Le Sénat a examiné, dans la nuit du 16 au 17 juin dernier, la proposition de loi Claeys et Leonetti sur la fin de vie. Sur 156 amendements déposés, 22 ont été adoptés et le texte voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 mars « vidé de sa substance » selon le ministre de la Santé Marisol Touraine.
Le projet de loi sur la fin de vie adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 17 mars dernier ouvrait grand la porte d’une euthanasie qui ne disait pas son nom, porte déjà entrouverte par la loi Leonetti de 2005. Soumis à l’examen des sénateurs, le texte a été modifié de manière significative, notamment sur la question de l’alimentation et de l’hydratation artificielles. Des changements d’autant plus remarquables qu’ils contredisent la décision de la CEDH du 5 juin dernier validant l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert. Le vote solennel de la proposition de loi par le Sénat aura lieu le 23 juin prochain puis le texte sera soumis en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Rien, donc, n’est définitif dans les évolutions apportées au texte. Il est néanmoins intéressant d’en étudier la teneur.
Une version provisoire du texte de loi a été publiée, prenant en compte le travail des sénateurs (à consulter ici ).
La loi s’applique-t-elle seulement aux personnes en fin de vie ?
Le titre du projet de loi tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale était « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Il a été transformé en « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». Un changement très important puisqu’il implique que les pratiques de la sédation profonde, d’arrêt ou de limitation des traitements, s’appliquent aux malades dont le pronostic vital est engagé à court terme et non pas à tous les malades. Un cas comme Vincent Lambert, par exemple, échapperait alors de fait au cadre de cette loi.
Reste que le changement de titre a en fait une valeur symbolique puisque l’article 3 du projet de loi autorise la pratique de la sédation profonde pour deux types de malades : « le patient atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire à tout autre traitement » et le patient « hors d’état d’exprimer sa volonté (…) dont les souffrances sont jugées réfractaires ». Une disposition ambiguë puisqu’elle met sur le même plan une personne en fin de vie et une personne hors d’état d’exprimer sa volonté… Comme Vincent Lambert, par exemple.
L’hydratation et l’alimentation artificielles
L’article 2 du texte de l’Assemblée nationale qui considérait l’hydratation et l’alimentation artificielles comme des traitements a été modifié comme suit : « L’hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu’en fin de vie. » Un changement qui affirme qu’abreuver et nourrir une personne ne relève pas du curatif mais bien des soins dus à toute personne, et qui suit d’ailleurs la logique du Comité d’éthique qui précisait dans son avis du 5 mai 2014 que « Le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre ne caractérise pas à soi seul un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable. »
Mais c’est également un changement qui reste tout relatif puisqu’il est nuancé par la seconde partie de la phrase qui précise que ces soins « peuvent » – et non pas « doivent » – être maintenus jusqu’en fin de vie. De fait, dans certains cas, au demeurant assez rares, l’alimentation et l’hydratation artificielles deviennent si douloureuses pour le patient qu’il est préférable d’y mettre fin pour apaiser au mieux la douleur du malade. Dans ces cas-là, l’intention est bien de soulager et non pas de tuer. Il aurait donc fallu que le texte de loi précise que l’alimentation et l’hydratation artificielles doivent être maintenues jusqu’à la fin, sauf si elles altèrent de manière évidente l’état du patient.
La sédation profonde et continue jusqu’au décès
L’article 3 du projet de loi consacrait un droit à la sédation « profonde et continue jusqu’au décès », qui peinait à masquer les dérives euthanasiques qu’il pouvait engendrer. Les sénateurs ont donc supprimé la mention « continue jusqu’au décès », autorisant ainsi la sédation profonde (évidemment nécessaire quand les traitements ne permettent plus d’apaiser les souffrances du malade) tout en maintenant la possibilité pour le médecin de réévaluer régulièrement les besoins de son patient. Une modification du texte qui s’oppose clairement à l’euthanasie.
Les directives anticipées
Rendues contraignantes dans l’article 8 du projet de loi par l’Assemblée nationale, les directives anticipées ne doivent plus qu’être « prises en compte » par le médecin. Une décision qui donne au médecin de n’être plus seulement un prescripteur aux ordres du patient et de pouvoir s’y opposer s’ils contreviennent aux pratiques médicales autorisées.
Si les amendements votés par le Sénat viennent bousculer la ligne adoptée par la majorité à l’Assemblée nationale, ils n’ont rien de définitif et il y a fort à parier que les députés voteront, en deuxième lecture, un texte plus conforme à leur projet initial…