« Je méditerai tes préceptes que j’aime tant, et j’élèverai mes mains vers tes commandements que je chéris. »
(Psaume 118, 47,48)
Commentaire spirituel
Voilà un chant d’amour, une perle du répertoire grégorien. Cet offertoire est une pure louange, un chant qui monte vers le Seigneur pour accompagner l’offrande du pain et du vin qui sont disposés sur l’autel. Certains offertoires peuvent être considérés comme la porte d’entrée du sacrifice eucharistique. Ils développent alors un des aspects du mystère du salut et permettent ainsi aux âmes de pénétrer dans le Saint des Saints. Mais d’autres offertoires se présentent davantage comme une simple offrande musicale, sans rapport explicite avec le sacrifice eucharistique. C’est le cas de notre chant de ce dimanche. Il est très bref, il célèbre plutôt la parole de Dieu et c’est sans doute ce qui fait sa beauté. Car on a l’impression que ce texte a été choisi pour faire le lien entre la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Sa place comme offertoire est alors très heureuse. Les fidèles ont écouté la parole de Dieu par l’intermédiaire des lectures de la messe et de l’homélie du prêtre qui les a commentées. Et avant de procéder au rite eucharistique, en guise de préparation des âmes en même temps que des oblats, s’élève un chant qui fait la synthèse entre les deux tables saintes. L’Église et l’âme fidèle méditent la loi du Seigneur et élèvent leurs mains, c’est-à-dire leur prière, vers le Seigneur qui va se donner dans quelques instants. Notre chant d’offertoire identifie dans un même amour la parole de Dieu et Dieu lui-même, car derrière les préceptes et les lois du Seigneur se cache l’auteur même de ces préceptes et de ces lois. C’est lui, le Christ, qui a institué la Cène, le mémorial de son amour, le sacrement de son sacrifice sur la croix. C’est lui qui a donné aux hommes la loi nouvelle promise par les prophètes et divulguée sur le mont des Béatitudes. Le Saint-Esprit est en personne cette loi d’amour qui transforme nos cœurs bien plus efficacement que les multiples codifications de l’ancienne alliance. Le fait que ce chant ait été tiré d’un texte de l’ancien Testament (il s’agit de deux versets du grand et magnifique psaume 118) nous montre que le Christ accomplit les Écritures puisqu’il se cachait déjà dans les écrits de l’ancienne alliance. L’Église est en possession d’un trésor, d’une mine de textes qui nous parlent tous du Christ. Elle exploite ces textes, elle les met en musique, elle les place là où elle estime qu’il auront pour ses enfants le maximum de résonances intimes. Cet offertoire est une merveille, une trouvaille.
Le psaume 118, c’est vraiment le psaume de la Loi de Dieu, le psaume de l’amour de cette loi, de la fidélité à cette loi. Pour nous, la loi n’est plus un amoncellement de prescriptions rituelles impossibles à tenir en réalité. La loi du Christ se « réduit » à l’amour, c’est-à-dire au don total de soi, à l’exemple du Christ qui s’est offert pour nous, qui est né, qui a vécu, qui est mort et ressuscité pour nous, par amour pour nous. Comme il est facile à un chrétien d’aimer la loi du Seigneur et ses commandements ! « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Dieu réduit ses exigences à l’exercice de la vertu qui est la plus spontanée à notre nature : l’amour. Mais l’exigence de l’amour dépasse de beaucoup les exigences formalistes des anciennes lois juives. Cette exigence nous conduit d’elle-même à l’héroïsme, au don total. Selon sa dynamique propre, l’exigence de l’amour, l’exigence du Christ, nous emporte inéluctablement vers la sainteté. Voilà tout ce que chante notre petit offertoire. C’est comme une contemplation anticipée de la grande contemplation qui va retenir l’Église devant l’Hostie consacrée. La Parole de Dieu s’est incarnée, la loi du Seigneur, ses préceptes se sont comme concentrés dans l’acte d’amour du sacrifice de la croix que l’Eucharistie représente. L’Église regarde, elle aime, elle est prête à suivre le Seigneur, à faire sa volonté en toutes choses.
J’aime cette simplicité de notre offertoire : deux petites phrases qui semblent en outre dire la même chose. Ce procédé de répétition qui se retrouvera au plan musical, signifie l’ardeur de l’amour qui se répète sans se lasser. Mais il y a quand même une certaine progression entre ces deux phrases. Le premier verbe traduit une activité de simple méditation, tandis que le second mentionne les mains, autrement dit le corps, l’élan d’amour de toute la personne vers la loi divine. La méditation caractérise la première partie de la liturgie, la liturgie de la parole ; l’élévation des mains oriente vers la seconde partie de l’acte liturgique, la liturgie sacrificielle proprement dite.
