Les doctrines de René Guénon et Julius Evola, deux auteurs pourtant fondamentalement antichrétiens, bénéficient d’une image positive chez certains catholiques. À la faveur d’une confusion autour d’un mot, d’un refus commun de la modernité, de la séduction de l’ésotérisme ou d’une certaine vision de l’Histoire.
Nous savons ce qu’est pour un catholique la Tradition, avec une majuscule, qui désigne la Révélation divine reçue et transmise oralement puis par écrit, ainsi que son interprétation par le magistère de l’Église. Nous savons aussi que, dans le domaine politique, le traditionalisme est généralement rattaché à la défense de la France charnelle, à la transmission de l’héritage reçu, contre la conception volontariste de la nation. Ces divers usages du mot tradition se rejoignent dans une forme d’antimodernisme, que revendique également une tout autre école intellectuelle appelée la pensée traditionnelle.
Une tradition primordiale
C’est à un Français, René Guénon (1886-1951), que l’on doit l’idée de tradition primordiale, fondement de ce courant intellectuel. Selon cet auteur, il existe, nous dit Xavier Accart, « une vérité métaphysique sous-jacente à toutes les grandes traditions spirituelles » [1]. Le christianisme, l’islam, les religions hindouistes et bien d’autres ne sont que des manifestations particulières et partielles de la tradition primordiale, ce qui vaut aussi pour des mouvements ésotériques comme la franc-maçonnerie. La religion de Jésus-Christ n’aurait donc aucune valeur spirituelle propre, puisqu’elle ne serait qu’une expression limitée d’une vérité qui la précède ! Converti à l’islam (il prit le nom d’Abd al-Wâhid) et initié au soufisme, Guénon mourut au Caire, estimant que c’est en Orient que se trouvaient encore quelques traces du véritable esprit traditionnel. Il considérait que l’histoire était cyclique, chaque cycle suivant un parcours régressif, du haut (spirituel) vers le bas (matérialisme), en quatre phases distinctes. En 1927, il écrivait que nous sommes plongés depuis six mille ans dans l’âge sombre, le Kali-Yuga [2], qui toucherait à sa fin, avant un nouvel âge d’or. Mêlée d’orientalisme, de brahmanisme, d’ésotérisme, la pensée inclassable de Guénon servit de fondement intellectuel à de nombreux (et très divers) auteurs, comme l’Italien Julius Evola (1898-1974), qui ajouta à la pensée de Guénon des éléments qui ne s’y trouvaient pas initialement, tout en reprenant la conception cyclique de l’Histoire (avec la régression dans chaque cycle) et l’ésotérisme fortement marqué par l’influence orientale.
Le peuple hyperboréen
Evola considère que la tradition primordiale provient du nord de l’Europe, portée par…