Vincent Peillon est philosophe de métier. Il a développé sa pensée dans plusieurs ouvrages qu’il suffit de lire pour saisir les principes qui l’animent et le but qu’il poursuit. Vincent Peillon est un fin connaisseur de la tradition républicaine. Il a écrit sur Ferdinand Buisson, le principal collaborateur de Jules Ferry, celui qui a régné sur l’enseignement primaire de longues années et qui a théorisé et organisé la politique scolaire des Républicains. Il a écrit sur Jaurès, notamment sur son socialisme conçu comme une nouvelle religion. Dans son livre La Révolution française n’est pas terminée, il étudie entre autres l’œuvre d’Edgar Quinet, un des chefs républicains de 1848, théoricien de l’école laïque et à ce titre inspirateur de Jules Ferry. Dégageons la préoccupation commune à tous ces auteurs et hommes politiques : la constitution d’une « religion laïque ». Qu’entendre par une telle expression et quel lien cela entretient-il avec « la refondation de l’école » que notre ministre appelle de ses vœux ?
Il y a parfois une compréhension superficielle de la tradition républicaine comme si celle-ci était intrinsèquement liée à l’athéisme et au positivisme. Loin d’être tous athées ou agnostiques, les penseurs et les chefs républicains sont souvent animés par un élan, une aspiration religieuse dont il faut déterminer avec précision la nature.
Cette religion ou plutôt cette religiosité s’enracine dans une quête d’infini, dans un sentiment d’aspiration à l’idéal. Elle n’est pas l’adhésion ferme de la raison à une Révélation s’incarnant dans un culte honorant un Dieu personnel et transcendant. Héritière le plus souvent du protestantisme libéral, elle considère le Christ comme l’idéal de la moralité humaine et non pas évidemment comme Dieu fait homme. Elle est farouchement anticatholique et anticléricale en tant qu’elle considère l’Église de Rome comme incarnant le principe d’autorité et partant la démission de la raison humaine autonome et souveraine.
La laïcité devient religieuse lorsqu’elle est comprise et pratiquée comme un exercice de l’esprit par lequel chaque citoyen est appelé à dépasser le concret de son expérience commune pour tendre vers des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Puisque le présupposé est qu’un idéal n’est jamais comme tel réalisé, la tension est donc perpétuelle entre le fait et l’idéal. C’est pour cette raison que, comme l’affirme Vincent Peillon, la Révolution ne peut jamais être vue…