Le sens mystique de la liturgie : une édition des Mystères des messes d’Innocent III

Publié le 28 Nov 2023
Le sens mystique de la liturgie : une édition des Mystères des messes d’Innocent III

Le pape Innocent III (XIIIe), Monastère du Sacro Speco de Saint Benoît, Subiaco (Rome).

Rédigé par Lothaire de Segni, avant de devenir le pape Innocent III (1198-1216), Les mystères des messes (De missarum mysteriis) a été traduit en français et édité par Olivier Hanne aux Presses universitaires Rhin & Danube en 2022. L’abbé Claude Barthe nous propose une recension fouillée et développée pour aider à comprendre ce texte majeur, qui fut le premier commentaire systématique de la messe.

 

Les mystères des messes (De missarum mysteriis), dont la présentation, la réalisation de l’édition critique et la traduction française sont d’Olivier Hanne (en deux volumes de 1070 pages, aux Presses universitaires Rhin & Danube, 2022), est un ouvrage de grande importance du point de vue liturgique et théologique.

Écrit à la fin du XIIe siècle par Lothaire de Segni (devenu pape Innocent III), il était très difficile d’accès, puisqu’en dehors de la Patrologie latine de Migne (PL 217, 775-916), il n’était consultable que dans une édition en latin et italien, Il sacrosanto Misterio dell’Altare. De sacro Altaris Mysterio, édité par Stanislao Fioramonti (Libreria Editrice Vaticana, 2002), instrument fort commode mais sans prétention scientifique.

 

Innocent III, pape de la réforme grégorienne

Lothaire de Segni (vers 1160-1216), devenu le pape Innocent III en 1198, est une des plus hautes figures pontificales de l’histoire. Il a recueilli tous les fruits de ce qu’il est convenu la réforme grégorienne, qu’il a menée à son aboutissement. Mais il n’a pas seulement été un pape qui a théorisé et mis en pratique la plenitudo potestatis (la plénitude de pouvoir) du vicaire du Christ, il a aussi été un commentateur du culte et un théologien de l’Eucharistie en un temps où la liturgie romaine telle que pratiquée par la Cour pontificale devenait, plus encore que par le passé, norme et référence pour l’ensemble de la latinité. C’est le moment de la fixation définitive du missel romain. L’œuvre d’édition des papes qui ont suivi le Concile de Trente dépend de cette mise en ordre par des papes du XIIIe siècle, et spécialement par Innocent III, à l’achèvement du moment grégorien.  

Sous Innocent III furent ainsi confectionnés des livres fondés sur les coutumes à l’usage de la Curie, destinés à devenir des modèles universels. Parmi eux, était l’Ordo missæ, c’est-à-dire l’ordinaire ou rite de la messe papale, avec les prières, les gestes et les mouvements des divers ministres. La liturgie du monde latin, déjà très romaine, tendait alors à coïncider toujours plus avec celle des livres de la Cour papale, qui reçurent à cette époque une diffusion accrue.

La croissance des Ordres mendiants, très centralisés dès l’origine, contribua au succès de cette nouvelle étape d’unification : les dominicains adoptèrent les usages de Paris, très proches du rite romain ; et l’Ordre des franciscains choisit, dans les années qui suivirent le pontificat d’Innocent III, de calquer de près l’usage de la Curie romaine, missel, bréviaire, le diffusant dans toute la chrétienté.  

Innocent III est par ailleurs contemporain d’un progrès remarquable dans le culte eucharistique et de l’étude théologique du sacrement de l’autel. Le terme de transsubstantiation (changement des substances du pain et du vin en substances du Corps et du Sang du Christ) était apparu en théologie au siècle précédent. Sous la poussée des discussions théologiques (notamment pour savoir si la présence réelle intervenait ou non après la première consécration) et de la piété populaire qui faisait que les fidèles voulaient « voir Dieu », se généralisa le geste très marquant de l’élévation de l’hostie, sorte d’ostension qui apparut à Paris, ou peut-être à Liège, au début du XIIIe siècle.

L’élévation du calice suivit au cours du XIIIe siècle. Ceci s’intégrait dans un développement général de la dévotion au Saint-Sacrement, avec l’institution de la fête du Corpus Domini, la Fête-Dieu, par Urbain IV, en 1264, dont saint Thomas d’Aquin allait composer l’Office. Cet extraordinaire Office du Saint-Sacrement, dans les hymnes duquel la scolastique se fait poésie. 

