Le naufrage de l’industrie du livre

Publié le 20 Mai 2015
Le naufrage de l'industrie du livre L'Homme Nouveau

En quatre ans, le nombre de maisons d’édition a diminué de 5 %, alors que l’offre des éditeurs n’a cessé d’augmenter. Le livre commercial des auteurs à la mode ou des auteurs à scandale n’empêche pas le déclin des maisons d’édition.

L’offre des éditeurs n’a cessé d’augmenter, à cause notamment de la diminution considérable des coûts de production (via les progrès du numérique), la demande des lecteurs suit de moins en moins, créant un système vicieux de cavalerie par lequel les éditeurs sont incités à publier toujours plus pour compenser leurs pertes dans une fuite en avant inquiétante. Le nombre de titres proposés n’a cessé ainsi de croître : + 10, 6 % en 2013, soit plus de 95 000 titres disponibles en plus, dont une hausse de 4,3 % des nouveautés. Mais le chiffre de livres vendus a baissé de 3,2 % (427 millions) avec un chiffre d’affaires en baisse de 3 % (2 687 millions).

Une chute libre

Encore faut-il savoir qu’en ce qui concerne la fiction française par exemple (1), dix écrivains seulement représentent 26 % des ventes totales (8,4 millions d’exemplaires vendus pour un chiffre d’affaires de 101 millions), selon le cabinet d’études marketing GfK. Parmi lesquels les inévitables Musso, Levy ou Pancol. Si ce « top ten » (les dix premiers) connaît une croissance de 23 % (faussant considérablement la donne), tout le reste de la production éditoriale connaît plutôt une chute libre. La loterie des best-sellers n’est pas complètement le fruit du hasard mais souvent le résultat d’un marketing savamment étudié avec une onéreuse promotion médiatique et un système de grosse diffusion ad hoc. Un livre acheté ne signifiant pas d’ailleurs un livre lu…

La plupart des clients achètent aujourd’hui les livres vedettes de maisons d’édition puissantes par un phénomène de mode (que favorise en outre le jeu des prix littéraires). Ils achètent leur dernier livre comme leur dernier vêtement de marque, car le livre est devenu un objet de consommation comme un autre. Ne comptent pour eux que les livres dont on a vu abondamment les auteurs à la télévision ou dont les ouvrages font l’objet d’une publicité outrancière et d’une présentation ostentatoire dans les grandes surfaces. Cela ne marche pas toujours (cf. les échecs de BHL…), mais cela oriente considérablement les statistiques de la loterie… Dans cet esprit, comme pour les politiciens, la question de la plupart des éditeurs n’est plus : « Qu’est-ce qu’on peut proposer de vrai, de bon ou de beau ? », mais : « Qu’est-ce qui marche aujourd’hui ? ». Le savoir­faire de la « com » et le faire-savoir du « marketing » priment le contenu du livre et l’art de l’éditeur, à la manière de l’art contemporain… Ce par quoi je connais un livre (son image) a plus d’importance que ce qu’il dit vraiment. L’habileté artificielle de son succès médiatique passe avant sa valeur intrinsèque.

Les bons livres aux oubliettes

Assurément quelques bons livres passent à travers ce crible, mais seulement parce qu’ils se vendent bien. Et l’on invite d’autant plus ses auteurs sur les plateaux qu’ils « vendent », passant outre le fait qu’ils soient politiquement incorrects. Mais pour ces quelques livres ayant ainsi franchi le mur du son médiatique et de la pensée unique, combien d’autres, tout aussi excellents, seront passés aux oubliettes de la reconnaissance à cause d’un système qui concentre toujours plus le succès et la richesse aux mains de quelques-uns et accroît toujours plus les infortunes et la pauvreté des autres dans un écart aussi scandaleux que celui du salaire des grands patrons et de leurs employés… Nous l’avons déjà dit : il y a pour les petits éditeurs le même problème analogiquement que pour les petits artisans face à la production industrielle : quelle que soit la qualité de leurs « produits », ils sont victimes de la sélection artificielle du capitalisme libéral, les gros étouffant les petits, sous la loi du seul profit. Ce qui est un drame pour la production artisanale ou paysanne l’est encore plus pour la production culturelle. D’où l’urgence de réfléchir à des voies alternatives pour rompre avec cette dérive mercantile de l’industrie du livre.   

1. Chez les 53 % de Français qui achètent au moins un livre par an, la préférence va d’abord au roman avec 25 % des ventes, puis aux livres pour la jeunesse : 21 %, aux ouvrages dédiés aux loisirs et à la vie pratique : 13 %, à la BD : 6 %, enfin aux essais et aux documents d’actualité : 3 %… Mais en quatre ans, le roman a perdu environ 6 % de lecteurs et les livres pratiques 11 %.

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