Et si nous parlions de l’introït Cantate Domino ((5e dimanche de Pâques – 4e dimanche après Pâques) : « Chantez au Seigneur un chant nouveau, alléluia, car le Seigneur a fait des merveilles, alléluia. A la face des nations il a révélé sa sainteté, alléluia, alléluia. Sa droite l’a sauvé, la force de son saint bras. » (Psaume 97, 1-2.)
Commentaire spirituel
Le contexte biblique de ce psaume (Pour écouter cet introit) c’est qu’il est une invitation à louer Dieu au moyen du chant pour toutes les merveilles qu’il a accomplies pour son peuple, sous les yeux des nations et le plus souvent à leurs dépens. Œuvres grandioses relatées dans les livres historiques de l’Ancien Testament et qui culminent dans la libération du joug égyptien au temps de Moïse, avec le fameux passage de la mer rouge. Réalité qui signifie à l’avance le mystère pascal de mort et de résurrection du Christ qui nous est appliqué à travers le rite purificateur du baptême.
On passe ainsi tout naturellement du contexte biblique au contexte liturgique. Les merveilles qu’à fait le Seigneur sous les yeux des nations, mais cette fois en leur faveur, c’est la vie du Christ, c’est l’évangélisation des peuples, c’est l’inhabitation de la Trinité dans les âmes véritable terme de l’Incarnation rédemptrice.
Nous sommes plongés dans la lumière du temps pascal. Nous contemplons le Christ mort et ressuscité qui est vivant dans son Église et qui nous communique sa grâce. Et au milieu de nous se trouvent les baptisés de l’année, fleurs nouvelles, enfants nouveau-nés que Jésus s’est acquis pour toujours par le don de son corps et de son sang. Tous les chants de Pâques s’adressent d’une certaine manière d’abord aux néophytes c’est-à-dire à ceux qui viennent d’être configurés au Christ dans son mystère Pascal de mort et de résurrection, en déposant leurs péchés dans la fontaine baptismale, nouvelle et véritable mer rouge (les péchés sont symbolisés par Pharaon et ses troupes égyptiennes ennemies du peuple de Dieu) et se relevant dans la nouveauté de la vie chrétienne, hommes et femmes nouveaux vivants désormais de la grâce, à l’image de Dieu. Telles sont les merveilles accomplies par le Seigneur non seulement à la face des nations mais au sein même des nations. Perspective universaliste propre à la nouvelle et éternelle alliance qui inclut tous les peuples dans l’histoire du Salut.
Un aspect grandiose
Il y a donc quelque chose de grandiose dans un texte comme celui-ci, mais l’Église, dans sa liturgie, a l’art et le don de dire et de faire passer les choses le plus simplement du monde et notamment à travers le chant. Chanter pour le chrétien n’est pas une invitation à prendre les choses à la légère comme si elles n’avaient pas plus d’importance que cela. Il s’agit réellement de merveilles qui nous dépassent. Mais si l’Église nous invite à les chanter, ces merveilles, c’est pour mieux nous les faire comprendre, pour que nous les goûtions et les aimions davantage, pour que nous les retenions aussi. Chanter c’est prier deux fois disait St Augustin, c’est aussi aimer deux fois.
Tout chant dans l’Église est à la fois chant du Christ et chant de l’Église. Et en ce temps pascal notre chant d’entrée s’applique très facilement au Seigneur ressuscité. Là est l’immense prodige, le prodige inouï, unique accompli par la force de Dieu et son bras très saint : Jésus s’est relevé d’entre les morts, il est sorti victorieux du tombeau sous les yeux atterrés des soldats romains et au grand émoi de toute la nature.
Je note une dernière chose dans ce texte c’est le mot justice. Le mot, dans le langage biblique, a un peu le même sens que ce qu’on entend aujourd’hui par notre mot de sainteté. Et la sainteté pour nous c’est la perfection de l’amour qui descend de Dieu dans le Christ puis dans son Église et dans chacun de ses membres.