 

Le théologien de l’Eucharistie

Lothaire de Segni avait étudié la théologie à Paris, dans les deux pôles intellectuels où se délivrait la meilleure formation de l’époque, chez les chanoines de Saint-Victor et au Cloître Notre-Dame. Il y avait reçu l’enseignement de maîtres comme Pierre de Corbeil. Olivier Hanne souligne la dette de Lothaire vis-à-vis de la scolastique victorinne, Lothaire qui paracheva sa formation en étudiant le droit canon à Bologne. Le De missarum mysteriis, achevée peu avant son élévation au Souverain Pontificat, fut revu et corrigé  ensuite, comme ses principales œuvres (par exemple, La misère de la condition humaine).

Dans le titre : mysteriis fait allusion, dit Olivier Hanne, à la compréhension symbolique du sacrement, évoquant, un ensemble de sens cachés parallèles aux sens cachés de l’Écriture (les sens spirituels, ou sens mystérieux ou sens mystiques), l’esprit à découvrir sous la lettre ; et missarum est au pluriel, ce qui était très commun au Moyen Âge (solemnia missarum), pour désigner « les sacrifices de la messe ».  

Le De missarum mysteriis a de fait une double visée : la première visée, qu’on approfondira, étant la production d’un commentaire symbolique de la liturgie – à la manière du commentaire de l’Écriture il se déploie, à partir du sens littéral ou historique, selon les trois sens spirituels à savoir, le sens allégorique par lequel l’Ancien Testament annonce le Nouveau, le sens tropologique ou moral et le sens anagogique ordonné aux choses d’en haut, avec, en réalité, une prédominance du sens allégorique, christique et ecclésial – ; et la seconde visée, étant une réflexion théologique sur le sacrement de l’Eucharistie et la doctrine de la transsubstantiation.  

Cette réflexion théologique est développée à la manière d’un véritable traité dans la quatrième partie du De missarum mysteriis, laquelle interrompt le commentaire spirituel des cérémonies au moment de la consécration, après le Quam oblationem, commentaire mystique qui reprend ensuite après la consécration à l’Unde et memores. Ce petit traité De eucharistia répond de manière scolastique à des questions comme : « Quel Corps le Christ a-t-il donné à la Cène ? », « Quand se produit la transsubstantiation ? », « Le Corps du Christ estt-il tout entier dans plusieurs lieux » ; « Le sacrement et la réalité du sacrement ».  

Le dernier chapitre (pp. 794-798) attire particulièrement l’attention. C’est une sorte de morceau de bravoure sur les « trois instances », les trois parties du sacrement : le signe sacramentel (sacramentum) – à savoir la « forme visible » du sacrement –, constitué dans l’Eucharistie par le pain et le vin sur lesquels sont prononcés les paroles de l’Institution ; la réalité sacrée, la grâce spirituelle qui est conférée (res) – à savoir la « vertu spirituelle » du sacrement –, qui est, en définitive, dans l’Eucharistie l’unité et la charité du Corps mystique ; et le medium, l’intermédiaire entre le signe sacramentel (sacramentum) et la grâce (res), la res et sacramentum – à savoir la « vérité » du sacrement –, qui est dans l’Eucharistie la présence réelle du Christ sous les Saintes Espèces. La res et sacramentum, la présence réelle, étant elle-même réalité, res, induite par le signe, le sacramentum – matière et forme, pain et vin et paroles consécratoires –, et par ailleurs signe, sacramentum, qui induit la grâce sacramentelle, l’unité et la charité du Corps mystique.

Ces trois « instances » se trouvent dans tous les sacrements, et notamment dans le mariage (sacramentum du consentement des époux ; res et sacramentum du lien matrimonial noué entre les époux par le consentement ; res ou grâce sacramentelle qui leur est conférée par le moyen de ce lien qui perdure) : leur emboîtement dans le mariage étant explicité par Hugues de Saint-Victor dans son De sacramentis et repris mot à mot pour l’Eucharistie par Lothaire de Segni, comme le signale Olivier Hanne. 

Par ailleurs, les historiens de la liturgie connaissent bien l’allusion que fait Lothaire de Segni, dans ce traité théologique, à la concélébration romaine du pape avec des cardinaux-prêtres, qui avait lieu dans certaines circonstances très solennelles, Noël, Pâques, Saints Apôtres. Cette allusion à la concélébration permettant de répondre à la question de savoir qui consacre réellement, dans le cas où un concélébrant a prononcé les paroles plus vite que les autres. On dit généralement que cette mention est la dernière mention historique de la concélébration romaine, qui s’achèverait donc au moment où commence le XIIIe siècle.

