La pause liturgie | Offertoire Lauda ánima (3ème dimanche de Pâques – 3ème dimanche après Pâques)

Publié le 08 Mai 2022
La pause liturgie | Offertoire Lauda ánima (3ème dimanche de Pâques – 3ème dimanche après Pâques) L'Homme Nouveau

« Loue le Seigneur,ô mon âme ; je louerai le Seigneur toute ma vie ; je chanterai pour mon Dieu aussi longtemps que je vivrai, alléluia ! » (Psaume 145, 2)

Commentaire spirituel

J’ai rencontré un jour un membre d’une communauté nouvelle qui m’a dit : « Vous comprenez, Père, nous, nous ne chantons pas de grégorien, nous préférons les chants de louange… » Vous devinez que j’ai goûté médiocrement l’argument. J’ai simplement répondu à cette personne que je comprenais ce qu’il voulait dire, mais que s’il connaissait le répertoire grégorien de l’intérieur, il n’aurait jamais formulé sa phrase de cette manière. Car s’il existe un chant de louange, de pure louange, dans l’Église, c’est bien le chant grégorien. Il serait facile de procéder à une comparaison des répertoires grégorien d’un côté, et modernes de l’autre, et de se rendre compte que la notion de louange, bien comprise comme un acte de contemplation émerveillée de la beauté divine sans retour aucun sur l’humanité, convient bien mieux à la spiritualité antique qu’à la spiritualité moderne. Ce n’est pas vrai seulement en ce qui concerne le chant liturgique, mais cela se vérifie aussi au niveau de tous les arts sacrés : la peinture, la sculpture, l’architecture. Depuis la période dite de l’Humanisme, et même un peu avant, jusqu’à nos jours, en effet, la spiritualité s’est de plus en plus concentrée sur l’homme, d’abord dans sa relation avec Dieu, puis en évinçant peu à peu Dieu de l’horizon humain. L’homme a peu à peu pris la place de Dieu et cela se ressent aussi dans sa façon de prier : nous avons acquis le réflexe, bien inconscient souvent, de nous regarder et d’accorder beaucoup d’importance à notre ressenti. Cette attitude s’accompagne, il est vrai, d’un sens plus aigu de la valeur de la personne humaine en tant qu’individu. Mais cela n’est pas sans conséquences dans nos relations avec le Seigneur. Je suis toujours très frappé quand je chante des hymnes grégoriennes très anciennes : la prière de demande, quand elle est présente, y est très souvent reléguée dans la dernière strophe uniquement. La contemplation gratuite du mystère fait tout le fond de ces hymnes. Et en comparaison, les hymnes modernes, telles qu’on les trouve aujourd’hui dans la Liturgie des Heures, paraissent souvent très psychologiques, très centrées sur le ressenti de l’âme dans son commerce d’amitié avec Dieu.

Le répertoire grégorien se rattache à la spiritualité antique, et je pense que dans notre société et même dans nos communautés nous avons plus que jamais besoin de retrouver ce primat de la contemplation gratuite qui fait tant de bien à l’âme en l’élevant au-dessus d’elle même et en dirigeant son regard vers une réalité infinie, infiniment bonne, infiniment aimable, infiniment comblante.

Toute ce que je viens de dire trouve une illustration dans l’offertoire de ce dimanche, entièrement consacré à la louange. Cet offertoire, dans son texte comme dans sa mélodie, est une véritable dilatation, il fait du bien à celui qui le chante comme à celui qui l’écoute. L’âme s’invite elle-même à la louange, elle obéit et s’engage à louer fidèlement durant toute sa vie ; et ce faisant, elle commence à louer, car elle chante sa promesse. On a là une résolution efficace qui est mise en œuvre immédiatement et qui produit aussitôt son effet et même son bienfait : l’invitation à la louange devient louange et la louange dilate le cœur, d’autant plus que l’être loué déborde ce cœur de toutes parts et veut l’élargir aux dimensions de son mystère insondable.

Ajoutons que la place de ce chant de pure louange est particulièrement bien choisie, puisqu’il s’agit d’un offertoire : en même temps que le prêtre présente l’hostie qui sera consacrée durant le sacrifice eucharistique, l’âme s’offre elle-même en sacrifice de louange, elle s’unit à la louange vivante rendue par Jésus à son Père, louange de toute une vie terrestre qui culmine dans le don total et ultime de la passion et de la croix. La louange chrétienne n’est pas seulement admiration devant les splendeurs de la création, elle est liée à la rédemption, elle chante sans fin les miséricordes du Seigneur et son dessein universel de salut ; elle est orientée vers la promesse du royaume des cieux. La voix du chrétien prolonge celle du Christ et de ce fait résonne dans l’éternité. Car en définitive, c’est le Christ qui assume la louange de son Église, si bien que quand nous chantons : « je louerai le Seigneur toute ma vie ; je chanterai pour mon Dieu aussi longtemps que je vivrai », d’une part ce « je » est collectif : c’est l’Église unie à son Chef, qui l’interprète ; et d’autre part, la mention de toute la vie caractérise en fait l’éternité déjà commencée et qui n’aura pas de fin.

Voyons alors comment le compositeur à fait passer le message dans la mélodie qui nous est parvenue.

