Notre quinzaine : Face au nihilisme, que fait l’Église ?

Publié le 06 Mar 2024
nihilisme

Le catholicisme n’échappe pas à la tentation nihiliste, dans une sorte de déconstruction de tout son appareil doctrinal et disciplinaire. © Wirestock / Freepik

L’effacement de l’Occident est-elle la victoire du nihilisme ? Sous le titre La défaite de l’Occident, le sociologue et historien Emmanuel Todd vient de faire paraître un nouvel ouvrage qui n’a pas laissé indifférents les commentateurs. Le livre s’inscrit dans le cadre de la guerre en Ukraine et tente d’en discerner les causes.

De ce fait, l’auteur entreprend une sorte de plongée dans la réalité des pays concernés par ce conflit, la Russie et l’Ukraine au premier chef, mais aussi les « grandes » puissances européennes (Allemagne, France et Royaume-Uni) et les États-Unis d’Amérique.

 

Le temps long

La démarche, et c’est son premier mérite, s’inscrit dans le temps long. Elle convoque aussi bien l’histoire que l’économie, l’analyse politique que les statistiques touchant divers domaines.

Le ton est parfois péremptoire et pourra agacer un certain nombre de lecteurs qui ne partageront pas les conclusions de l’auteur concernant le conflit en Ukraine.

La méthode suivie par Emmanuel Todd apparaît également trop systématique, de nature quasi mathématique, ce qui laisse peu de place dans l’ensemble à la contingence des actes humains.

Néanmoins, La Défaite de l’Occident mérite qu’on s’y arrête un instant, davantage pour certains matériaux utilisés que pour ses conclusions ou pour sa méthode de fond.

Emmanuel Todd tend à démontrer, en effet, que la crise profonde (le mot est important) que traverse l’Occident (Europe et États-Unis d’Amérique) s’explique notamment par une baisse démographique, elle-même révélatrice du nihilisme ambiant, et par l’effondrement du rôle de la religion dans nos sociétés.

 

Démographie et religion

Ces deux paramètres sont d’ailleurs corrélés chez Todd, qui en donne une explication, parfois agaçante pour le croyant, notamment lorsqu’il estime que l’effondrement religieux est irréversible. Toujours selon son analyse, l’attitude vis-à-vis de l’homosexualité révèle aussi le degré de basculement religieux :

« l’acceptation de l’homosexualité et celle du mariage pour tous ne sont retenues ici que comme preuves d’un basculement culturel, irréversible, et comme indices d’un état zéro de la religion. »

Voilà une conclusion qui ne peut nous laisser indifférents. D’autant que Todd, à coups de formules chocs, distingue en fait deux états religieux dégradés affectant les sociétés occidentales. Le premier est celui de la religion « zombie ». La croyance et les pratiques qui lui y sont liées ont disparu mais il survit une sorte de réflexe culturel qui prend ses racines dans la religion.

Mais cet état, sauf sursaut, n’est que transitoire et débouche à son tour sur le « niveau zéro » d’une religion. Non seulement la disparition de la croyance et des pratiques mais également des réflexes communautaires découlant de siècles de vie religieuse.

Les États-Unis d’Amérique seraient ainsi parvenus à « l’état zéro » du protestantisme, religion fondatrice de cette nation, alors qu’en France nous sommes confrontés au catholicisme zéro. Ce qui règne et qui habite nos sociétés porte un nom : le nihilisme.

 

Quelle réponse au nihilisme ?

Encore une fois, si l’on peut discuter la méthode et le caractère systématique de l’analyse d’Emmanuel Todd, force est d’admettre que cette conclusion correspond assez bien à ce que nous constatons.

En Occident, l’islam « surfe » avec une incroyable facilité sur ce nihilisme, offrant aux populations immigrées de deuxième et de troisième génération une réponse au vide auquel elles sont confrontées. Il touche même désormais des populations d’origine européenne et chrétienne.

L’avancée proprement nihiliste de l’avortement en passe d’entrer dans la constitution de la République française en est un autre signe.

