La pause liturgique : Glória in excelsis Deo

Publié le 17 Déc 2022
Grégorien : Introït Reminiscere (2ème dimanche de Carême) L'Homme Nouveau

Avec le Glória in excelsis Deo, nous faisons un plongeon bi-millénaire dans la prière de l’Église. Ce texte est en effet une des plus anciennes prières chrétiennes, non seulement parce que ses premiers mots reprennent le chant des anges à Bethléem (Évangile selon Saint Luc 2, 14), d’où son nom d’hymne angélique, mais encore parce que sa composition actuelle, très amplifiée par rapport à l’unique verset évangélique, existe, semble-t-il, depuis la plus haute antiquité, au moins pour l’essentiel. Cette prière fait partie d’un ensemble de quelques hymnes très vénérables et remontant à la primitive Église, composées à la manière des psaumes, et continuant la tradition des hymnes du Nouveau Testament. À la différence des hymnes postérieures qui seront pratiquement toutes versifiées, le Glória dans sa version latine comme dans sa version grecque, de même que le Te Deum et le Te decet laus, est une hymne non mesurée, écrite en prose. Elle se déroule sans refrain, d’un bout à l’autre de son texte.

On la repère en Orient, d’abord, dans une version grecque tirée des Constitutions Apostoliques. C’était à l’origine une longue prière du matin qui incluait des versets de psaume et s’achevait par le Trisagion, le triple Sanctus qui est à l’origine de notre Sanctus de la Messe. La plus ancienne traduction latine repérable se trouve dans un manuscrit irlandais du VIIe siècle, le manuscrit de Bangor, où elle est présentée comme hymne des vêpres. Le texte latin définitif ne date que du IXème siècle. Par rapport au texte grec originel connu par diverses versions, syrienne ou byzantine, il opère un certain nombre de retranchements et quelques ajouts, dont la doxologie finale qui mentionne le Saint-Esprit et fait ainsi du Glória une prière trinitaire. En fait, à l’origine, et cela apparaît encore dans le texte actuel, il s’agissait plutôt d’une prière christologique.

Chant de l’office, le Glória est progressivement devenu chant de la messe, et cela lui a valu des développements mélodiques au Moyen-Âge, que n’a pas connu le Te Deum, demeuré le chant final de l’office matutinal dans la liturgie latine.

Pourtant, le Glória fut adopté avec timidité par la liturgie romaine. Avant le début du VIe siècle, il n’était chanté que la nuit de Noël. Le Pape Gélase (498-514) l’étendit aux dimanches et aux fêtes des martyrs, mais pendant longtemps encore, il fut réservé à la messe papale, puis aux messes pontificales des évêques. Au VIIe siècle, les simples prêtres ne pouvaient le chanter que pour la fête de Pâques. Ce n’est qu’à partir du XIe siècle que son emploi s’est généralisé à toutes les messes des dimanches et fêtes, à l’exception des dimanches de l’Avent et du Carême.

Concernant les mélodies du Glória, on observe une lente progression vers le répertoire qui est encore en usage aujourd’hui. La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall possède un livre de chant sans notation, le plus ancien qui mentionne le Glória, copié vers 820-830. L’hymne était alors chanté à l’office de laudes dans les monastères qui suivaient la règle de Saint Colomban.

En 1952 à Londres, on fit la découverte d’un Graduel de Sainte Cécile du Transtévère, qui avait été copié en 1071 à Rome, et qui contient deux versions du Glória en chant vieux-romain. Ce livre fut le graduel officiel du Saint-Siège jusqu’au début du XIIIe siècle.

La création de la plupart des Glória grégoriens authentiques fut effectuée à partir des IXe-Xe siècles. Une version très ornée de cette hymne se trouve dans de nombreux manuscrits de ces deux siècles. Les musicologues appellent cette version Glória A ou Glória primus. Il s’agirait d’une mélodie issue de l’ancien Glória byzantin. Toutefois, cette version disparut dans les manuscrits plus tardifs, et ne fut jamais adoptée par le Graduel romain, en raison sans doute de sa longueur excessive et de sa trop grande complexité mélismatique.

