À l’approche du Congrès Mission (7-8-9 novembre), L’Homme Nouveau propose une série d’entretiens avec des acteurs engagés dans l’annonce de la foi. Amaru Cazenave, fondateur de Revival Productions, rappelle que, dans l’évangélisation, l’image ne saurait remplacer la rencontre.
| Dans l’audiovisuel, peu de producteurs affichent ouvertement leur foi. Qu’est-ce qui vous a conduit à le faire ?
Je ne me rends pas toujours compte que peu sociétés de production revendiquent une identité catholique claire. Certaines abordent des sujets spirituels, sans pour autant placer la foi au cœur de leur démarche. Pour ma part, c’est ce qui m’a toujours motivé. J’aime profondément travailler sur des sujets qui touchent à la foi et je suis heureux de pouvoir contribuer d’une manière créative à le partager.
| Avant d’évoquer votre société, pouvez-vous rappeler votre parcours ?
Je n’ai pas fait de longues études. J’ai obtenu un BTS audiovisuel à Bayonne, puis j’ai immédiatement commencé à travailler à TF1, où je suis resté dix ans. En parallèle j’ai passé un second BTS, cette fois spécialisé en montage. En résumé, j’ai deux diplômes : l’un en techniques audiovisuelles, l’autre en montage.
|Qu’est-ce qui vous a conduit vers l’audiovisuel ?
Au départ, je faisais de la musique et je rêvais d’en vivre, comme beaucoup de lycéens. J’avais un groupe de rock et j’étais persuadé que c’était ma voie. Comme je suivais des cours au conservatoire, ma mère a voulu avoir l’avis de mes professeurs. Mais bon, je n’avais pas vraiment le niveau pour devenir soliste ni professeur.
La professeure de solfège a vite compris que ce n’était pas pour moi et elle m’a suggéré de m’intéresser aux métiers de l’audiovisuel. Elle a rassuré ma mère : « C’est une formation faite pour les profils créatifs comme votre fils ». À ce moment là, je me suis dit que j’allais devenir ingénieur du son, mais l’option n’existait pas dans mon BTS ce qui a été une chance car j’ai découvert le monde de l’image et j’ai immédiatement été captivé.
En y repensant, ce n’est sans doute pas un hasard : ma mère est peintre, mon père a longtemps excellé en arts plastiques. L’intérêt pour l’image vient sûrement de là. J’ai compris très vite que par l’image on peut raconter des histoires et transmettre des émotions.
| En parallèle de votre carrière à TF1, vous aviez déjà commencé à produire des vidéos chrétiennes…
Oui, c’est arrivé assez tôt. Quand je suis entré à TF1, en 2004, ni YouTube ni les réseaux sociaux n’existaient. J’avais déjà un caméscope et un ordinateur, on faisait des petites vidéos avec mes amis, mais pour les regarder, on gravait cela sur DVD et on se réunissait autour d’une télévision. À l’époque, on n’avait aucun moyen de diffusion large.
En 2005, j’ai par exemple filmé les Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ) en Allemagne. J’en avais fait un long film, que je ne montrais qu’à la dizaine de personnes qui étaient parties avec moi. Lorsque YouTube et Dailymotion sont apparus, nous avons compris qu’un nouvel espace s’ouvrait : il devenait possible de toucher un véritable public.
Avec mes amis, nous avions un groupe de prière autour de la figure de Pier Giorgio Frassati. Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de raconter des histoires de foi de manière originale. Pour Noël, l’abbé de Mesmay, à Bayonne, exposait des crèches en Playmobil. Je lui ai proposé de raconter la Nativité à travers ces figurines. L’idée était à la fois drôle et décalée, mais toujours porteuse de sens. À cette époque, il n’existait aucune production catholique humoristique en France.
| Aviez-vous conscience d’innover ?
Pas du tout. Nous faisions les choses avec spontanéité, sans chercher à nous comparer. Nous avons découvert les productions anglo-saxonnes, catholiques, protestantes ou évangéliques, plus tard, vers 2010-2013. Au début, il existait une petite communauté de créateurs français : beaucoup à travers des blogs, puis petit à petit en vidéo.
Notre style était humoristique. Nous voulions parler de foi de manière légère, accessible, joyeuse. Cette approche reste encore aujourd’hui ma manière de travailler : décaler le regard sans jamais trahir le fond.
| Vous avez ensuite participé à des projets plus structurés…
Oui, nous avons continué à créer avec la « Frassateam » : des sketchs, des chansons comme « Le pouvoir Chacha», des parodies d’actualité. Nous nous amusions beaucoup, tout en essayant de transmettre quelque chose de notre foi.
En 2011, j’ai couvert les JMJ avec Le Jour du Seigneur. J’ai alors vu de nombreux jeunes filmer, monter et publier leurs propres vidéos. Je me suis dit qu’il fallait monter en gamme : si tout le monde s’y mettait, il fallait se distinguer par la qualité. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le comédien Fitzgerald Berthon. Ensemble, nous avons créé « Bref, j’ai relancé ma vie spirituelle », une parodie de la série Bref. diffusée sur Canal+.
Le succès a dépassé toutes nos attentes. Cette vidéo a vraiment fait connaître la « Frassateam ». Des institutions catholiques ont commencé à nous contacter, notamment Saje et Le Jour du Seigneur. C’est ainsi que j’ai rencontré Hubert de Torcy, qui travaillaient alors sur « Le Cathologue ». Nous avons participé à une séance d’écriture, proposé des idées, posé des bases…
| Vous étiez encore à TF1 à ce moment-là. Qu’est-ce qui vous a poussé à partir ?
