodique décalé d’un ton donne l’idée d’une répétition, celle d’un regard qui se renouvelle en se portant sur un être aimé. Après la demi-barre, le regard se prolonge encore en une longue courbe d’abord montante puis globalement descendante, ce qui n’empêche pas de multiples petits rebonds qui donnent vie et chaleur à tout cet ensemble. Mais l’atmosphère est très calme, très paisible.

La première phrase du verset contient en tout et pour tout quatre mots : omnes gentes plaudite manibus. Parmi ces quatre mots, seul le premier est traité de façon très sobre. Les trois autres sont extrêmement développés. C’est d’abord gentes qui se complaît dans les hauteurs. On s’adresse aux nations, mais l’invitation n’est pas quelque chose d’enthousiaste, on peut dire qu’elle enveloppe les peuples avec complaisance dans la contemplation du mystère qui les unit dans la louange. La mélodie se repose finalement sur le Sol, en une cadence provisoire qui précède l’extraordinaire développement de plaudite. Le compositeur a-t-il voulu rendre par la longueur insolite de cette vocalise, le long applaudissement, l’ovation des peuples que chante le psalmiste ? C’est possible. En tout cas, la formule mélodique est vraiment très belle. Le motif initial très simple, très léger, est repris de façon plus soutenue encore une seconde fois, avant que la mélodie s’épanouisse au sommet puis se pose sur la finale du mot en une cadence presque suspendue sur le La aigu, du plus heureux effet. Puis on redescend lentement vers le grave sur manibus qui conclut très paisiblement cette première phrase.

La seconde phrase est plus enthousiaste. Un petit fait très significatif, c’est qu’on n’entend plus le Sib mais le Si naturel qui change complètement l’atmosphère. Le mot jubilate qui exprime avec plus de vélocité l’invitation formelle à l’allégresse, est ainsi mis en grande lumière, avant de s’effacer lui-même devant l’éclat de Deo dont la montée puissante devient si expressive de la majesté divine, source et finalité de la joie des nations. L’enthousiasme communicatif se prolonge encore sur voce qui progresse vers le Do très ferme qui constitue le sommet de la courbe de ce mot. Enfin, sur le mot exsultationis, on retrouve peu à peu le motif du jubilus qui enveloppe l’allégresse des peuples dans sa nuance de douceur persuasive. Le secret de cet alléluia, c’est vraiment cette alliance entre la douceur de la mélodie et l’enthousiasme du texte. Le compositeur a produit ainsi un chant de louange très original, très évocateur de ce qui nous attend au ciel où une immense multitude chantera la gloire de Dieu dans la paix, l’ordre, la sécurité les plus absolus.

A écouter ici.

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