Mais ne nous leurrons pas ! Au sein de l’Église, la politique du flou doctrinal et le passage en douce de l’acceptation de l’homosexualité – dernier exemple en date, mais qui n’est qu’un exemple – montrent également que le catholicisme n’échappe pas à cette tentation nihiliste, dans une sorte de déconstruction de tout son appareil doctrinal et disciplinaire.

La réponse ne peut évidemment tenir en quelques lignes. Les appels à l’obéissance et à l’espérance, le plus souvent réduite à un simple optimisme mondain, ne suffiront pas ou plus. Pas plus que l’appel aux périphéries ! Cette perspective pouvait être encore vraie dans les années 1970, lorsqu’il restait des lambeaux de chrétienté. Aujourd’hui, le nihilisme campe au centre même.

Il y a donc urgence à ce que le catholicisme se réapproprie son être.

 


  1. Emmanuel Todd, La Défaite de l’Occident, Gallimard, 374 pages, 23 €.

 

>> à lire également : Les chanceliers (1/4) : Les travaux et les jours d’un chancelier

Philippe Maxence

Philippe Maxence

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneÉditorial

Le Christ et l’Église, mariés pour la vie

L'éditorial du Père Danziec | L’Église, c’est elle qui nous sauve et non pas qui que ce soit qui se trouverait en mesure de sauver l’Église. On ne sauve pas l’Église, on la sert. De tout son cœur et de toute son âme. On ne change pas l’Église, on la reçoit. Intégralement et sans accommodement de circonstance. Tout le mystère de l’Église gît dans l’équation et la convertibilité de ces deux termes : le Christ et l’Église. Ainsi, la formule « Hors de l’Église, point de salut» ne signifie réellement pas autre chose que : « Hors du Christ, point de salut ».

+

christ et église
ÉditorialFrançois

Notre quinzaine : que demandez-vous à Dieu ?  

Éditorial de Philippe Maxence | La nouvelle du décès de François n’a surpris personne. Depuis plusieurs mois, nous savions qu’il était malade et qu’il pouvait, d’un moment à l’autre, rendre son âme à Dieu. En attendant de pouvoir en faire un bilan, nous devons d’abord prier pour le repos de l’âme de François ainsi que pour l'Église.

+

dieu
Éditorial

À quoi sert la politique ?

L’Éditorial du Père Danziec | Il est une exigence à laquelle doit répondre la politique et qui échappe parfois à ceux-là mêmes qui devraient l’enseigner dans l’Église : la politique se doit d’aider les hommes à atteindre leur fin. L’organisation idéale de la cité sera celle qui, à sa place, favorisera l’amour des vertus et le service de la vérité, dans le but du salut des âmes.

+

politique
Éditorial

Libérer la vérité

L'Éditorial de Maitena Urbistondoy | Le catholicisme semble avoir trouvé un nouveau souffle… sur les réseaux sociaux ! Beaucoup de catholiques s’emparent de ces outils pour évangéliser. L'intention est bonne, mais la vie privée devient un contenu monétisable, est-ce bien prudent ? Nous confondons prudence et stratégie, vérité et popularité, communication et mission. Nous croyons faire œuvre d’apostolat, alors que nous participons parfois à la dissolution du sens.

+

libérer la vérité
ÉditorialCarême

Le bon Dieu en haut-débit

Éditorial du Père Danziec | Le monde a beau vivre des mutations diverses et variées depuis son origine, le mystère du Calvaire, telle une ancre stabilisatrice, s’offre aux hommes pour les guérir de leurs agitations parfois contradictoires. La croix est arche du Salut et instrument de notre Rédemption.

+

Chartreuse débit dieu carême
Éditorial

Notre quinzaine : Quelle révolution américaine ?

Éditorial de Philippe Maxence | S’il est bien sûr encore trop tôt pour mesurer l’impact exact de la « révolution » Trump, force est de constater que les lignes ont commencé à bouger. La visite en Europe du vice-président J. D. Vance, en février dernier, a marqué les esprits. Elle a aussi profondément agité la tranquillité suffisante de la nomenklatura européenne.

+

révolution Vance