Cher ami, je suis navré de te contrarier, mais il est notoire que les chameaux sont couverts de plumes et non de poil, comme tu oses l’affirmer. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, je déambulais dans le Sahara cherchant à prouver ma thèse (pourtant évidente) lorsque j’ai trouvé, finalement, une plume dans le sable. Les chameaux ont donc des plumes et je n’écouterai aucun de tes arguments délétères et fallacieux.
Cette histoire d’un homme qui soutient, mordicus, que les chameaux sont faits de plumes et qui est prêt à utiliser n’importe quelle apparence pour le « prouver » me semble utile pour illustrer, par l’absurde, jusqu’où peut mener l’aveuglement de certains face à la crise ecclésiale contemporaine.
Il faut dire que nous vivons une époque épatante! Époque où l’homme moyen, et donc médiocre, passager asthénique d’un monde rocambolesque, roule joyeusement sa bosse en dévalant la pente de l’opinion jusqu’au gouffre archi-démocratique de l’anéantissement. Et dans cette course folle vers l’abysse, les masses catholiques, suivant leur lapin de cadence épiscopal, gambadent dans la même direction que tout le monde.
Pour ceux qui s’étonneraient de cet état de fait et qui s’interrogent si les disciples du Christ ne devraient peut-être pas, plutôt, remonter le courant, on leur remet une plume de chameau.
Beauté et vérité
Saint-Exupéry nous a enseigné que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. La sentence, poétique, fait réfléchir. Elle tombe dans la catégorie de ces énoncés dont le contraste fait jaillir un peu de lumière, mais par une forme de violence. Comme la botte boueuse peut faire jaillir quelques gouttes impures qui, un temps, deviennent facteurs d’arc-en-ciel.
Il est vrai que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde mais en tant qu’objet extrinsèque et dans la mesure où elle correspond toujours, sans filtre difformant, à la beauté réelle de l’objet regardé et aimé. Ce n’était cependant pas le sens donné par le père du Petit Prince.
En effet, la réalité préexiste le jugement qu’on peut bien s’en faire. Il ne suffit pas de souhaiter que votre cheval gagne la course pour qu’il la gagne effectivement. Le succès n’est donc pas dans l’œil du parieur. Il ne suffit pas de croire que votre fils étudie dans sa chambre pour qu’il le fasse. L’effort estudiantin n’est pas non plus dans l’œil du père bonasse.
Et que penseriez-vous du père qui, après que son fils vienne de lui expliquer qu’il partait prendre un pot, conclut que son fils est parti à la bibliothèque. Ou au parieur qui, après que son cheval ait finit bon dernier, célèbre sa victoire et son bon jugement.
Vous concluriez à la folie.
On ne force pas la vérité à coup de Crosse
Pourtant, n’avez-vous pas, récemment, discuté avec un catholique, bien-pensant, qui cherchait à défendre (et non seulement à couvrir péniblement) l’émission d’un timbre à l’effigie de Luther par le Vatican ? Ou cet autre qui a cherché à vous expliquer qu’Amoris Laetitia était parfaitement en continuité avec la Tradition de l’Église ? Ou ce prêtre, autrement assez droit, qui a trouvé des avantages à « commémorer » la Réforme protestante ? L’orthodoxie est-elle dans l’âme de celui qui croit ?
À forcer une interprétation de continuité là où il n’y a que rupture on finit dans le cul-de-sac du boulevard de l’absurde. À ces conditions, l’herméneutique de la continuité débouche à celle du déni.
Celui qui cherche, avidement, à détecter quelque trace de bon sens ou de vérité dans une montagne d’erreurs oublie que celle-ci est une, pleine et entière et qu’elle ne supporte aucun mélange, aucune altération, aucune substitution. Or, la déflagration de l’erreur dans la vitrine de l’intelligence est toujours accompagnée de quelques éclats de vrai. En balayant les résidus, post explosion, il y aura toujours moyen d’y voir des artefacts de bon sens… De là à y voir un vitrine intacte… Il y a une marge.
Celui qui veut vous prouver que les chameaux sont faits de plumes, utilisera la moindre trace de plume dans le désert pour vous le prouver. Si vous offrez de l’amener au zoo pour constater, de visu, la nature réelle de la bête, il refusera de vus accompagner, vous condamnera comme ennemi des plumes, agresseur de la gent ailée, et, évidemment, menace contre la quiddité même du chameau.
Ceci dit, le chameau est fait de poil, l’adultère est toujours un péché grave et Luther un hérétique qui a sali tout ce que nous chérissons. Pape, évêques, prêtres, fidèles… cessez de déblatérer, vous n’y changerez rien.
Vous avez déjà perdu, car Dieu est vérité.