L’élection du pape

Publié le 12 Mar 2013
L’élection du pape L'Homme Nouveau

Qui peut légitimement élir le pape ? Alors que s’ouvre aujourd’hui le conclave, un petit rappel sous le plume du cardinal Charles Journet :

« Durant la vacance du siège apostolique, l’Église ne possède, sur le chapitre de la juridiction suprême, que le pouvoir de procéder, par la voie des cardinaux ou, à défaut, par d’autres voies, à l’élection d’un pape « Papatus, secluso papa, non est in Ecclesia nisi in potentia ministerialiter electiva, quia scilicet potest, sede vacante, papam eligere, per cardinales, vel per seipsam in casu. » Cajetan, De comparatione auctoritatis papae et concilii, cap. XIV, n° 210. Cajetan s’étonne ici des graves erreurs de Gerson.

I. Le sens de l’élection. –Toutce que peut alors l’Église, par rapport à la juridiction suprême, c’est de désigner celui sur lequel, en vertu des promesses évangéliques, Dieu la fera descendre immédiatement. « Le pouvoir de conférer le pontificat relève du Christ seul, non de l’Église, qui ne fait que désigner un sujet déterminé. » Jean de Saint-Thomas, II-II, qu. I à 7 ; disp. 2. a., n°9, t. VII, p. 128.

II. Le pape peut-il désigner immédiatement son successeur? –Il ne convientpas, tous les théologiens sont d’accord là-dessus, que la désignation d’un successeur soit faite par le pape lui-même. L’acte d’élire un pape, précède à la rigueur, l’exercice du pouvoir papal ; c’est donc à l’Église, non au pape, qu’il convient de l’exercer. Tel est en effet l’usage, conforme, dit Cajetan. A la prudence divine qui demande que chaque chose ait son temps. « Ne inquiets pour le lendemain, car le lendemain aura ses inquiétudes à lui, à chaque jour suffit son mal » (Mt., VI, 34). Mais tandis que, pour certains théologiens, l’élection directe d’un successeur par le pape serait invalide –par exemplepour Cajetan, Apologia de comparata auctoritate papae et concilii, cap. XIII, n° 736, suivant qui le pouvoir d’élire son successeur réside dans le pape non pas d’une manière formelle,apte à l’exécution (l’art du maçon réside dans le maçon), mais d’une manière éminente,inapte à l’exécution immédiate (l’art du maçon réside ainsi dans l’architecte),  – elle serait, pour d’autres théologiens, simplement contre-indiquée dans l’état présent des choses. L’histoire nous présente le cas de Félix IV, qui, en 530, choisit son successeur Boniface II. Mais ce dernier fut-il pape en vertu de l’élection ou en vertu de la ratification postérieure du clergé romain ? Cf. L. Duchesne, L’Église au VIe siècle, Paris,1925,pp. 142-146. A son tour, Boniface II fit promettre au clergé de maintenir après sa mort le choix qu’il faisait de Vigile pour son successeur ; mais, impressionné plus tard par les conséquences d’un tel acte, il le rétracta publiquement. Cf. T. Ortolan, Dict. de théol. Cath. art, Élection des papes, col. 2284

CHARLES JOURNET

III. En qui réside le pouvoir d’élire le pape? –Sile pape n’a pas à s’occuper de désigner directement son successeur, il lui appartient en revanche de modifier les conditions qui rendront l’élection valide « Le pape, dit Cajetan, peut décréter quels seront les électeurs, changer et limiter ainsi le mode l’élection, au point d’invalider ce qui passerait outre à de telles dispositions. » De comparatione auctoritatis papae et concilii,cap. XIII, n° 201. C’est ainsi que, nant un usage introduit par Jules II, Pie IX a promulgué que, s’il arrivait qu’un pape mourût pendant la célébration d’un concile œcuménique, l’élection du successeur serait faite non par le concile, lequel est aussitôt interrompu ipso jure,mais par le collège seul des cardinaux (Acta et decreta sacrosanti oecumenici concilii Vaticani,Romae, 1872, pp. 104sqq.). Cette même disposition est rappelée dans la constitution Vacante sede apostolica,de Pie X, 25 décembre 1904, n° 28.

Au cas où les conditions prévues seraient devenues inapplicables, le soin d’en déterminer de nouvelles échoirait à l’Église par dévolution, ce mot étant pris, comme le note Cajetan (Apologia de comparata auctoritate papae et concilii, XIII, n° 745),non pas au sens strict (c’est à l’autorité supérieure qu’il y a, au sens strict, dévolution en cas d’incurie de l’inférieur), mais au sens large, pour signifier toute transmission, même faite à un inférieur.

C’est au cours des disputes sur l’autorité respective du pape et du concile que s’est posée, au XVe et au XVIe siècle, la question du pouvoir d’élire le pape.  Voir sur ce point la pensée de Cajetan.

Il explique d’abord que le pouvoir d’élire le pape réside dans ses prédécesseurs, éminemment, régulièrement, principalement. Éminemment, comme les « formes »  des êtres inférieurs sont dans les anges, lesquels sont incapables pourtant d’exercer par eux-mêmes les activités des corps (Apologia,cap. XIII, n°736).Régulièrement,c’est-à-dire par un droit ordinaire, à la différence de l’Église dans sa viduité, qui ne pourrait déterminer elle?même un nouveau mode d’élection que « in casu », si la nécessité l’y contraignait.Principalement,àla différence l’Église veuve, en qui ce pouvoir ne réside que secondairement (n° 737). Pendant la vacance du siège apostolique, ni l’Église ni le concile ne sauraient contrevenir aux dispositions prises pour déterminer le mode valide de l’élection (De comparata…,cap. XIII, n° 202). Cependant, en cas depermission,par exemple si le pape n’a rien prévu qui s’y oppose, ou en cas d’ambiguïté,par exemple si l’on ignore quels sont les vrais cardinaux, ou qui est vrai pape, comme cela s’est vu au temps dugrand schisme, le pouvoir « d’appliquer la papauté à telle personne » est dévolu à l’Église universelle, à l’Église de Dieu (Ibid.,n) 204).

Cajetan affirme ensuite que le pouvoir d’élire le pape réside formellement –c’est-à-dire, au sens aristotélicien, comme apte à procéder immédiatement à l’acte d’élection – dans l’Église romaine, en comprenant dans l’Église romaine les cardinaux évêques qui sont en quelque sorte les suffragants de l’évêque Rome. C’est pourquoi,selon l’ordre canonique prévu,le droit d’élire le pape appartiendra de fait aux cardinaux seuls (Apologia,cap. XIII, n° 742).C’est pourquoi encore, quand les dispositions du droit canonique seraient irréalisables,ce serait aux membres certains de l’Église de Rome qu’il appartiendrait d’élire le pape. A défaut du clergé de Rome, ce serait à l’Église universelle, dont le pape doit être l’évêque (Ibid.,nos 741 et 746). »

Extrait de L’Église du Verbe incarné, Charles Journet, Desclée de Brouwer, 1955, pp. 622-623.

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