Lauda anima mea Partition
Commentaire musical

Il est clair que le matériau mélodique et rythmique des anciens, pour traduire la louange et beaucoup d’autres réalités spirituelles, n’est pas le même que celui que nous mettons en valeur aujourd’hui. Il est d’ailleurs légitime que chaque époque ait ses canons artistiques. Mais on peut bien reconnaître et admirer la façon avec laquelle les anciens, pourtant limités en moyens techniques, ont exprimé musicalement par exemple le thème de la louange. Pour les anciens, la louange est d’abord et surtout une expression de l’âme, elle est intérieure avant de devenir extérieure, et même lorsqu’elle s’exprime au dehors, elle n’échappe pas à l’âme, elle reste maîtrisée par l’âme, elle ne déborde pas. La louange grégorienne est donc calme, elle n’est jamais frénétique, jamais hors d’elle-même. Rythmiquement, elle ignore notamment le phénomène du temps fort ou celui de la syncope en lesquels, bien souvent, on enferme pratiquement le rythme tout entier. Demandez à quelqu’un ce que c’est pour lui qu’une musique bien rythmée, et la réponse sera rarement le chant grégorien… L’expression « avoir le rythme dans la peau » est assez révélatrice, mais elle est aussi un peu trompeuse parce que le rythme, du moins pour les anciens, est d’abord une perception intellectuelle : le rythme est une relation établie par l’intelligence entre un élan et un repos. Cette relation est pensée avant d’être traduite matériellement. Le rythme est une réalité spirituelle.

Tout ceci pour essayer de faire comprendre que louange n’est pas forcément égal, ni à bruit, ni à force, ni à vitesse de tempo, ni à syncope ou contretemps.

Tout ceci pour nous introduire dans l’interprétation de cet offertoire : la louange de l’âme se traduit par une mélodie très intérieure, et le choix du 4ème mode rend explicite cette intention du compositeur. La pièce est composée de trois phrases musicales d’égale longueur, ce qui donne une impression de parfait équilibre. Ces trois phrases correspondent à l’invitation à la louange (première phrase) et aux deux promesses qui n’en font qu’une, formulées par le psalmiste, de louer Dieu toute la vie durant. La première et la troisième phrases, très calmes, encadrent l’élan de la seconde en laquelle se situe le sommet de toute la pièce. Enfin l’offertoire est ponctué par un alléluia profond et large qui inaugure la louange formelle de l’âme, même si, on l’a vu, en s’invitant à la louange et en promettant sa louange, l’âme s’est déjà mise à louer, dans le simple fait de chanter. Faisons juste quelques remarques de détails sur cet offertoire assez bref et très unifié du point de vue modal :

La formule d’intonation (Do-Mi-Sol) se retrouvera au début de la troisième phrase (sur psallam) et sur l’alléluia final. Cette intonation est clairement constituée d’un élan assez vif et d’une détente après avoir franchi le sommet. Elle doit donc être bien lancée puis très légèrement retenue, le tout étant très chanté et donné dans un grand legato. Après cette intonation, le mouvement est très calme jusqu’au bout de la première phrase. À un élan léger sur ánima, vers l’accent de mea, succède là aussi une détente de facture très contemplative qui s’achève avec un grand bonheur sur Dóminum, le nom du bien aimé. La cadence inversée (Mi-Fa, alors que le 4ème mode se termine normalement sur Mi) qui conclut cette première phrase, avec son demi-ton final, est très contemplative, très douce, très délicate.

La seconde phrase est beaucoup plus élancée. L’âme s’est comme enflammée et elle exprime son vœu d’une louange éternelle. Le mouvement doit donc être vif sur les deux premiers mots (Laudábo Dóminum) qui nous conduisent au sommet de toute la pièce, sur Dóminum. La présence du Sib adoucit déjà cet élan qui retombe aussitôt de façon très belle, très tendre, sur la finale de Dóminum, l’âme étant comme perdue dans l’amour de celui qu’elle contemple. La cadence en Mi donne une merveilleuse impression de douceur. Il ne faut donc pas précipiter l’intervalle Do-Sol et la suite qui ramène tout doucement la mélodie sur la tonique du mode. On peut noter ensuite l’ardeur de l’âme sur vita, très bien rendue par l’épisème placé sur l’attaque de l’accent, qui donne, dans son rapport avec les deux notes suivantes, un effet de balancement très heureux. Le pressus final de vita épanouit bien ce mot très expressif, avant que mea ne reconduit le mouvement dans l’atmosphère paisible et contemplative du 4ème mode. On retrouve ainsi, à la fin de la phrase, la cadence inversée Mi-Fa déjà rencontrée à la fin de la première phrase.

La troisième phrase commence comme la première. Après l’élan significatif de la seconde, le tempo est redevenu plus large, plus ample. La longue de la finale de psallam indique déjà à l’avance la durée de la louange, avant même que le texte ne l’explicite à son tour. Un nouvel élan, plus modéré pourtant, se fait sentir sur Deo meo, avec sa belle cadence, un peu suspensive, à l’aigu. Quant au traitement mélodique de quámdiu ero, il est vraiment très beau, tout plein de complaisance et de tendresse avec ses deux accents au levé et ses finales de mots épanouies et bien balancées.

L’alléluia final, en reprenant le motif de psallam et en l’allongeant encore, fixe la pièce tout entière dans la louange concrète, toute pénétrée d’amour, de bonheur et de paix. Ce bel offertoire semble plutôt du ciel que de la terre, ou plutôt il anticipe sur la terre la joie éternelle de la louange pure.

Pour écouter cet allleluia : ici.

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