Les évêques du Mexique approuvent les adaptations liturgiques indigènes dans la messe

Publié le 03 Mai 2023
mexique
Les évêques du Mexique ont voté en avril dernier, durant leur Assemblée plénière, l’adoption de nouvelles adaptations liturgiques qui pourraient aboutir à l’instauration d’un “rite maya” de la messe. 

Mexique

Le diocèse de San Cristobal de Las Casas a déjà intégré dans ses cérémonies religieuses en langues tzeltal et tzotzil, des rites indigènes mayas. Approuvés par l’évêque, une demande d’autorisation pour le diocèse a été soumise à la Conférence épiscopale mexicaine (CEM). Finalement, la CEM a validé la proposition pour une application dans l’ensemble des diocèses mexicains.  

L’auteur principal du projet est le père Felipe Jaled Ali Modad Aguilar, un prêtre jésuite déjà impliqué dans la prépration du synode amazionien de 2019. Il a été nommé coordinateur de la commission diocésaine pour le nouveau rite indigène pour la province ecclésiastique du Chiapas. 

Le cardinal Felipe Arizmendi Esquivel, évêque émérite de San Cristobal de las Casas, avait organisé depuis plusieurs semaines des rencontres entre les membres de la Commission épiscopale mexicaine de pastorale liturgique, présidée par Mgr Victor Sanchez, archevêque de Puebla et Mgr Aurelio Garcia, sous-secrétaire du Dicastère pour le Culte Divin et la Discipline des sacrements, envoyé par Rome les 27 et 28 février dernier.  

Selon Mgr Arizmendi Esquivel l’étude des propositions liturgiques serait engagée « dans le but d’avancer le processus d’inculturation de l’Eglise dans les peuples indigènes et d’assumer dans la célébration de la Sainte Messe certains éléments des cultures Tseltal, Tzotsil, Ch’ol et Tojobal, d’origine maya ».

 

Un diocèse déjà surveillé

 

Situé au sud du Mexique, le diocèse de San Cristobal de las Casas, où se sont déroulées les réunions de travail, avait déjà fait l’objet d’un signalement dans le cadre des ordinations diaconales. En 2000, la Congrégation pour le culte divin avait adressé une lettre à Mgr Arizmendi Esquivel, succédant la même année à Mgr Ruiz Garcia, s’inquiétant des seuls huit prêtres ordonnés depuis 1960 contre les 400 diacres permanents.

Mgr Ruiz Garcia avait constaté la difficulté d’ordonner des prêtres dans une culture maya n’acceptant pas qu’une responsabilité sociale importante soit confiée à un célibataire. Il avait donc fait le choix d’ordonner massivement des diacres mariés d’origine indigène, espérant qu’ils puissent un jour devenir prêtre. Le cardinal Jorge Medina Estevez, préfet de la Congrégation pour le culte divin, adressait dans sa lettre au nouvel évêque, une vive critique concernant le concept d’Eglise autochtone et accusant l’absence de pastorale vocationnelle dans le diocèse.  

Le Vatican avait, entre autres, défendu à l’évêque d’imposer les mains sur la tête de l’épouse lors de l’ordination du diacre permanent, précisant “ que l’imposition des mains sur la tête des épouses des diacres était un abus, créant ainsi la confusion et l’ambiguïté, comme si elles avaient été « ordonnées »”.

La Congrégation soulevait également le problème de la formation du clergé, suggérant “de mettre en œuvre des initiatives de formation continue pour les diacres déjà ordonnés, car il existe des précédents qui suscitent des inquiétudes quant à la solidité et à l’équilibre de leur formation”. 

Enfin, le Saint-Siège avait clairement énoncé qu’aucun autre rite ou dialogue ne doit se superposer à l’imposition des mains” et “qu’il convient d’analyser d’autres « signes » utilisés pour vérifier s’ils comportent ou non des éléments syncrétiques.”

En 2002, Mgr Medina Estevez suspendait toute ordination diaconale jusqu’en 2007. En 2005, le cardinal Francis Arinze, successeur du cardinal Medina Estevez, renouvelait l’interdiction. Depuis 2011, Mgr Arizmendi Esquivel avait sollicité plusieurs reprises le pape François pour rendre compte de la situation de son diocèse.

