Pendant tout l’été, des mariages ont été célébrés, donnant l’occasion à des réjouissances et à des retrouvailles familiales. Avec l’autorisation de son auteur, nous reproduisons ici l’allocution donnée par le Père Augustin-Marie Aubry, prieur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, lors de l’un de ces mariages estivaux.
Le mariage n’est pas une affaire privée, il est l’affaire de tous.
D’où nous vient la joie que nous éprouvons tous au moment où vous allez vous engager dans le lien sacré du mariage ?
Joie de votre bonheur, qui se lit sur vos visages.
Joie d’un engagement pris au pied de l’autel, entouré de vos témoins, sous le regard de Dieu et de l’Église.
Joie de deux familles qui se rapprochent à l’occasion de l’union de deux des leurs.
Joie des réjouissances qui accompagnent, comme de juste, la sainte cérémonie.
Tout cela est vrai, mais reste confus. Il est bon, au moment où vous allez vous engager de façon irrévocable, de quitter la confusion des idées. Je crois qu’il y a quelque chose de très sérieux derrière les grands chapeaux et les jolies toilettes. Je vais tâcher de l’exprimer, en assumant le risque de teinter d’une touche de gravité la joie générale de vos épousailles. Non pour éteindre la joie, mais au contraire pour lui donner plus de relief encore.
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I. Bâtir la Citadelle
Notre joie aujourd’hui a une cause très réelle, qu’il faut avoir la lucidité de regarder en face. Le mariage est une courageuse entreprise, insolente et hardie, qui s’attache à combattre trois maux terribles qui affligent l’existence humaine : la solitude, l’égoïsme, la mort. Je vous avais prévenus : une note de gravité.
Pour le bien saisir, il faut se placer dans la lumière du « premier soleil sur le premier matin » (Ève), pour parler avec les mots de Péguy. Dans cette lumière, rayonne le projet de Dieu sur l’humanité.
- Contre la solitude : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons-lui une aide semblable à lui » (Gn 2, 18).
- Contre l’égoïsme : « L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair » (Gn 2, 24-25).
- Contre la mort : « Dieu créa donc l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, et il les créa mâle et femelle. Dieu les bénit, et il leur dit : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre » (Gn 1, 27-28).
Le mariage est une expression de la lutte pour la vie, avec les enfants qu’il laisse espérer. Il contrarie cette pente inscrite dans le cœur humain depuis le péché originel : pente à l’égoïsme, à l’égocentrisme, au narcissisme, qui tue la vie sociale et qui détruit en nous l’image de Dieu. Cette image n’est pas un miroir de soi-même, mais le miroir d’une perfection reçue, reçue du Créateur. Le mariage chasse enfin ce mal de la vie humaine qu’est la solitude.
En vous mariant, vous dites à tous : nous nous engageons à combattre la mort en donnant, si Dieu l’accorde, de nouveaux membres à la société et à l’Église ; nous nous engageons à combattre l’égoïsme en nous donnant sans retour l’un à l’autre ; nous nous engageons à combattre la solitude en nous soutenant fidèlement pour toujours.
Cet engagement réciproque ne se borne pas à vos deux existences. Nous sommes tous bénéficiaires de cette protestation contre la mort, contre l’égoïsme, contre la solitude ; de cette attestation pour la vie, pour le don, pour la société.
Le mariage n’est pas une affaire privée, il est l’affaire de tous. Oui, le mariage est véritablement « pour tous », c’est-à-dire au bénéfice de tous, de toute la société, quand il est conforme à sa nature, à savoir l’union indissoluble d’un homme et d’une femme, union fidèle et féconde, ouverte généreusement à la vie, sans fraude contre les lois saintes de l’union conjugale.
Un mariage, un mariage authentique, est au bénéfice de la société tout entière. En vous mariant, vous rendez service à la société, vous nous rendez service, un service public, et nous vous en sommes reconnaissants. Et cette reconnaissance se manifeste dans notre joie d’être témoins de votre engagement. D’où les grands chapeaux et les jolies toilettes.