Quand il doit être chanté au cours de la messe, le Glória prend place après le Kyrie, juste avant la prière d’ouverture, ou Collecte. Actuellement, dans l’église catholique romaine, le Glória est chanté aux messes de solennité et de fête (même pendant l’Avent et le Carême) ainsi qu’aux dimanches en dehors de l’Avent et du Carême.

Habituellement entonné par le prêtre, ou le chantre, c’est maintenant l’assemblée tout entière qui le chante (souvent en alternance avec une schola). Pourtant, le fait qu’il était chanté très rarement à l’origine, et qu’il soit entonné par le clergé et non par la schola, semble indiquer qu’il fut d’abord un chant des ministres plutôt qu’un chant du peuple. C’était le prêtre qui jouait le rôle essentiel, les autres chanteurs ne faisant que se joindre à lui. Dans le répertoire grégorien, le style du Glória est le plus souvent syllabique, et passe d’un style psalmodique (comme le Glória ambrosien) à un style presque neumatique, mais toujours très simple. C’est l’indice qu’il est devenu dès lors un chant d’assemblée, relativement long, avec des formules de type mélismatique rares : il n’y a généralement qu’un court ornement sur l’Amen final.

On a relevé 56 mélodies du Glória, dans les manuscrits, entre le Xe et le XVIIIe siècles.

Gloria 15 Partition gloria

Parmi les 19 Glória que nous utilisons encore dans le répertoire grégorien, le Glória XV est considéré comme le plus ancien. Ce Glória XV était normalement réservé aux fêtes solennelles, probablement en raison de son ancienneté. Sa facture quasi syllabique prouve qu’il était chanté intégralement par le Peuple.

D’autres Glória ont eu très tôt une attribution bien précise : ainsi le Glória I (Lux et origo) réservé pour la célébration pascale.

Le plus tardif des Glória grégorien est le Glória VIII qui demeure encore le plus fréquemment exécuté le dimanche. On l’appelle communément le Glória de la messe des Anges (De Angelis). Il n’est pourtant pas le plus facile, ni le plus représentatif de l’art grégorien puisque sa mélodie fut fixée au XVIe siècle seulement. C’est sans doute sa couleur musicale plus moderne qui lui a fait traverser la période d’éclipse connue par le chant grégorien ces dernières décennies.

Notons encore que le Glória a fait l’objet, bien sûr, de nombreuses compositions polyphoniques dont les plus célèbres sont celles de :

– Claudio Monteverdi (1567-1643) : Glória in excelsis Deo à 7 voix.

– Marc-Antoine Charpentier (1643-1704).

– Antonio Vivaldi (1678-1741) : 3 versions du Glória.

– Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Glória in excelsis Deo pour soprano solo, violons et basse continue.

– Felix Mendelssohn (1809-1847) : Glória pour 5 solistes, chœur à 4 voix et orchestre, 1822.

– Francis Poulenc (1899-1963) : Glória pour soprano solo, chœur mixte et orchestre, 1960.

Venons-en au texte maintenant :

Comme on l’a dit, le début du Glória est constitué par le chant des anges dans les campagnes de Bethléem, annonçant aux bergers la naissance du Sauveur :

Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux.

« L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : “Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.” Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : “Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime.” » (Luc, 2, 9, 14)

Ce chant des anges révèle le dessein de paix du Père avec l’humanité. C’est la première bonne nouvelle, le premier Évangile. Il y a un parallèle entre la gloire de Dieu au ciel et la paix des hommes sur la terre. Le lien est opéré par l’amour de Dieu qui nous a été donné. Cette petite phrase qui est entrée dans notre liturgie de la messe dit en quelques mots tout le mystère de l’Alliance.

Lorsque nous chantons Gloire à Dieu au plus haut des cieux, l’expression au plus haut ne désigne pas une situation géographique, bien sûr, mais une excellence ontologique. Dieu est au-dessus de toutes créatures, en ce sens qu’il est l’Être suprême.

Après ce prélude angélique, l’hymne se déploie en deux parties, l’une consacrée au Père et l‘autre consacrée au Fils.

La première partie, qui chante le Père, se compose de deux sous-parties : une première partie laudative qui nous implique et consiste en un hommage appuyé des créatures : laudámus te, benedícimus te, adorámus te, glorificámus te, grátias ágimus tibi. Le thème de la gloire, présent dès le premier mot, revient ici comme le grand motif de notre prière : c’est à cause de sa grande gloire (propter magnam glóriam tuam) que le Seigneur mérite d’être ainsi honoré par l’univers entier.

