La pause liturgique : Introit Introduxit vos (Lundi de Pâques)

Publié le 08 Avr 2023
Rentrer dans le mystère de Noël par le grégorien L'Homme Nouveau

Le Seigneur te fera entrer dans un pays ruisselant de lait et de miel, alléluia. Afin que la loi du Seigneur soit toujours dans ta bouche, alléluia, alléluia.

Rendez grâce au Seigneur, proclamez son nom, annoncez parmi les peuples ses hauts faits.

(Exode, 13, 5, 9 ; Psaume 104, 1)

Commentaire spirituel

Voici un introït qui porte bien son nom puisque son tout premier mot est précisément celui qui définit cette pièce du propre de la messe qu’on nomme chant d’entrée (Introdúxit). Ce mot convient en outre éminemment aux célébrations pascales, puisque la pâque signifie précisément le passage : passage de la mer rouge, passage du Jourdain, passage de la mort à la vie, passage de l’esclavage à la liberté, passage en terre promise : introdúxit. On pourrait dire que nous sommes en présence d’un introït par antonomase. C’est le chant d’entrée par excellence : non seulement il nous introduit dans la célébration de la messe, mais il chante le fait de l’introduction du Peuple de Dieu dans le pays que Dieu a promis à nos pères comme à toute l’humanité. Pâques nous fait rencontrer le ressuscité, la vie nouvelle et définitive. En chantant donc cet introït, nous sommes au cœur du dessein divin du salut, nous entrons de plain-pied dans le mystère pascal.

Pourquoi n’avons-nous pas chanté cet introït le dimanche de Pâques ? Parce que ce jour-là, l’Église était soucieuse de boire à la source de l’événement pascal. Le chant d’entrée de Pâques, le célèbre introït Resurréxi, nous a fait vivre le dialogue sublime qui s’est établi entre le Père et le Fils lorsque ce dernier, après sa Passion et sa descente aux enfers, est venu dans le tombeau reprendre son corps mortel et lui communiquer la vie éternelle. Par ce chant, nous avons été introduits dans l’immense mystère de l’amour trinitaire, nous avons été rendus contemporains et témoins du moment le plus solennel de toute l’histoire humaine : le moment où Jésus a ouvert les yeux à la Vie éternelle, laissant sur le suaire qu’il a littéralement traversé sans le toucher, la marque de feu, indélébile et inanalysable scientifiquement, qui défie la raison et provoque notre foi. Il fallait célébrer Pâques au tombeau, dans l’intimité divine, avant de s’émerveiller des beautés de la terre promise dans laquelle, à la suite de Jésus, nous serions invités à pénétrer. Tout comme il fallait célébrer Noël, à la messe de minuit, dans l’intimité de la naissance éternelle du fils au sein du Père, avant de voir le vrai Soleil de justice se répandre dans le monde avec la messe du jour.

Mais voilà, Jésus est ressuscité et il nous entraîne derrière lui et il nous parle mieux encore que Moïse qui, s’adressant au peuple juif, le préparait à passer du désert en terre promise. Le compositeur de cet introït a pris deux petits versets du chapitre 13 du livre de l’Exode, il les a unis en changeant le temps du premier verbe, en le faisant passer, lui aussi, du futur au passé simple : « Le Seigneur te fera entrer… » est devenu, au seuil de la nouvelle alliance : « Le Seigneur t’a fait entrer (introdúxit) ». La Pâque ne peut être que l’œuvre du Seigneur, c’est dit explicitement dès le début de l’introït, et c’est répété avec le psaume 104 qui, retenu pour servir de verset à ce chant d’entrée, le proclame hautement lui aussi : « annoncez parmi les peuples ses hauts faits. »

À qui s’adresse ce chant d’entrée ? À tous les chrétiens, bien sûr, à tous ceux qui viennent de célébrer la fête de Pâques et qui ont accompagné le Christ dans sa Passion, sa mise au tombeau et sa résurrection. Tous, nous sommes invités par Dieu à entrer dans cette terre promise de la vie nouvelle dans le Christ, à y entrer avec une immense joie dans le cœur parce que nous avons vu de quel amour nous avons été aimés, enfantés, sauvés, rachetés. La joie pascale est notre trésor, c’est une acquisition du Seigneur qui nous est aussitôt transmise : « je vous ai dit cela… (on pourrait traduire : j’ai fait tout cela)… pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jean, 15, 11). Mais encore, de façon toute particulière, ce chant d’entrée est celui des nouveaux baptisés, ces néophytes comme on les appelle, qui ont été catéchumènes, c’est-à-dire enseignés, préparés, tout au long du Carême, afin de recevoir le salut dans le sacrement du Baptême. Ces nouveaux chrétiens, ces nouveaux-nés attendrissaient le cœur de pasteur de Saint Augustin : « Quoique je désire que mes paroles profitent à l’Église tout entière, toutefois c’est à vous spécialement que je les adresse, ô mes bien-aimés néophytes, qu’une nouvelle et sainte naissance vient de jeter dans une vie nouvelle. Pour vous, ma sollicitude est d’autant plus grande que la grâce vient de vous embellir d’une innocence plus parfaite. »

Enfin, ce chant d’entrée convient aussi aux pénitents qui ont lutté durant tout le Carême pour se purifier de leur fautes et qui ont désiré recevoir le pardon du Seigneur en ne ménageant pas leur peine afin d’exprimer à Dieu leur attachement et leur contrition. Ceux-là aussi sont les bien-aimés du Seigneur qu’il conduit vers la terre promise de la vertu et du bonheur.