Mais ce n’est pas certain, et Lothaire pourrait parler d’un usage déjà disparu à son époque : Olivier Hanne traduit bien consueverunt autem presbyteri cardinales par « les cardinaux-prêtres avaient coutume », au parfait. Durand de Mende, dont on va parler, recopie Lothaire à la fin du XIIIe siècle avec plus-que-parfait : consueverant. (Alors que Fioramonti traduit en italien au présent : I cardinal pretri, è consuetudine). Sans qu’on puisse cependant trop presser cette remarque grammaticale. 

 

Le sens mystique de la liturgie

Mais le De missarum mysteriis relève d’abord du genre littéraire des Expositiones missæ et des De ecclesiasticis officiis, commentaires symboliques du culte divin. Au IXe siècle, le Liber officialis d’Amalaire de Metz est le premier grand commentaire symbolique, exemple fondateur de ce genre, qui se développa considérablement au cours du Moyen Âge, pour atteindre son apogée à la fin du XIIIe siècle avec Durand de Mende et son Rationale Divinorum Officiorum. Il fut cultivé jusqu’au XVIIe siècle, moindrement il est vrai (voir L’esprit des cérémonies. Explication des cérémonies de la grand’messe de paroisse selon l’usage romain, de Jean-Jacques Olier, édition Claude Barthe, Artège, 2004).  

Notons que le commentaire liturgique de Lothaire de Segni porte sur la messe romaine, et plus précisément sur la messe pontificale. Il est la source majeure, en ce qui concerne la messe, du prince des commentateurs mystiques, Durand de Mende : on a relevé que 85% des développements d’Innocent III sont repris par le livre IV de Durand de Mende (Le sens spirituel de la liturgie. Rational des divins offices, livre IV, de la messe, édition Claude Barthe, Dominique Millet, Ad Solem, 2003), qui souvent n’est qu’une paraphrase amplifiée et précisée de son prédécesseur. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’il faille faire des va-et-vient de Lothaire à Durand ou inversement pour éclairer un passage.  

Lothaire de Segni fut le contemporain de ces autres grands commentateurs spirituels du culte divin que furent Prévôtin de Crémone, Guillaume d’Auxerre et Sicard de Crémone. Ce dernier était l’auteur d’une somme liturgique, le Mitrale, dont Lothaire de Segni dépend largement. Lothaire s’inspire ainsi de Sicard et Durand reprend Lothaire : il faut avoir bien à l’esprit que les auteurs médiévaux se copient et se glosent par principe, par piété, les successeurs réempruntant les voies de leurs prédécesseurs, sans souvent prendre la peine de référencer leurs emprunts, pour les diffuser, les élargir, les prolonger. 

Le commentaire symbolique que pratiquent les auteurs d’expositiones missæ est d’une extrême richesse, à la manière de broderies et rebroderies sur des thèmes bien connus de leurs lecteurs médiévaux. Entre mille exemples, chez Lothaire : étant entendu que « l’encensoir désigne le Verbe incarné », « l’évêque reçoit l’encensoir du diacre, parce que le Christ a assumé un corps », les trois chaînettes de l’encensoir évoquant les trois unions, de la chair avec l’âme, de la divinité avec l’âme, et de la divinité avec la chair. (Et si on en ajoute parfois une quatrième, c’est pour signifier l’union de la divinité au composé de l’âme et de la chair : esprits modernes s’abstenir…) Sur quoi Durand renchérit, c’est le cas de le dire : si l’encensoir est d’or, il signifie le Christ ressuscité, s’il est d’argent, la chair très pure du Christ, s’il est de cuivre, sa chair fragile, s’il est de fer, la puissance qui le fit ressusciter.  

La grille d’interprétation traditionnelle des sens de l’Écriture, tels que rapportés par saint Thomas dans la Somme théologique (Ia, q. 1, a. 10), est donc employée pour interpréter le culte divin. Ceci de manière très libre : « Les quatre sens – en réalité seulement trois – se perdent tout en se mêlant de façon inextricable, de sorte que le sens littéral est complété par un sens spirituel assez général qui regroupe toutes les possibilités symboliques des trois autres, que l’on repère dans le De mysteriis derrière les adverbes mystice ou spiritualiter » (Olivier Hannen présentation, p. 35).  

