Liberté de culte : à visage découvert

Publié le 18 Nov 2020
Liberté du culte : à visage découvert L'Homme Nouveau

Dans la foulée de l’ordonnance du juge des référés, la semaine qui s’est écoulée du 8 au 15 novembre restera dans les mémoires. Emboitant le pas des courageux premiers évêques qui se sont portés requérants devant le Conseil d’Etat, le laïcat catholique a pris ses responsabilités à bras le corps, tandis que le gouvernement nous rappelait le vrai visage de la laïcité « à la française », et de la fameuse liberté de culte.

Pour qu’un feu démarre, il faut une étincelle. Elle est venue de Nantes. La manifestation déclarée du 8 novembre a ouvert la brèche dans laquelle il fallait s’engouffrer, Marc Billig montrant du doigt l’espace de liberté restant encore accessible, pour revendiquer la possibilité pour les catholiques de rendre le culte dû au Créateur. Une semaine plus tard, une quarantaine de manifestations se sont déroulées en France. Pour bien apprécier la vigueur de cette remarquable (et médiatiquement remarquée) réaction, il faut bien avoir en tête que les déclarations ont été adressées aux diverses préfectures avant mercredi soir, c’est-à-dire, le plus souvent, un ou deux jours seulement après l’exemple nantais. On mesure mieux l’extraordinaire spontanéité de ce sursaut, relevant de la juste autonomie d’action des laïcs.

Pressions et intimidations

Les lecteurs doivent savoir, le public français doit savoir que durant les trois ou quatre jours qui séparent la déclaration en préfecture du jour de la manifestation, de nombreux organisateurs ont subi mil avanies de la part de l’administration. Tous ceux qui ont suivi de près ces événements peuvent en témoigner. Intimidations, tracasseries, silence volontaire constituèrent les embûches communes des organisateurs, allant même jusqu’au cas ubuesque de la convocation d’un organisateur dans une préfecture, pour y être interrogé par six personnes ! Et pour parler de quoi ? Des mesures sanitaires ? Pas du tout, des « actes cultuels » qui pourraient se dérouler lors de la manifestation !!! D’autres convocations ont suivi depuis. Certains ont dû passer l’essentiel de leur semaine à discuter pied à pied avec les autorités publiques, tenant bon, courageusement, pour obtenir un droit que la loi autorise pourtant. Dans bien des cas, les discours ont été prononcés par des hommes qui avaient derrière eux des heures de lutte acharnée, perceptible sur leurs visages résolus.

Dans ces circonstances étranges, le calme et la sérénité exemplaires des manifestations contrastaient avec l’organisation préalable de celles-ci, souvent transformées en vraie bataille, gagnée dans une lutte pourtant non désirée qui peut s’avérer longue, car en face ce n’était, ce n’est et ce ne sera pas rien. Le laïcisme d’Etat a utilisé (et va utiliser) toute la panoplie des armes à sa disposition pour interdire prioritairement tout ce qui peut être « cultuel ». Les demandes de messe en plein air ont toutes été interdites par les autorités préfectorales et judiciaires. Même si la messe n’était pas prévue dans la grande majorité des cas, des préfectures ont précisé par avance aux organisateurs qu’elles ne sauraient en tolérer. Non seulement la messe est interdite dans les églises, mais elle l’est également à l’extérieur. La messe serait-elle l’ennemie de la République française ?

Des prières interdites

Dans de nombreux cas, la récitation du chapelet a été prohibée, les prières limitées, certaines préfectures allant même jusqu’à souhaiter que personne ne se mette à genoux… Plusieurs manifestations prévues initialement devant des églises ont été autoritairement déplacées vers des places publiques, dépourvues de tout symbole catholique. La préfecture de Paris est allée jusqu’à interdire la manifestation prévue dimanche à Paris à 17 heures, en arguant certes des mesures sanitaires, mais également au motif que cette manifestation ne pouvait donner lieu à des prières de rue. Quelle est donc cette conception de l’ordre public sur laquelle s’appuient de telles décisions, sans aucun rapport avec la situation sanitaire ?

Dans un tel contexte, il est bon de relire ce qu’écrivait Ferdinand Buisson, l’un des principaux artisans de la loi de séparation de 1905. Dans un ouvrage dont le titre ne s’invente pas, La foi laïque, il écrivait qu’ « en éducation comme en politique, il y a deux erreurs à éviter dans nos jugements sur le catholicisme. L’une est de croire qu’entre l’Église et l’Etat laïque la lutte est sur le point de cesser, l’autre, qu’elle va se continuer indéfiniment dans les mêmes conditions. Non, la lutte ne peut cesser, ni aucun accord sérieux intervenir entre les belligérants »[1]. Les événements de cette semaine nous rappellent qu’à l’évidence, le laïcisme militant reste d’une profonde actualité et va même plus loin. Ce combat, nous y sommes contraints. Il doit être mené.

La soumission à un pouvoir étatique

Les arguments avancés aujourd’hui au sujet de la séparation de l’Eglise et de l’Etat sont confondants de mauvaise foi. De quel droit l’Etat peut-il, comme il le fait sous couvert de pandémie, fixer les offices autorisés dans les églises (funérailles, mariage) et ceux qui ne le sont pas ? L’Eglise qui est en France est conviée à se soumettre au pouvoir étatique, dans la bonne vieille tradition de l’Eglise constitutionnelle révolutionnaire, à laquelle une partie du clergé se rallie sans sourciller. Ce n’est pas une séparation mais une ingérence inacceptable dans la discipline et le dogme catholiques. Des hommes politiques, des ministres, des juges, des administrateurs s’érigent en docteurs de la Loi et en théologiens pour définir ce qu’est le culte catholique. La liberté du culte serait respectée, au motif que tout un chacun a le droit de se rendre dans une église pour prier… mais sans pouvoir assister à la messe le dimanche. Même Ferdinand Buisson n’aurait osé écrire une pareille bêtise. Il faut dire qu’à l’époque, les plus ardents « bouffeurs de curés » connaissaient le catéchisme élémentaire et les obligations des catholiques en vertu du troisième commandement. Aujourd’hui, l’ignorance est abyssale. Voilà ce qui a changé dans les conditions de la lutte, annoncée par Ferdinand Buisson. Mauvaise foi, athéisme militant, ignorance, mépris, bêtise, il y a sans doute un peu de tout. Quel que soit le moteur profond de l’action des hommes, le constat est en revanche indiscutable : Les mesures contraignantes prises contre ces manifestations visent prioritairement la messe et les prières, non les risques de propagation du virus. Les masques tombent.

 

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