L’hommage au Père se déroule ensuite en une série de trois acclamations admiratives qui chantent la divinité du Père, sa royauté céleste, sa paternité toute puissante : Dómine Deus, Rex cæléstis, Deus Pater omnípotens.

Et dès que la paternité est mentionnée, on en vient tout naturellement à évoquer le Fils. C’est la deuxième partie, de loin la plus prolixe, ce qui fait dire que le Glória est bien une hymne christologique avant tout. Le rattachement à la partie précédente est on ne peut plus clair, puisque le premier attribut du Fils qui est chanté, c’est précisément sa filiation : Dómine, Fili unigénite, Jesu Christe. Ou plus exactement, la filiation de Jésus est affirmée dans le contexte de sa divinité (Dómine) qui fait de lui le Fils vraiment unique, à un titre absolument incomparable. Il est Seigneur, il est Dieu lui-même, et voilà pourquoi il est le Fils Unique.

La divinité de Jésus est affirmée ensuite de façon encore plus explicite à travers les mots : Dómine Deus, Agnus Dei, Fílius Patris. La mention de l’Agneau est extrêmement touchante : entre les deux affirmations de la divinité du Verbe et de sa filiation, au cœur donc des relations trinitaires, se trouve l’Agneau, c’est-à-dire, la victime du sacrifice. C’est le salut en personne qui est ici évoqué, et ce salut nous insère à notre tour de façon si délicate dans l’amour trinitaire qui a décrété l’Incarnation Rédemptrice.

Par le jeu d’un emboîtement subtil, le thème de l’Agneau, annoncé dans la strophe précédente, devient l’objet de la strophe suivante. Ici, c’est la parole du Précurseur, Saint Jean-Baptiste, qui résonne dans le Glória : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » (Jean, 1, 29) Les trois invocations qui suivent, de type litanique (miserére nobis est la traduction latine de eléison) unissent l’hommage des fidèles à leur supplication : Qui tollis peccáta mundi, miserére nobis ; qui tollis peccáta mundi, súscipe deprecatiónem nostram ; qui sedes ad déxteram Patris, miserére nobis. Elles soulignent la dimension rédemptrice de l’Incarnation. C’est pour le salut des hommes que Dieu s’est fait chair et a planté parmi nous sa demeure.

Là encore, un bel emboîtement permet de passer à la suite. Les trois invocations précédentes se sont achevées par une affirmation de la divinité du Christ : il siège à la droite du Père. L’hommage qui suit, toujours de facture trinitaire, chante la sainteté, la seigneurie, la transcendance du Christ : Tu solus sanctus, tu solus Dóminus, tu solus Altíssimus, Jesu Christe. La sainteté doit être prise au sens fort de séparation, de transcendance. c’est le sens biblique de ce mot, qui a glissé progressivement vers une notion plus « humaine », devenant plutôt l’expression d’une perfection morale, à l’image de celle de Dieu. Ainsi, ces trois affirmations sont comme des synonymes, et renchérissent de l’une sur l’autre.

On peut admirer la belle structure de cette partie christologique du Glória : le chiffre 3 ressort constamment :

– Les deux premières affirmations contiennent chacune trois titres : Dómine (1), Fili Unigénite (2), Jesu Christe (3) ; Dómine Deus (1), Agnus Dei (2), Fílius Patris (3).

– Les invocations sont également au nombre de trois : Qui tollis peccáta mundi, miserére nobis (1) ; qui tollis peccáta mundi, súscipe deprecatiónem nostram (2) ; qui sedes ad déxteram Patris, miserére nobis (3).

– Enfin, les dernières affirmations sont également au nombre de trois : Tu solus sanctus (1), tu solus Dóminus (2), tu solus Altíssimus, Jesu Christe (3).

Reste la dernière phrase, ajoutée postérieurement, comme on l’a dit, mais qui signe admirablement cette hymne si trinitaire dans sa forme, en mentionnant l’Esprit-Saint, intercalé entre le Fils et le Père. Là encore l’ordre des personnes divines est important. Tout est parti du Père, et tout revient au Père, par le Fils, dans l’Esprit.

Un moine de Triors

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