Reste un problème pour le lecteur d’aujourd’hui: pourquoi cette grille d’interprétation des sens de l’Écriture devient-elle celle des sens du culte divin dans les expositiones missæ, sans qu’aucun auteur ne prenne la peine de légitimer cet emploi ? Certes, l’application des quatre sens de l’Écriture a été très commune au Moyen Âge, servant par exemple à interpréter pieusement les poètes mythologiques de l’Antiquité (comme ils avaient d’ailleurs été interprétés philosophiquement dans l’Antiquité elle-même). Mais pour le commentaire des divins offices, elle paraît d’une telle évidence que celle-ci interpelle, comme on dit.

C’est en parlant de l’Écriture que Durand de Mende, dans le prologue de son Rational (13), disserte des quatre sens traditionnels d’interprétation. Puis, il en vient comme si cela coulait de source aux divins offices, en annonçant qu’il passera dans son ouvrage liturgique de l’un à l’autre, de l’allégorique au moral, etc. Quant à Lothaire de Segni, il ne prend même pas la peine d’évoquer cette méthode, qui va pour lui de soi.

 

La continuité entre Écriture et culte divin

On peut avancer que l’analogie existant entre exégèse scripturaire et exégèse liturgique repose sur le fait que l’une et l’autre exégèse sont déjà à l’œuvre dans l’Écriture et la liturgie elles-mêmes, et qu’elles y opèrent identiquement par un passage de la lettre à l’esprit 

Dans l’Écriture : Saint Paul réfère les deux femmes d’Abraham à l’Ancienne Alliance et à la Nouvelle : « Il y a là une allégorie » dit-il (Galates 4, 24) ; Jésus évoque les trois jours passés par Jonas dans le ventre du poisson comme le « signe » de sa mort et de sa Résurrection (Luc. 11, 29) ; la première épître de saint Pierre fait de l’Arche de Noé, salut dans le Déluge, le type du baptême (3, 21).

Des écrits entiers, comme le quatrième évangile ou l’épître aux Hébreux, supposent expressément ou implicitement une typologie de l’Ancien Testament. S’appuyant sur ces interprétations allégoriques intrinsèques au Nouveau Testament, les commentateurs sont dès lors autorisés à voir, par exemple, dans le fils aîné et le fils cadet de la parabole les figures des enfants de l’une et l’autre alliance (Luc 15, 11 sq), et dans la disparition durant trois jours Jésus âgé de douze ans, à Jérusalem, l’allégorie de sa Passion (Luc 2, 41 sq). 

Quant aux divins offices : le pain et le vin consacrés sont, au plus haut point, les signes du Corps du Christ livré et de son Sang versé ; l’édifice du culte, par son nom même d’église, est allégorie de l’édifice spirituel fait des pierres vivantes que sont les baptisés ; le chant de l’Exultet qualifie de « colonne » le cierge pascal, évoquant le feu qui précédait les Hébreux la nuit dans le désert. Ce qui autorise les commentateurs à faire de même, comme dans l’exemple pris le plus classiquement : le cierge qui au « sens littéral » est destiné à éclairer l’action sacrée, signifie spirituellement la lumière de la divinité du Christ qui brille en son humanité.  

Mais n’y a-t-il qu’une analogie entre le commentaire de la Parole de Dieu et celui des divins offices ? En fait, on peut même parler de continuité. Lorsqu’on veut donner des exemples d’interprétation spirituelle des cérémonies de l’Église, on constate qu’elles se rattachent toujours à de multiples références scripturaires.

Par exemple, l’interprétation symbolique des huiles saintes s’appuie sur les passages du Nouveau et de l’Ancien Testament concernant la signification de l’huile dont use le Bon Samaritain, les onctions royales et prophétiques, sans parler de tous les usages métaphoriques des termes d’huile et d’onction (onction du Saint-Esprit, huile de la Sagesse, etc.)

La recherche du sens spirituel caché sous la lettre de la cérémonie, de l’ornementation de l’édifice, du vêtement sacré en sa couleur, forme, matière, ne fait donc, en réalité, que continuer la recherche de ce sens spirituel sous la lettre des textes sacrés. La Sainte Écriture elle-même témoigne de cette jonction lorsque saint Paul évoque la manne et l’eau du désert, figures de l’Eucharistie : « Tous [nos pères] ont mangé le même aliment spirituel et tous ont bu le même breuvage spirituel » (1 Corinthiens 10, 3-4), et qu’il fait, quelques versets plus loin, de la manducation du pain eucharistique la figure de la communion des chrétiens entre eux et au Christ : « Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Parce qu’il n’y a qu’un pain, à plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous nous participons à ce pain unique » (10, 16). 

