Depuis quelque temps les mots essentialisme, essentialiste et essentialiser se répandent dans les médias. En voici quelques exemples trouvés ces dernières semaines.
Pour Judith Butler, la grande prêtresse de la théorie du Genre, l’opposition masculin/féminin, « c’est la faute à l’essentialisme ». On refuse à un petit garçon de pouvoir se maquiller et s’habiller en princesse : « délit d’essentialisme ». On prend le risque « d’essentialiser les terroristes » si on met l’accent sur leur religion ou sur leur dérangement mental. « L’essentialisme n’est pas un humanisme ». Le bouddhisme nous libérerait de « l’erreur essentialiste ». Quant aux chrétiens, ils seraient bien inspirés de ne pas « essentialiser leur identité ».
L’essentialisme, on le voit, est toujours une faute, un délit, voire un crime.
De quoi s’agit-il ? S’il ne s’agissait que de ne pas enfermer quelqu’un uniquement dans son identité d’homme, de femme, de Français, de chrétien, etc., il n’y aurait rien à redire. Mais l’accusation d’essentialisme est bien plus radicale : elle nie la réalité intrinsèque de ce que désignent les mots homme, etc. Elle nie qu’on puisse être réellement homme etc.
Refus d’être…
L’essentialiste, selon ceux qui brandissent ce terme accusateur, est celui qui croit qu’un homme est un homme, une femme une femme, un Français un Français, un chrétien un chrétien, et que cela compte dans ce qu’il ou elle est et fait. On fait donc de l’essentialisme dès qu’on pose que les êtres et les choses sont ceci ou cela, bref, ont une identité, une essence. La philosophie de l’air du temps actuel le condamne. Pour celle-ci, rien ni personne n’a d’essence (ou sinon de façon construite et momentanée, ce qui dans le fond revient au même). L’identité est une illusion. Tout change, tout peut changer, tout doit changer, sans cesse.
L’accusation d’essentialisme (hors le cas où quelqu’un dénie à une autre personne le droit de ne pas être seulement homme ou femme, Français, chrétien etc.) est à la fois une tromperie et une erreur grave. Une tromperie, car le contempteur de l’essentialisme le fait toujours, qu’il en soit ou non conscient, à partir d’une autre conception qu’il essentialise tout autant que celui qu’il accuse, à savoir, le plus souvent, l’individu et son moi érigés en réalité suprême.
Et une erreur grave : par son refus d’être ceci ou cela et sa prétention à être seulement ce qu’il veut être, l’homme prend une place qui ne revient qu’à Dieu, qui seul peut dire « Je suis celui qui suis » (certains exégètes traduisent : « Je suis celui que je veux être », et l’usurpation devient alors plus flagrante)