Ce chant d’entrée est tout à la joie de l’Église qui, comme une mère, s’adresse à tous ses enfants pour leur redire avec allégresse l’amour du Père.

Introduxit vos Partition introduxit

Commentaire musical

Ce bel introït possède un charme particulier qui le rend bien différent des nombreux introïts du Carême, expressifs, dans leur simplicité remarquable, à la fois du combat des âmes et de leur confiance en Dieu. Ici, tout est simple mais d’une simplicité radieuse. L’atmosphère spirituelle a complètement changé, et on est pour ainsi dire de l’autre côté du salut, on est en terre promise, on est dans la jouissance des biens promis. Cela se ressent dans le traitement mélodique de ce chant qui, quoique emprunté au 8ème mode et possédant de ce point de vue une belle fermeté qui est celle de la certitude absolue née de la contemplation de l’œuvre du Christ, se revêt d’une admirable insouciance, presque enfantine. Il y a beaucoup de légèreté dans ce chant et on peut y saisir quelque chose du ravissement des Hébreux découvrant cette terre promise si longtemps attendue, allant de surprise en surprise, et n’en revenant pas de l’immensité et de la richesse de ce cadeau. La transposition chrétienne est facile et en chantant cet introït, nous pénétrons nous aussi dans une terre nouvelle, celle de la vie pascale, celle de la miséricorde divine, celle du Cœur de Jésus, celle de la vie profonde des sacrements. Deux phrases mélodiques se partagent cette pièce, toutes deux ponctuées par l’alléluia qui retrouve tous ses droits et en profite à profusion.

L’intonation ressemble à une entrée mystérieuse, à une découverte progressive et comblante. Elle visite presque toutes les cordes de l’échelle, depuis le Ré initial, jusqu’au Do aigu, à l’exception du Mi. Il convient donc de partir piano, puis de ménager un beau crescendo qui doit traduire l’émerveillement des enfants de la Mère Église à mesure qu’ils pénètrent dans la vie pascale. La fermeté de Dóminus, très appuyé sur la tonique Sol du 8ème mode, est là pour nous assurer de la fiabilité de l’œuvre accomplie par le Seigneur. Les mots suivants, in terram fluéntem lac et mel, qui évoquent l’Eucharistie bien sûr, et avec elle tous les trésors de la vie spirituelle et de l’intimité divine, sont enveloppés dans une mélodie merveilleuse de simplicité, de fluidité, qui donne une idée de la joie extatique et pure des néophytes communiant pour la toute première fois. Cette mélodie évoque avec beaucoup de délicatesse et de finesse plus qu’elle ne décrit cette réalité, d’ailleurs très intérieure et donc très cachée. C’est la grâce du chant grégorien, art plutôt roman, de guider les âmes vers l’essentiel au moyen de l’art en suggérant seulement, en s’insinuant doucement sans violenter par une interprétation obvie rendue trop évidente. L’art roman comme l’art grégorien ont ce don de manifester purement le sacré sans le dévoiler totalement, mais au contraire en suscitant le désir d’y pénétrer plus entièrement par une quête spirituelle. On a là, avec cette mélodie finement évocatrice, un bel exemple de ce qui vient d’être dit. Un premier alléluia joyeux et ferme ponctue cette première phrase mélodique.

La seconde phrase a un caractère plus moral, plus d’ordre parénétique. Il est fait mention de la loi du Seigneur à laquelle les néophytes et tous les chrétiens doivent se conformer, qu’ils doivent porter dans leur cœur et sur leurs lèvres et traduire dans leur vie, jour après jour. L’élévation mélodique de lex Dómini, après les deux petits punctums légers du début qui permettent de reprendre du mouvement au début de la phrase, manifeste la hauteur morale à laquelle sont appelés les néophytes, et aussi la fermeté qu’ils doivent conserver dans leur propos chrétien, symbolisée par la solidité de la corde Do très présente sur Dómini. La belle insistance sur le mot semper, qui coïncide avec le sommet mélodique, bref mais intense, de toute la pièce, marque le caractère indélébile du baptême et la permanence du programme spirituel qui en découle. Le verbe sit, placé sur la corde Sol, la tonique du 8ème mode, traduit le ferme réalisme de cette nouvelle vie qui s’impose à tous ceux qui viennent de vivre la Pâque. On retrouve cette fermeté sur les trois tons pleins, Fa-Sol-La-Si, qui forment la mélodie de in ore vestro. Le mode de la plénitude trouve ici une magnifique expression dans sa correspondance avec un texte qui est à la fois une promesse, une invitation engageante et un commandement bien net. La finale de vestro, située sur la corde La, introduit tout naturellement les deux alléluias qui ponctuent joyeusement la pièce : le premier est tout en légèreté gracieuse et enthousiaste, entre le Do et le Sol, le second est plus grave, plus ferme, entre le Fa et le La, donc autour de la tonique Sol. Si l’on regarde la mélodie de Dóminus, à la fin de l’intonation, celle de l’alléluia de la première phrase, et celle de ce dernier alléluia, on constate la présence d’une même cadence, bien posée, bien ferme, qui donne un caractère solide à toute cette pièce.

Le verset jaillit avec enthousiasme pour inviter les néophytes à se faire sans tarder chantres et missionnaires de la bonne nouvelle qui les a touchés, convertis, et lancés dans la sainte carrière de la vie chrétienne.

Pour écouter cet introit : 

un moine de Triors

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