C’est au point que les signes liturgiques les plus élevés, les signes sacramentels, tel justement celui du pain eucharistié, signes efficaces de la grâce via la présence réelle, sont certes compréhensibles en fonction des réalités naturelles ou sociales les plus connues (le pain et le vin nourrissent, l’ablution d’eau purifie, la remise de la dette libère le débiteur, etc.), mais ils n’acquièrent leur plénitude de sens qu’en fonction de celle que leur donnent les textes de la Sainte Écriture. Ainsi la bénédiction de l’eau baptismale de la veillée pascale – remarquable échantillon d’exégèse liturgico-scripturaire à l’intérieur même d’un texte du culte divin – collecte les allégories de l’eau sacramentelle (eaux de la Genèse au-dessus desquelles planait l’Esprit, eaux de la Mer Rouge, eaux du Jourdain).  

C’est cette continuité entre l’Écriture et le culte divin que Lothaire de Segni tisse de manière continue : l’évêque, qui représente la Christ, est vêtu de sandales liturgiques qui touchent terre et évoquent, selon l’exégèse de Saint Grégoire, l’humanité du Christ, sandales dont saint Jean-Baptiste se dit indigne de dénouer la courroie (Mt 1, 7), parce qu’elles sont la représentation du mystère de l’union de la divinité à l’âme humaine du Christ et de l’âme au corps ; le pontife « entrant » à l’autel est le Christ pontife des biens à venir qui traverse le plus parfait des tabernacles (Heb 9, 11) ; il baise cet autel, comme l’époux du Cantique la bouche de l’épouse, et signifie ainsi l’union du Christ et de l’Église ; etc. comme à l’infini, puisque « l’Écriture grandit avec celui qui la lit », selon saint Grégoire.

 

mysteres des messe mystères des messes

Les mystères des messes (Lothaire de Segni), présentation, édition critique et traduction française d’Olivier Hann, Presses universitaires Rhin & Danube, 2022, 2 volumes indissociables, 1063 p., 60€.

 


À signaler : l’édition de laGemma animæ, d’Honorius d’Autun

La récente édition critique bilingue latin/anglais de la Gemma animæ, « Le Joyau de l’Âme » d’Honorius d’Autun est un évènement important dans le domaine de l’histoire de la liturgie, car la première impression de cette somme avait été faite à Leipzig en 1514, et on ne disposait depuis que de sa reproduction dans la Patrologie latine de l’abbé Migne (PL 172, 541-738).

On doit la présente édition, traduction anglaise, notes, index, références scripturaires, à deux infatigables universitaires, Zachary Thomas et Gerhard Eger, qui se sont spécialisés dans les traductions d’ouvrages liturgiques de tous ordres, pas seulement médiévaux (ils sont sur le point de publier une édition anglaise des fameux Voyages liturgiques de France de Jean-Baptiste Le Brun des Marettes, du début du XVIIIe siècle).  

C’est au XIIe siècle qu’Honorius, moine probablement d’origine irlandaise, installé à Ratisbonne, a réalisé son œuvre (entre autres, une vaste encyclopédie, une Imago mundi, sur la constitution de l’univers et l’histoire universelle). Il n’a rien à voir avec la ville d’Autun, mais doit son nom au fait qu’il avait installé une sorte d’ermitage en un lieu appelé Augustoduna (la colline auguste, sacrée, la sainte élévation). Il y consacra son labeur à une œuvre de vulgarisation pour le clergé de son époque. En matière de liturgie allégorique, il met ainsi à disposition de son public, dans un langage très accessible les trésors puisés essentiellement chez Amalaire, mais aussi dans les étymologies d’Isidore de Séville, le tout de manière très sobre.  

C’est d’une liturgie romaine déjà bien fixée qu’il traite. Dans un monde littéraire médiéval, qui est celui de la copie et de la glose, cette Gemma animæ, qui parle de la messe, de l’office, de l’année liturgique, en brefs chapitres au classement plus ou moins ordonné, a été un vecteur important du commentaire mystique médiéval du culte divin, aux côtés notamment du De divinis officiis de Rupert de Deutz et des Sermones de ecclesiasticis sacramentis d’Yves de Chartres. Toutes ces sommes vont confluer dans celles, en quelque sorte définitives, de Lothaire de Segni et par lui de Durand de Mende. 

 

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Jewel of the Soul, Honorius Augustodunensis, édité et traduit par Zachary Thomas et Gerhard Eger, Harvard University Press, tome 1 & tome 2.

 

>> à lire également : Les réfugiés de l’Artsakh, une histoire qui se répète 

Abbé Claude Barthe +

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