Le Conseil d’Etat a rappelé l’illégalité du confinement du culte

Publié le 22 Mai 2020
Le Conseil d'Etat a rappelé l'illégalité du confinement du culte L'Homme Nouveau

Le 18 mai, le juge des référés du Conseil d’État a ordonné au gouvernement de lever l’interdiction de réunion dans les lieux de culte, en vigueur depuis le 15 mars, et de prendre des mesures pour que ces rassemblements se tiennent dans les conditions sanitaires adaptées à la situation du pays.  Maitre Jérôme Triomphe avait déposé une requête en ce sens au nom de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, l’une des associations mobilisées dans cette action en justice. Il revient pour nous sur la décision du Conseil d’État. 

Entretien avec Maitre Jérôme Triomphe, avocat
Propos recueillis par Odon de Cacqueray

Êtes-vous satisfait de la décision rendue lundi par le Conseil d’État ?

Oui tout à fait. Le Conseil d’État rappelle très sévèrement au gouvernement que le confinement du culte est gravement illégal. Nous aurions sûrement préféré que le gouvernement doive prendre de nouvelles mesures sous 24 heures ou 48 heures. Mais sont rappelées la gravité manifeste du confinement du culte et l’obligation pour le gouvernement de lever cette interdiction générale et absolue. Je crois que cet arrêt solennel marque des jalons pour l’avenir. Plus aucun gouvernement ne pourra prendre des mesures similaires à celles qui nous ont été imposées par le gouvernement actuel. Au fond, c’est le rappel ferme de principes que nous n’aurions jamais cru devoir défendre devant une cour de justice. 

Le recours n’aurait-il pas pu être déposé plus tôt ? 

Non, et le Conseil d’État le rappelle : des interdictions peuvent être justifiées mais à condition d’être proportionnées et nécessaires à la protection de l’ordre public sanitaire. Le 23 mars, la majorité des premières mesures de confinement ont été prises de manière très générale, à une époque où les services de réanimation étaient surchargés. Il aurait été inopportun et infondé d’attaquer le confinement du 23 mars et le Conseil d’État aurait évidemment rejeté tout recours au nom de l’ordre public sanitaire comme cela apparaît dans son ordonnance du 18 mai. En revanche, tout est devenu très différent lorsque le gouvernement a décidé du déconfinement le 11 mai tout en maintenant l’interdiction du culte public dans les lieux de culte.
Des activités tout à fait légitimes étaient déconfinées, mais, dans le même temps était maintenu le confinement d’une liberté fondamentale, constitutionnelle et même conventionnelle (au regard de la Convention Européenne des Droits de l’Homme), qu’est la liberté de culte. C’est ce que rappelle solennellement le Conseil d’État : la liberté fondamentale du culte a une place prééminente aux côtés des autres libertés fondamentales. Cette liberté, l’État doit non seulement la permettre mais également en garantir l’exercice.

L’homme ne vit pas que de pain et d’eau, mais également de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deutéronome 8, 3). Ce gouvernement – il ne faut pas s’en étonner – a cru qu’il pouvait confiner le culte parce qu’il voit la messe comme un simple rassemblement. Il a décrété que les besoins de l’homme ne sont que physiques alors qu’ils sont également psychologiques et surtout spirituels. Il ne sait pas ce qu’est un sacrement, ce qu’est la messe. Il ne sait pas que la messe est le renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ sur la Croix. Il ne sait pas ce qu’est la communion sacramentelle au corps et au sang du Christ… Il ne sait pas que c’est une nourriture essentielle pour les catholiques : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean, 6, 54). C’est assez consternant d’avoir comme ministre des cultes un ministre inculte. 

En attendant les nouvelles mesures du gouvernement, les prêtres peuvent-ils de nouveau accueillir des fidèles ? 

C’est toute la difficulté de cette situation un peu bancale. Le confinement du culte étant jugé gravement illégal, le gouvernement doit changer sa réglementation sous huit jours. Cependant, même jugé gravement illégal, l’article 10-III existe toujours jusqu’à ce qu’il soit modifié et il reste quelques jours au gouvernement pour le faire. Et c’est tout le paradoxe de cette situation : si un juge pénal avait à juger de poursuites contre un prêtre ou de fidèles, il devrait au préalable apprécier – sur le fondement de l’article 111-5 du code pénal qui serait soulevé par la défense – la validité ou non de cet article 10-III du décret du 11 mai dont le Conseil d’État a de son côté jugé qu’il était manifestement illégal. Ceci étant, rien n’empêche les prêtres – et certain d’entre eux le font – d’aller dans des propriétés privées, des jardins privés, y célébrer la messe pour certains de leurs fidèles. Cette possibilité révèle une autre absurdité du décret en vigueur. Plutôt que de soumettre le contrôle et l’application de mesures sanitaires aux affectataires dans leurs églises, il pousse les prêtres à aller dans les familles où ils ne pourront pas respecter l’ensemble des mesures sanitaires. Nous sommes ici dans l’à peu près et l’incohérence. C’est consternant.

Ne peut-on pas craindre un nouveau décret encore très sévère ?

Ce n’est pas possible. La haute juridiction a dit que les mesures du gouvernement étaient illégales et lui a ordonné de libérer le culte en prenant des mesures pour endiguer l’épidémie, si le gouvernement dans ses nouvelles dispositions maintenait des restrictions disproportionnées à l’encontre du culte, le Conseil d’État serait encore plus sévère. Il a évidemment des moyens de veiller à l’exécution de son arrêt et nous le saisirons immédiatement si nécessaire. La réalité, c’est que les évêques de France ont proposé, dès le 23 avril, un protocole sanitaire extrêmement précis et que celui-ci a été rejeté négligemment par le gouvernement. Tout est prêt sur la table du gouvernement, mais manifestement, il traîne des pieds. Si à l’expiration du délai de huit jours le culte n’est pas rétabli, nous saisirons à nouveau immédiatement le Conseil d’État pour exécution de son ordonnance. 

Vous parlez des évêques, il y a eu des prises de parole à titre personnel, mais la Conférence des évêques de France à fait montre d’un manque d’engouement suite à la décision. Comprenez-vous cette frilosité ? 

Il faut rappeler que la Conférence des Évêques de France (CEF) n’est pas une structure hiérarchique de l’Église mais une réunion des évêques. Seul l’évêque est responsable et décisionnaire pour son diocèse. Nous savons plusieurs d’entre eux voulaient agir par la voie du droit. Mais la collégialité de la Conférence des Évêques de France l’a refusé. Dans cette affaire, la CEF a commis l’erreur de vouloir dialoguer avec des gens qui ne comprennent rien à ce qu’est le culte et à sa nécessité. La CEF a voulu obtenir par la négociation ce qui constitue un droit. Force est de constater que la procédure a été menée par une famille spirituelle, celle des « catholiques traditionnels » de tous bord et des fidèles du bout du banc, y compris d’une paroisse diocésaine. Nous avons tous regretté l’absence des évêques. Mais ce faisant, la CEF s’est tirée une balle dans le pied. En dialoguant avec un gouvernement qui refusait de rétablir le bon droit du culte, elle a manifesté son illégitimité et son inutilité à représenter les catholiques. Car ce sont des prêtres et des catholiques du bout du banc qui ont obtenu du juge de l’Administration le bon droit que l’Administration a refusé de rendre aux évêques. La CEF en est aujourd’hui réduite à faire exécuter la décision que les catholiques ont obtenue à sa place. C’est la désolante leçon de cette affaire. 

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