Commentaire musical
Alors regardons maintenant la mélodie de ce chant d’entrée. C’est un 6ème mode, comme l’introït des petits enfants Quasimodo. Dom Gajard remarque que notre introït est gracieux comme celui du dimanche dans l’octave, gentil, léger, mais aussi plus grand, plus étendu. Il diffère aussi des introïts des dimanches précédents (Jubilate, 8ème mode très ferme, Misericordia, 4ème mode très intérieur et très contemplatif). il y a donc une grande variété et une grande richesse modale et spirituelle dans ces chants d’entrée qui sont très beaux.
Ce qui caractérise celui-ci est la sérénité. Tout est calme, joyeux et paisible, lumineux mais sans éclat. C’est un 6ème mode qui a des allures de 1er mode auquel d’ailleurs il semble emprunter certaines cadences de Ré (canticum novum ou le premier des deux derniers alleluia).
La note la plus aigüe est le Si bémol, c’est dire que le chant est modeste. Et on n’entend ce Sib que trois fois : pas dans la première phrase, une fois dans la seconde sur mirabilia, une fois dans la troisième sur suam, et une fois sur le premier des deux derniers alléluias. Donc une mélodie restreinte qui s’enroule autour du fa, note qui est omniprésente dans la pièce.
Nouveauté, jeunesse, printemps
La première phrase est très gracieuse, et ce dès l’intonation, notamment grâce au demi-ton mi-fa du salicus de cantate (dernière syllabe) qui donne un caractère très délicat renforcé encore par l’accent au levé et à l’aigu de canticum. Tout cela est plein de fraîcheur et de lumière. Canticum novum, cela respire la nouveauté, la jeunesse, le printemps. Je remarque aussi la petite note de tendresse toute simple, enfantine, sur le mot Domino, dont chaque syllabe est soulignée par un épisème ou une note pointée, une nuance de chaleur qui enveloppe le nom du Seigneur, alors que tout le reste est très léger, dans un bon petit mouvement typique du 6ème mode.
La deuxième phrase commence dans l’admiration. L’âme contemple les merveilles du Seigneur. Le mot mirabilia est très bien mis en valeur, en crescendo expressif vers son accent qui nous fait entendre pour la première fois le Sib. Accent qu’il faudra bien soulever avant de redescendre doucement et simplement sur la finale du mot. J’aime beaucoup la belle répétition significative de fecit Dominus qui reprend exactement le même motif mélodique de cantate Domino. Le mot Dominus est donc traité comme le mot Domino du début avec la même marque de tendresse et de chaleur qu’on pourra souligner encore un peu plus sur cette répétition mélodique. L’alléluia de cette deuxième phrase reprend d’ailleurs une troisième fois ce motif mélodique (salicus, clivis, torculus). C’est donc comme un petit refrain d’amour envers Dieu. On sent toute cette pièce imprégnée d’amour et de simplicité.
La troisième phrase part du Do grave, là ou nous avait laissés la deuxième. C’est la partie la plus solennelle de la pièce, et on doit sentir un crescendo continu et bien marqué jusqu’à la fin sur suam. Notamment sur le mot revelavit qui est assez chargé en neumes à l’unisson ou en sons longs. C’est comme une complaisance sur ce mot qui nous dévoile le mystère. Le Sib de suam répond à celui de mirabilia avec la même formule mélodique qui nous le fait atteindre. On peut considérer qu’on est au sommet de la pièce sur ce beau possessif qui touche Dieu, mais aussi puisque sa justice, sa sainteté, en se révélant devient nôtre. Alors alléluia, alléluia, l’âme peut laisser s’épancher sa joie dans la paix que procure la contemplation de l’œuvre accomplie par Dieu. Un chant d’éternité. Soleil couchant sans fin, une belle soirée qui ne finit pas et qui s’éternise dans la louange de l’amour.
Pour écouter cet introit :