La pause liturgie | Offertoire Super flumina (26ème dimanche ordinaire, 20ème dimanche après la Pentecôte)

Publié le 22 Oct 2022
La pause liturgie | Offertoire Super flumina (26ème dimanche ordinaire

Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de toi, Sion ».
(Psaume 136, verset 1)

Thème spirituel

Voici un chant apparemment nostalgique. Les Hébreux sont en exil. Ils travaillent au service d’une nation étrangère et païenne. Ils se souviennent de Jérusalem, leur patrie, et ce seul souvenir les bouleverse. Un chant plein d’émotion.

Ce texte est facile à transposer. Nous sommes les Hébreux. Babylone c’est le monde au sens johannique, péjoratif, du terme, lieu de notre exil et de notre servitude. Sion, c’est le ciel. La ville est située sur la montagne, sur les sommets. Il y a dans ce chant la nostalgie de l’éternité. Plus qu’un souvenir, pour nous, il s’agit plutôt d’un désir fondé sur une promesse : la promesse de Jésus relayée par les Apôtres, la promesse du bonheur, et d’un bonheur qui ne peut être celui de la terre, si fugace et si fragile. Nous n’avons pas vraiment de patrie terrestre, notre patrie c’est le ciel. C’est donc surtout un chant d’espérance : « Spe salvi ».

Le texte de l’offertoire a une particularité sur celui de la vulgate : c’est le mot « tui ». On s’adresse à Sion, et c’est encore plus touchant. Sion, c’est l’Église, le règne de la vérité, de la charité, de la beauté, de la paix. Un chrétien c’est quelqu’un qui a le ciel et l’Église plein le cœur et plein les lèvres, comme le compositeur qui n’en finit pas de chanter le mot « Sion ». Le psaume continue : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche! Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir, si je ne mets Jérusalem au plus haut de ma joie! ». Aimons l’Église, notre Mère, plaçons-la bien haut dans notre amour, à l’abri de toute contestation, dans cette lumière qui l’envahit au ciel en plénitude. C’est là notre joie la plus pure.

 

Commentaire musical

La pièce commence sur un fa qui est une des cordes (dominante) du deuxième mode, puis on entend de suite le sol et le la qui sont les deux cordes du premier mode. Le sib donne d’emblée une note mineure à cette intonation, on est donc bien déjà dans l’atmosphère d’un protus. La suite confirme cette impression avec l’utilisation régulière du la, dominante du premier mode, en alternance avec le sol ou le fa, au grave, et le do à l’aigü. La mélodie redescend, se pose d’abord sur le fa, note de départ, dominante du deuxième mode, puis sur le ré, avec l’intervalle redondant fa-ré-fa-ré, puis le do, mais en dépendance du ré. Dès cette première incise, on peut donc dire qu’on est nettement dans une atmosphère de protus. Ensuite, la mélodie repart du ré, remonte au fa, comme point d’appui, s’appuie également sur le sol puis sur le la, accroche le si bécarre puis le do, et redescend par degrés conjoints pour se poser sur le fa après une formule mélodique assez typique du tritus sur la cadence de « Babylonis ». Mais les cordes demeurent néanmoins celles du protus. On repart d’ailleurs sur l’intervalle fa-la, que l’on entend tout au long de la deuxième phrase, avec des appuis mélodiques sur le fa et sur le la, dominantes respectives des premier et deuxième modes. De fait, le texte et la douleur des sentiments nous mettent bien dans l’atmosphère d’un protus plagal, et la mélodie à l’ambitus restreint répond à ce climat. La deuxième phrase se conclut sur une cadence en do mais après un appui sur le ré, véritable cadence, donc toujours en protus. Enfin la dernière phrase repart du fa, touche le ré au grave, puis remonte jusqu’au do après avoir modulé sur les degrés privilégiés du protus, fa, sol, la. Ces trois notes vont demeurer jusqu’au bout de la pièce les cordes dominantes, avec des appuis réguliers sur le fa, quelques touchers sur le ré au grave, toujours suivi du fa, et quelques envolées sur le do aigu. La pièce se termine sur une admirable alternance fa-sol, avant de se poser in pace sur le ré final.

On peut maintenant dégager une interprétation de cette belle composition. Des trois phrases qui la constituent, c’est la dernière assurément qui sera la plus expressive. La première est plus neutre de sentiments, la seconde traduit tout du long l’accablement des exilés. La troisième va exprimer de façon remarquable le va et vient de la tristesse et de la joie, à l’évocation de Sion.

L’intonation doit être assez alerte, très claire, dans un bel élan puis une retombée douce sur « flumina » qui va introduire le thème de la souffrance apparemment absent du début, encore qu’on peut en avoir comme le pressentiment dans le premier sib qui vient tout de suite sur « super ». L’accent de « super » est au posé, donc ferme, déposer la finale du mot en douceur, puis bien faire le salicus sans s’arrêter trop sur la note ictuée. Au contraire, c’est un élan initial, il faut que cette note soit un tremplin. Bien soulever l’accent de « flumina », puis, toute la suite de la mélodie sur ce mot doit se dérouler en crescendo dans un bon mouvement, alerte et très légato, avec des sommets doux sur le do, et jusqu’à la retombée sur le fa qui va introduire un élargissement notable vers la cadence en ré puis en do. Bien faire sentir le levé qui précède le double ré. L’attaque de « Babylonis » doit être piano, puis ménager un crescendo à partir du double fa. À partir du la qui précède le quilisma, cette courbe mélodique doit être donnée d’un seul mouvement très légato et alerte. Bien arrondir le sommet, puis retomber doucement sans faire sentir les ictus de la descente. L’accent du mot inaugure une formule mélodique classique qui demande un léger élargissement sur la tête du climacus, mais sans précipiter les notes losangées suivantes. Cette formule doit être régulière et légère.