Le 2 décembre 2014, l’évêque put enfin procéder à des ordinations : « Après quatorze ans, c’est la première fois que nous ordonnons des diacres permanents avec toutes les autorisations du Saint-Siège ». Mgr Arizmendi Esquivel, évêque émérite depuis 2017, a par le suite été créé cardinal par le pape François en novembre 2020.  

 

Les nouveaux éléments du rite

 

Le 3 mars dernier, Mgr Arizmendi Esquivel a annoncé les différentes pratiques analysées ces dernières semaines présentées dans un document de 31 pages. Mgr Aguilar Martinez, évêque actuel du diocèse de San Cristobal, a précisé le 14 mars dernier dans un entretien les éléments de ce nouveau rite : “le rite romain a trois éléments d’adaptation : ce sont les prières conduites par un « principal » laïc moralement intègre [homme ou femme, ndlr] ; l’office d’encensement principalement effectué par des laïques, et quelques danses d’action de grâce [indigènes] comme forme de prière à la fin de la messe.”

Ces éléments sont déjà pratiqués dans le diocèse San Cristobal de Las Casas comme on peut  le constater sur les images diffusées sur les réseaux sociaux, notamment par le seminaire. Parmi les exemples d’encensement selon les coutumes indigènes, il y a la messe célébrée par le Pape François le 15 février 2016 dans l’état du Chiapas, lors de sa visite au Mexique. Le Saint-Père était assisté de deux diacres permanents locaux avec leurs épouses. Ces dernières ont participé à l’encensement de l’autel en utilisant un encensoir habituellement employé par les chamanes, prêtresses mayas.  

Les autels mayas apparaissent, quant à eux, régulièrement dans les églises et les cérémonies religieuses : des fleurs, fruits et bougies aménagées selon les quatre directions de l’univers. Selon Mgr Arizmendi Esquivel, il s’agit « d’intégrer la liturgie eucharistique à « l’autel maya », qui est le lieu et le centre de prière des peuples indigènes de racines mayas. »

Le document présenté aux évêques aborde la question d’une prière communautaire où l’assemblée et le prêtres sont dirigés par un maître afin d’ouvrir son cœur et entrer en relation directe avec Dieu. Cette prière collective publique menée par un guide, décrit dans le texte comme supérieur au prêtre, est présenté comme un élément essentiel sans lequel “on n’entrerait pas de manière adéquate dans une relation personnelle avec Dieu comme le veut la célébration de l’eucharistie avec les rites initiaux”.

 

Un processus d’inculturation liturgique

 

Pour justifier la démarche d’inculturation, Mgr Arizmendi Esquivel s’appuie d’abord sur l’existence d’un rite spécifique aux diocèses du Zaïre, dont le Saint-Père lui a offert un ouvrage narrant sa création et ses récentes applications : «Le Pape François et le « Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre » (R.D. Congo)». Le 30 avril 1988, la Congrégation pour le Culte Divin avait en effet autorisé la publication d’un Missel romain pour les diocèses de l’actuelle République démocratique du Congo.  

Mgr Arizmendi Esquivel se réfère ensuite à la Constitution Sacrosanctum Concilium : “Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions, même lorsqu’on révisera les livres liturgiques ; et il sera bon d’avoir ce principe devant les yeux pour aménager la structure des rites et établir les rubriques.”(SC 38)

La Constitution établit cependant que “les adaptations jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège apostolique pour être introduites avec son consentement”. La faculté d’introduire de nouveaux éléments pour des premières expérimentations ne peut être donnée aux autorités ecclésiastiques que par le Siège apostolotique “dans certaines assemblées appropriées à ces essais et pendant un temps limité.”(SC 40) 

Le projet ratifié par la Conférence épiscopale doit maintenant être soumis au Saint-Siège. Les évêques en visite ad-limina, par groupe, depuis le 28 avril dernier, devraient en marge de leur séjour remettre le texte pour permettre l’application de ces nouvelles pratiques dans l’ensemble des diocèses mexicains. 

 

A lire également : Colloque du CIEL : L’orientation de l’autel a-t-elle une signification théologique et liturgique ?

Mexique

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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