Le cycle liturgique nous fait revivre une scène bien connue : la montée aux cieux du Christ en gloire. Mais derrière la popularité de ce jour chômé occasionnant souvent un pont délectable en ce joli mois de mai, se cache un rappel évangélique aussi exigeant qu’encourageant qu’il convient de remettre en lumière.
Fête bien déroutante que l’Ascension. Triomphe nimbé de tristesse. Gloria et extinction du cierge pascal. La fragile flamme du christianisme naissant semble s’éteindre. Les anges rabrouent pour ainsi dire les Apôtres. Serait-ce une répétition de la scène du Calvaire sous une luminosité différente ?
Cependant l’ambiance au cénacle est moins à la crainte qu’à l’oraison. Chacun se prépare à quelque chose. La Foi des disciples est intacte. Elle commence d’ailleurs à s’exercer dans cette attente du mystérieux Esprit que le Christ a promis d’envoyer. Bref nous n’assistons pas une fin de règne mais à quelque chose comme la lente germination sous le sol gelé par l’hiver.
L’heure est à la réflexion ou pour mieux dire à la contemplation, afin de tirer toutes les leçons de l’évènement qui vient de s’accomplir. Mais elle n’est pas que le prélude à l’action, elle en est la source intarissable. L’enseignement majeur de cet événement est le suivant : le but de la vie humaine ne se cantonne pas aux tribulations de ce monde.
Le Christ est la Voie
Le catéchisme pour les diocèses de langue française du chanoine Quinet nous apprend que Jésus-Christ s’est incarné notamment pour nous montrer l’exemple d’une sainte vie et qu’Il est monté au Ciel pour nous y préparer une place. En outre l’Eglise nous fait demander le désir du Ciel comme fruit de la méditation du mystère de l’Ascension.
Ainsi le départ du Seigneur est-il pour les Apôtre un rappel salutaire. Ils auraient pu s’habituer à la présence victorieuse du Divin Maître parmi eux après la Résurrection. Le risque était grand de tomber dans la routine ou la facilité. Il fallait son départ pour purifier leur amour et en éprouver la solidité. Il le fallait aussi pour que l’œuvre d’évangélisation commence vraiment, pour qu’ils deviennent effectivement ses instruments, les « intendants des mystères de Dieu. »
En un mot, ils auraient pu se satisfaire d’un petit confort spirituel terrestre. L’Eglise faillit ne jamais s’étendre. Pour quelle raison ? Parce que tout à la joie d’avoir retrouvé leur Sauveur, les disciples en oublièrent presque que la vie après la mort ne consiste pas seulement en la résurrection du corps, mais en l’union parfaite et définitive avec le Père.
L’Ascension leur rappelle, ainsi qu’à nous, que la vie d’ici-bas, bien que bonne, n’est qu’un passage vers celle du Ciel qui ne passera jamais.
A l’heure de triomphe du matérialisme et de la sécularisation ; à l’heure aussi de la disparition du règne social du Christ, il convient de méditer sur ce point. La séparation des pouvoirs temporels et spirituels acte le fait que les Etats ne reconnaissent plus la destinée réelle de leurs administrés. Ils ne sont donc plus à même d’en comprendre les ressorts profonds et s’agitent dans de vaines conjectures.
Il en est parfois ainsi de chaque homme individuellement. Captivé par les choses sensibles, il en oublie son âme. Méconnaissant ce qui peut le rendre heureux, il est semblable à Saint Augustin avant sa conversion cherchant partout cette beauté qui le comblerai sans parvenir à la trouver.
Ainsi le Christ, Voie, Vérité et Vie, rappelle aux chrétiens quel est le véritable sens de leur vie : connaître, aimer et servir Dieu et le rejoindre un jour au Ciel.
« Allez par toute la Terre, de toutes les nations, faîtes des disciples. »
Les anges, apparaissant aux Apôtres pour mettre un terme à leur contemplation stérile de la nuée dans laquelle leur Seigneur a été enlevé, nous offrent un deuxième avis salutaire. La découverte et la contemplation de notre finalité seraient totalement vaine si elles ne poussaient à l’action.
Il faut maintenant faire son deuil de la présence du Maître et reprendre le chemin de la vie quotidienne, de l’observance des Commandements, et de l’accomplissement de la mission. De la même manière que dans la vie de prière, après une période de consolations, l’âme doit reprendre le chemin du désert sous peine de rester toute sa vie dans un enfantillage spirituel.
Qui veut la fin, veut les moyens. Qui veut l’éternité bienheureuse prend le chemin qui y conduit. Et le Christ vient de l’indiquer d’une manière on ne peut plus claire : « Allez par toute la terre, de toutes les nations faîtes des disciples, les baptisant au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. »
Cependant le Christ n’a pas seulement indiqué une direction. Bien plus encore, Il est Lui-même le but. Qu’est-ce que la vie éternelle, sinon la vision de Dieu face à face ? C’est pourquoi l’Ascension est bien plus que la fin d’un cycle liturgique. Elle est le point de départ de l’évangélisation. Ce ne sera pas seulement un système religieux qui sera transmis à chaque converti, mais la révélation de ce pourquoi il est fait. Il s’agit d’une véritable libération. Libération d’une angoisse : dans quel but ai-je reçu la vie ?
L’annonce de la Bonne Nouvelle répond aux deux besoins primordiaux de l’être humain : savoir d’où il vient pour savoir où aller, et être aimé.
Ainsi l’Ascension n’apparaît plus comme un abandon, mais comme une grande joie. Jésus nous manque. N’est-ce pas signe que nous l’aimons ? Cet amour nous pousse à l’action. « La joie de l’âme est dans l’action » disait Lyautey. L’on aurait pu ajouter : « et dans l’amour ». Il est parti pour être mieux aimé et possédé par sa présence dans tous les tabernacles de la Terre : « Et voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles. »
Ce n’est qu’une nuée qui l’a dérobé aux regards des hommes de Galilée. Si nous savions voir avec les yeux de l’âme nous le verrions plus présent que jamais dans leur quotidien pour le rendre céleste dès ici-bas et les faire déjà toucher au but de la vie éternelle par une vie sainte.
Or Dieu n’a pas changé, ni la nature humaine. Se pourrait-il que ce qui était vrai pour les Apôtres le soit aussi pour nous et que la fête de l’Ascension nous apprenne à nous aussi « qu’Il nous a fait pour Lui et que notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en lui ? »
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