La deuxième phrase marque une différence assez notable. Il faut que l’on sente l’accablement des exilés sur les deux verbes « sedimus » et « flevimus ». Prendre cette deuxième phrase dans un tempo un peu plus large, sans exagération toutefois, et pas trop fort. Chaque syllabe semble régulièrement distinguée des autres, comme pour marquer cet accablement. Faire sentir ce poids dès le premier mot « illic ». L’accent de « sedimus » doit être pris sans élan, le climacus suivant ne doit pas être précipité, mais au contraire très régulier et assez large. La finale doit être élargie, puis, « et flevimus » encore plus large et presque lourd. L’ornementation mélodique de la finale de « flevimus » demande un grand legato, une certaine légèreté sur les deux torculus, avant la cadence finale qui elle doit être très large. Faire une grande barre biens sentie.

La troisième phrase est de toute beauté et très expressive. On démarre vivement mais piano sur le passage syllabique. Bien mordre dans l’accent de « recordaremur », puis monter vers le sommet mélodique, mais qui correspond avec l’attaque de la finale du mot, et qui doit donc être abordé avec une grande douceur. Bien donner toute sa valeur au la qui précède le pressus, lequel constitue l’apex, peut-être de toute la pièce. C’est en tout cas le sommet de la plainte, comme si le souvenir douloureux nous conduisait jusqu’au sommet de la montagne de Sion. Ce sommet est vraiment poignant, il exprime la plainte douloureuse qui transperce le cœur. La redescente sur les punctums losangés doit être large, bien ménager surtout le dernier levé, avec une distinction verbale avant l’attaque très douce, amoureuse, de « tui ». Tout ce mot là est affecté d’une mélodie très complaisante, sentiment que rend très bien le balancement binaire du mot. Les punctums losangés doivent être retenus, surtout les derniers qui vont introduire à l’extraordinaire développement mélodique de « Sion ». Ah ! Cette merveille ! Le compositeur nomme « Sion », la bien-aimée, et c’est comme s’il ne pouvait plus contenir ni sa douleur ni son amour. Le mot n’en finit plus d’être prononcé. Un compositeur non inspiré aurait très bien pu s’arrêter très vite après l’avoir prononcé. On peut imaginer ce que cela aurait donné en prenant le torculus final et en l’accolant à la clivis de l’attaque de la syllabe finale, cela aurait été suffisant, propre, mais froid. Regardez au contraire ce que le compositeur a fait de ce mot. C’est bouleversant, cette succession d’élans et de retombées, les uns et les autres très larges comme des grandes vagues puissantes, sans aucune précipitation surtout. C’est comme une porte ouverte sur l’âme qui, à l’évocation de la ville sainte, là-bas, se trouve partagée entre la joie et la souffrance, la joie et le gonflement de l’espérance dans les montées mélodiques, la souffrance mais pleine d’espérance et de paix, de certitude quand même dans les redescentes très appuyées. Ou plutôt, on ne saurait dire exactement si c’est la joie ou la souffrance qui s’expriment respectivement dans les grands élans et dans les retombées, tant ces deux sentiments sont l’un et l’autre à la fois vifs et tout pénétrés d’amour et de certitude. Ce pourrait très bien être au contraire la souffrance qui monte et la paix qui redescend. Le deuxième motif mélodique doit renchérir sur le premier, tant sur l’élan que sur l’élargissement de la retombée. La tête du climacus au sommet doit être très arrondie, c’est déjà là, dans cet unique ternaire au milieu de nombreux binaires, que s’amorce l’élargissement de la descente. La cadence finale, extraordinaire, est amenée par une succession de Fa et de Sol qui expriment le flux et le reflux des sentiments mais qui sont baignés d’espérance d’où découle la grande impression finale de paix. C’est à cause de ce flux et de reflux, que l’on trouve déjà d’ailleurs dans les deux grands motifs mélodiques identiques, qu’il vaut mieux traiter tout ce passage en binaire, cela met en valeur cet apaisement progressif des sentiments de l’âme, jusqu’à la déposition, elle-même répétée, du Ré. C’est du grand art, vraiment, et en même temps on peut constater ici combien le chant grégorien reste toujours retenu dans ses expressions, il ne tourne jamais au mélodrame, la mélodie reste ferme d’un bout à l’autre. La raison en est probablement que le chant grégorien exprime non le sentiment d’un compositeur, mais le sentiment de l’Église elle-même, toute pénétrée de l’immense histoire du salut. Cette pièce assume toute la souffrance de l’Église, toute les souffrances des hommes, les nôtres en particulier, mais elle les trempe dans son espérance, fondée sur la réalisation objective du salut par le Christ.

Pour écouter cet offertoire :

Super flumina Partition 1 super flumina
Une moine de Triors

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