En 2013, Le Jour du Seigneur m’a proposé de concevoir un programme court pour France 2. J’ai écrit un concept, et il a été accepté. Lorsque j’en ai parlé à mon chef, il m’a répondu que ce ne serait pas possible de cumuler TF1 et France 2.
Ils ont été très corrects : ils m’ont laissé le choix. J’ai demandé une année pour tenter l’aventure, avec la possibilité de revenir si cela échouait. Finalement, je ne suis jamais revenu.
Cette proposition a été un signal fort. Le Jour du Seigneur me faisait confiance, et il existait un réel projet professionnel. Parallèlement, de nombreuses structures ecclésiales commençaient à comprendre l’importance de la vidéo pour leur communication. Il fallait donner une forme professionnelle à cette effervescence. C’est ainsi qu’est née Revival Productions en 2014.
| Dix ans plus tard, quel regard portez-vous sur cette aventure ?
Tout a énormément évolué. À nos débuts, nous tournions à deux. Aujourd’hui, une production peut mobiliser dix ou vingt personnes. Les projets sont bien plus ambitieux. Nous préparons par exemple la saison 2 de « Derrière la Cène » avec Le Jour du Seigneur, une série qui explore le sens de la liturgie à travers les tableaux du Caravage.
Je dirige toujours la structure, mais je m’entoure désormais d’équipes plus spécialisées : auteurs, chefs opérateurs, ingénieurs du son. Revival Productions commence à ressembler à une véritable société de production de fiction. La mission, elle, demeure la même : servir la foi, avec une grande exigence artistique et technique.
| L’évangélisation reste donc au cœur de votre démarche ?
Oui, mais la manière d’évangéliser a changé. Il y a dix ans, tout reposait sur l’intuition. Aujourd’hui, nous avons des outils : stratégie de communication, marketing, storytelling. Nous cherchons à comprendre ce que le public désire, au lieu de simplement suivre nos intuitions.
Je dis souvent : « Nous ne faisons ni votre film, ni le mien, mais celui que le spectateur voudra voir. » C’est devenu ma ligne directrice. Avant chaque projet, nous nous demandons : le spectateur aura-t-il envie de cliquer ? Quelle promesse faisons-nous ? La tenons-nous ? Ce questionnement change tout : il pousse à une démarche plus collective, plus réfléchie.
| Comment parvenez-vous à concilier créativité et message ?
Je ne les oppose jamais. La créativité naît des contraintes. Plus elles sont définies, plus elles deviennent fécondes. Je commence toujours par établir un cadre : à qui s’adresse le projet ? Quel est l’objectif ? Quel message transmettre ? Plus le cadre est clair, plus la liberté est grande. Lorsque tout est trop ouvert, on se perd. J’aime les contraintes : elles forcent à contourner les obstacles, et c’est souvent là que naissent les meilleures idées.
| Beaucoup de chrétiens se lancent aujourd’hui sur YouTube ou Instagram, souvent avec sincérité mais peu de moyens. Quels conseils leur donneriez-vous ?
D’abord, ne jamais copier. Ce qui fonctionne chez un autre ne marchera pas forcément pour soi. Il faut trouver sa propre voix, son ton, son domaine d’expertise. Et cette expertise vient souvent des blessures traversées.
Je le répète souvent : les meilleurs sujets sont ceux que l’on a vécus. Une maladie, un deuil, une rupture, un échec : tout ce que l’on a surmonté peut devenir matière à témoignage. Là, on est légitime et on peut vraiment toucher les autres.
L’évangélisation authentique passe par cette expérience humaine. Il ne s’agit pas de dire « viens à la messe, c’est formidable », mais de raconter comment l’Évangile a donné sens à une épreuve. Le message chrétien touche d’autant plus qu’il rejoint la vie ordinaire.
Et il faut rester divertissant : une vidéo chrétienne doit d’abord donner envie d’être regardée. Le contenu spirituel vient ensuite, par petites touches, presque de manière homéopathique. C’est souvent dans cette subtilité que le message atteint le cœur.
| Dans Famille Chrétienne, vous aviez déclaré : « Aucune vidéo n’évangélise, mais elle peut y aider. » Que vouliez-vous dire ?
Je suis lucide sur mon métier : une vidéo ne convertit pas. Personne ne tombe sur un lien YouTube en se disant : « Tiens, Jésus, je vais aller à la messe. » Cela ne fonctionne pas ainsi.
J’ai été marqué, dans ma jeunesse, par mes années d’aumônerie avec l’abbé de Mesmay. Il nous faisait regarder des films, puis débattre. Ce dont je me souviens, ce ne sont pas tant des films que les discussions. C’est dans ces échanges que quelque chose se passait : dans la parole, dans la rencontre.
Les vidéos peuvent susciter ces rencontres, créer des ponts. Elles préparent le terrain. Jésus s’est incarné, il ne s’est pas digitalisé : l’évangélisation reste un acte humain.
C’est pour cela que je conçois mes vidéos comme des supports à partager : je veux que des chrétiens puissent les montrer à leurs amis, à leurs collègues, à leurs proches éloignés de la foi. Ce partage peut devenir un point de départ.
Quand je travaillais à TF1, je montrais souvent mes vidéos à mes collègues. Chaque fois, cela ouvrait des conversations sur la foi, la vie, le sens. C’est là, à mon sens, que l’évangélisation commence vraiment.
Missionnaire en 2025
« Le Congrès Mission, une œuvre de communion » (1/5)
« L’évangélisation reste un acte humain » (2/5)