Commentaire musical
Comme on l’a dit, cet offertoire est composé de deux phrases musicales de même facture, la seconde renchérissant sur la première, à la manière d’une variation sur un même thème. Il s’agit d’un 2ème mode transposé à la quinte, puisque la finale n’est pas Ré mais La. La nouvelle dominante est donc Do et non plus Fa, et l’on peut remarquer d’un simple coup d’œil sur la mélodie combien cette dominante est omniprésente tout au long de la pièce. Presque toutes les longues sont situées sur cette corde, ce qui donne beaucoup de fermeté et même de puissance à l’ensemble. Pourtant, cette pièce est également pleine de fraîcheur, elle exprime l’amour de l’âme pour la loi de Dieu. On pourrait dire que cette offertoire témoigne de la rencontre entre la solidité de Dieu qui donne sa loi et la tendresse de l’homme qui la reçoit dans l’amour. Cette tendresse, l’homme la puise à la source divine et l’on peut très bien considérer le don des commandements comme une manifestation d’amour de la part du Créateur, la fermeté venant alors de la fidélité indéfectible de l’âme dans son attachement aux préceptes divins. Dans un sens comme dans l’autre, notre chant résulte, au plan musical, d’une alliance entre douceur et fermeté, entre fraîcheur et puissance. Cela en fait une offertoire bref mais aimable et qu’il n’est vraiment pas difficile d’aimer chanter.
L’intonation est assez ferme, ce qui convient bien d’entrée de jeu au mot même que la mélodie habille : meditabor. Il s’agit d’une activité délibérée, volontaire, réfléchie, aimante. La mélodie s’élève pour rejoindre la dominante Do sur la première longue de la pièce. Le mouvement mélodique ascendant est expressif du mouvement même de la pensée qui s’élève du cœur de l’homme vers la contemplation de Dieu, de sa loi. Juste après l’intonation, les deux petits punctum de in mandatis donnent un élan vigoureux à ce début de phrase. On va retrouver deux fois ce même procédé, au début de la deuxième phrase sur et levabo, et au milieu de cette même deuxième phrase, sur ad mandata. On peut même trouver une troisième répétition, plus cachée, sans les deux punctum mais avec les mêmes intervalles sur la finale de manus et le début de meas. Voilà un premier constat d’une répétition mélodique qui exprime donc ici une reprise très nette de mouvement, une légèreté, cette fraîcheur de l’âme qui médite et s’envole vers les hauteurs de Dieu.
Ensuite, sur in mandatis tuis on observe une accumulation de notes longues sur le Do, en alternance avec la corde Ré qui exprime à la fois la fermeté et la complaisance, un peu comme si l’âme se berçait dans son plaisir spirituel. Là encore, la deuxième phrase va nous offrir plusieurs exemples de répétition de ce motif mélodique, sur et levabo (ou les longues sur le Do alternent peu avec le Ré) et surtout sur meas, sur ad mandata et sur dilexi. On le voit, on est vraiment dans une atmosphère contemplative, une sorte de rumination amoureuse que traduisent très bien d’ailleurs les deux verbes répétés eux aussi : dilexi. Regardez comme le deuxième dilexi reprend et développe le premier. C’est le mot central et final de toute cette pièce. L’amour imprègne toute cette mélodie, il enveloppe la méditation de l’âme. Dans ces mutliples répétitions qui sont plutôt des variations que des répétitions, on comprend combien l’activité méditative de l’âme est pleine de vie. C’est l’amour qui anime cette activité de la raison. On distingue à la fois dans les répétitions le rôle de la raison qui s’applique, et dans la liberté mélodique de ces variations le rôle de l’amour qui renouvelle tout perpétuellement. C’est magnifique. On est perdu dans la louange, vous voyez qu’il n’y a aucune demande, l’âme est en son Dieu, elle s’entretient avec lui dans la tendresse et la certitude. C’est un chant d’extase qui voudrait ne pas finir et on peut admirer de ce point de vue la longueur de ce dernier mot qui dit tout : dilexi. Le début de la mélodie qui orne ce mot reprend la mélodie de ce même mot dans la première phrase : c’est plein d’élan et de fraîcheur. L’amour commence par soulever l’âme dans un mouvement ravissant de légèreté. Puis, sur le dilexi de la première phrase, sur les deux torculus identiques, on avait exprimé une plénitude de jouissance. Ici, cela commence pareil mais pour ne plus s’arrêter. La mélodie développe d’abord son thème préféré avec l’alternance Ré Do et son insistance sur Do. Puis, après une plongée au grave qui atteint le Fa, la mélodie remonte jusqu’au Do par intervalles conjoints, en un thème qui exprime l’ardeur de l’âme. Le compositeur termine avec une dernière répétition sur les deux groupes quilismatiques de la fin qui renchérissent l’un sur l’autre et qui donnent l’impression que l’âme se fixe et se perd dans son amour contemplatif.
Il y a quelque chose de très structuré dans cette pièce et en même temps quelque chose d’infiniment libre. C’est un joyau du répertoire grégorien en ce sens qu’il fait passer toute la sève de la vie spirituelle (vie d’amour, vie de contemplation) dans une mélodie qui, remarquons le une fois de plus, dit quelque chose de plus que le texte lui-même, ou plus exactement déploie magnifiquement les virtualités du texte sacré. Le mouvement d’ensemble sera léger mais ferme et surtout bien épanoui sur les deux mots dilexi. Les passages syllabiques indiquent une reprise de mouvement. L’alternance Ré Do omniprésente exprime la légèreté, tandis que les tenues sur le Do exprime la fermeté de l’âme fixée en son Dieu.
« Offertoire Meditabor » à écouter ici.