Dans votre mariage, dans tout mariage authentique, nous célébrons la condition de notre continuité. Se marier et engendrer, c’est donner à d’autres l’honneur d’expérimenter l’aventure humaine, c’est donner à d’autres la possibilité de faire aussi bien et mieux que leurs devanciers. Se marier, c’est un grand acte d’espérance, spécialement dans une société – et une ambiance culturelle – qui a restreint sa capacité de désir à l’instantané, en l’amputant de sa projection naturelle vers le futur à investir.
Avec le mariage, vous célébrez le passé, car vous êtes les dividendes de ceux qui ont cru avant vous au mariage. Vous construisez l’avenir, car vous investissez sur ce qui viendra après vous.
Ce faisant, vous donnez à la société ses fondations, vous bâtissez la Citadelle. Je vous cite un passage du roman éponyme de Saint-Exupéry :
« J’ai connu des fils qui me disaient : “Mon père est mort n’ayant point achevé de bâtir l’aile gauche de sa demeure. Je la bâtis. N’ayant point achevé de planter ses arbres. Je les plante. Mon père est mort me déléguant le soin de poursuivre plus loin son ouvrage. Je le poursuis. Ou de demeurer fidèle à son roi. Je suis fidèle.” Et je n’ai point senti dans ces maisons-là que le père fût mort. » (Citadelle, CCXIX)
Voilà la cause de notre joie : le mariage est chant pour la vie, le futur et l’espérance. Ne vivez pas au-dessous de ce que vous professez aujourd’hui.
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II. Former la Cité sainte
Le mariage est une institution naturelle et nous venons de le rappeler. Or cette institution naturelle, qui apporte tant et de si grands biens, est si précieuse au cœur de Dieu que Notre Seigneur l’a élevé au rang de sacrement.
De cette volonté de Jésus découlent deux choses.
La première, c’est que tout ce que nous avons rappelé avant acquiert une valeur surnaturelle, et devient méritoire de la vie éternelle. Pour parler comme saint Augustin (De bono conjugali, XXIV, 32), les trois biens du mariage – les enfants, la fidélité donnée, le lien sacré indissoluble – sont désormais votre moyen de marcher vers le Ciel. Le mariage sera désormais votre voie de sainteté. On y avance à deux, même si chacun conserve son jardin secret spirituel.
La deuxième conséquence du sacrement, c’est que le mariage n’est plus seulement la lutte contre les maux de l’existence et le gage d’un bonheur légitime ici-bas, il devient figure, image d’une réalité céleste, l’union du Christ et de l’Église. C’est une union qui commence au calvaire (cf. Ep 5, 25-28) et qui s’achèvera à la parousie (cf. Ap 22, 17). Dans cette lumière du mystère de la rédemption, l’époux devient image du Christ, l’épouse image de l’Église.
Comme le Christ est chef de l’Église, le mari est le chef de famille (cf. Ep 5, 23), et l’épouse est le cœur de famille. Il faut que la tête et le cœur communiquent pour que la famille forme un corps vivant. Cela ne dit pas que l’épouse est sans jugement et le mari sans cœur, mais qu’il y a un ordre dans la famille, et que cet ordre exprime le dessein divin : « ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ » (Ep 1, 10).
Voilà l’autre cause de notre joie : le mariage est une image de la Cité céleste et de la joie des élus.
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Un conseil, pour finir, que je tire d’une expression de Saint-Exupéry dans Citadelle. Vous savez, il s’y exprime par aphorisme et de manière parabolique. Sa prose, dans un style tout biblique, ouvre des horizons d’interprétation aussi larges que le désert où se construit la Citadelle : « Je veux bâtir le cérémonial de l’amour afin que la fête me conduise ailleurs » (Citadelle, CCIV). Vous allez vous marier, comme dit le prêtre, « selon le rite de notre mère la sainte Église ». Cette dimension de rite est essentielle à ce qui veut perdurer, demeurer, continuer, dans la tradition et l’inventivité.
Bâtissez chaque jour « le cérémonial de l’amour », dans la fidélité, le sacrifice et la joie !
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