Élection oblige, notre confrère La Croix s’est récemment souvenu qu’il existe une doctrine sociale de l’Église. Dans son numéro du 10 avril dernier, ce quotidien a voulu en rappeler les principes concernant la famille, l’Europe, l’immigration, l’emploi, la sécurité et le développement durable. Il n’est pas inintéressant de revenir sur quelques aspects évoqués dans ce numéro.
Une affaire d’opinion ?
À quoi sert cette doctrine sociale ? À lire le Père Henri Madelin, dans ce numéro de La Croix, la doctrine sociale de l’Église n’est là que pour aider à se construire une opinion. L’Église, qui a reçu du Christ la mission d’enseigner, est ainsi réduite à n’être qu’un organe de pression idéologique dans le grand débat démocratique. Une sorte de lobby, habillé seulement d’une antériorité et d’une expérience historique Il n’est nullement question ici de guider l’agir social et politique des catholiques pour qu’il régénère la société et la soumette au Christ-Roi.
De l’enseignement de Quas Primas et de la royauté sociale du Christ, rappelé dans le Catéchisme de l’Église catholique, il n’en est d’ailleurs nullement question. De la condamnation des grandes erreurs modernes (libéralisme, socialisme, etc.), quasiment pas davantage. Certains grands principes de cette doctrine de l’Église sont bien cités. C’est le cas notamment du « principe de subsidiarité », à propos de l’Europe. Alors que ce dossier de La Croix nous répète à l’envi que l’Église ne prend jamais position dans le débat politique, le jésuite Pierre de Charentenay souligne pourtant qu’elle « soutient sans réserve les deux piliers sur lesquels a été bâti l’édifice européen : la solidarité et la subsidiarité. » Oubliant (ou niant ?) au passage que le principe de subsidiarité dans sa version européiste répond à une logique inverse de celle de l’Église.
Évidemment, tout n’est pas faux dans cette présentation de la doctrine sociale de l’Église. Même à La Croix, on sent qu’une nouvelle génération – la fameuse génération Jean-Paul II – commence à prendre la relève. Elle n’hésite pas à rappeler l’opposition de l’Église à l’avortement et à l’euthanasie, souligne « le droit à ne pas émigrer » énoncé par Benoît XVI ou rappelle les critères de la guerre juste. Alors que manque-t-il ?
Un simple supplément d’âme ?
On ne reprochera pas au quotidien d’être incomplet. Impossible de ne pas l’être dans le cadre étroit d’un journal. Un quotidien n’est pas un traité. En revanche, il aurait été pertinent de rappeler que la doctrine sociale de l’Église n’est pas facultative (« Elle est obligatoire ; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et les mœurs », Pie XII, 29 avril 1945) en ses principes mais qu’elle appartient dans son application au champ du jugement prudentiel. La Croix a préféré se placer dans le registre de l’opinion, critère propre à la démocratie moderne, issue des Lumières et de la négation de la vérité.
En outre, il aurait fallu souligner que cette doctrine sociale constitue un tout cohérent. Passer sous silence l’un de ses principes contribue à déséquilibrer l’ensemble et à fausser la vérité de ce qu’il contient. De la même façon, en ne la replaçant pas dans la perspective du règne du Christ et de la primauté du bien commun, on court le risque de la transformer en simple supplément d’âme d’un système profondément anti-chrétien et de ce fait anti-humain.
Les catholiques ont-ils pour éternelle vocation de servir de bataillon d’appoint à un monde creux et vide ? Là aussi, il serait bon que, à l’imitation des Pèlerins d’Emmaüs, nos yeux s’ouvrent, en reconnaissant la souveraineté sans limite, ni politique ni sociale, du Christ ressuscité. La période est peut-être propice à un examen de conscience de ce côté-là ?