Notre quinzaine : les périphéries là où on ne les attend pas

Publié le 22 Mar 2023
périphéries

Dieu ne cesse de nous surprendre. Telle est souvent sa façon de procéder. Depuis l’origine du monde, il semble même qu’il s’agisse de son mode de communication de prédilection. Après tout, il aurait pu créer le monde dans le fracas impétueux d’un big bang, le retentissement explosif d’un O fortuna de Carl Orff. Non, il aura préféré le murmure d’une brise légère planant sur les eaux (Ge 1, 2).

Le Pharaon d’une Égypte au faîte de sa puissance n’a pas été renversé lors d’un combat iconique, à l’image de celui d’Achille contre Hector. Il aura été confondu par un gardien de chèvres des montagnes au pouvoir inattendu et invraisemblable, englouti dans les eaux de la mer Rouge refermée par Moïse.

Abraham marié à Sarah la stérile et finalement appelé à devenir le père d’une multitude, la fronde chétive du petit David atomisant le formidable Goliath, jusqu’à la venue du Messie tant attendu réalisée dans le secret d’une mangeoire et le dénuement d’une crèche ouverte aux quatre vents : toujours, Dieu se plaît à confondre les orgueilleux et les superbes. Jamais il ne se lasse de battre en brèche nos plans et nos logiques terrestres.

Mais cette façon divine de faire n’a pas tant pour objet de nous dérouter et nous troubler que de nous remettre sur la bonne voie et nous apaiser. Elle nous conduit précisément à rentrer dans l’esprit de Dieu, dont la cohérence échappe souvent, au premier abord, à nos intelligences fragiles. « Ne crains pas, petit troupeau » (Lc 12, 32), « j’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33).

Dans l’Histoire de France, deux figures témoignent avec éclat de cette pédagogie si caractéristique du Très-Haut : Jeanne la Lorraine et Bernadette la Lourdaise.

En parcourant les pages du procès de Jeanne d’Arc, comment ne pas s’émerveiller devant la simplicité céleste d’une jeune fille illettrée tenant la dragée haute à l’aréopage de théologiens de la Sorbonne ?

Nous connaissons tous la réponse de la pucelle d’Orléans à ses juges lui demandant si elle se trouve en état de grâce – « Si j’y suis que Dieu m’y garde, si je n’y suis pas que Dieu m’y mette » – mais avons-nous conscience qu’un tel aplomb dans la formulation et une telle précision dans la doctrine tiennent du miracle ?

Avec raison, Robert Brasillach pourra écrire dans sa préface à la réédition du Procès de Jeanne d’Arc : « Le plus émouvant et le plus pur chef-d’œuvre de la langue française n’a pas été écrit par un homme de lettres. Il est né de la collaboration abominable et douloureuse d’une jeune fille de dix-neuf ans, visitée par les anges, et de quelques prêtres mués, pour l’occasion, en tortionnaires. »

Plus proche de nous, lorsque le curé Peyramale mit en doute le message de la petite Soubirous, à savoir de venir à la grotte en procession et d’y bâtir une chapelle, la voyante ne se démonte pas : « Je ne suis pas chargée de vous en convaincre, je suis chargée de vous le dire ». Plus tard, lors de l’enquête canonique sur les apparitions, théologiens et prélats s’étonnèrent auprès d’elle que la Sainte Vierge ait pu lui demander de manger de l’herbe ; Bernadette répondit du tac au tac : « On mange bien de la salade ! » Jeu, set et match.

Oui, la Providence divine se plaît à nous présenter la Vérité, la Voie et la Vie, le bonheur en somme, là où on ne l’attend pas. Une touche de bon sens permet en effet de percevoir de quel côté se trouve l’authenticité des êtres, des événements et des choses. « Que celui qui a des oreilles entende » (Mt 13, 9).

À cet égard, ces derniers mois, les apôtres les plus décomplexés de la grandeur de l’Église (en dépit de ses misères) et de la noblesse de son message (en dépit de ses caricatures) ne se trouvent pas dans les maisons diocésaines ou les presbytères. Une fois encore, une leçon nous est donnée.

Sonia Mabrouk, pourtant de culture musulmane, alerte la conscience occidentale sur la perte du sacré dans la liturgie catholique et n’hésite pas à dire son amour de la messe en latin. Pascal Praud affirme sans fard que « le phénomène le plus considérable depuis 1945, c’est la déchristianisation ».

Michel Onfray, peu suspect de zèle ecclésial, fait l’éloge de la soutane, Jean-Marie Rouart, franc-maçon notoire, regrette le temps des prédications en chaire, Alain Finkielkraut s’interroge quant à lui sur la naïveté pastorale des clercs. Et si les périphéries ne se trouvaient pas, elles non plus, où on les attend ?

Le Carême, période d’ascèse et de recul, nous invite, comme chacun sait, au recueillement. Mais, s’il s’agit de faire silence, l’objectif avoué consiste à mieux professer Dieu après. Autrement dit, nous taire pour mieux l’ouvrir ensuite. Se mettre à l’école d’un Dieu, qui se trouve rarement là où on l’attend, pour occuper la place où, lui, nous attend. Oui, décidément, Dieu est surprenant.

 

A lire également : Sonia Mabrouk et le sacré : une sacrée affaire

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