Cette année encore, le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté qui s’est déroulé à la Pentecôte a rencontré un véritable succès avec plus de 18 000 pèlerins inscrits. Des jeunes, beaucoup de jeunes, mais aussi des familles réunissant les parents et les enfants, voire parfois les grands-parents. Des Français de toutes nos provinces mais aussi des « étrangers » venus d’Europe et d’autres continents. On hésite d’ailleurs à employer ce terme d’« étranger » si peu approprié lorsqu’on professe le même credo.
Quoi qu’il en soit, nous avons assisté, pendant trois jours, à une chrétienté en marche, mettant ses pas dans ceux de Charles Péguy, venu avant 1914 solliciter le secours de Notre-Dame pour l’un de ses fils malade. À son ami Joseph Lotte, Péguy avait déclaré : « Mon vieux, je suis un homme nouveau. J’ai tant souffert et tant prié, tu ne peux pas savoir. (…) J’ai fait un pèlerinage à Chartres, 144 kilomètres en trois jours. Ah, les croisades c’était facile ! Il est évident que nous aurions été les premiers à partir pour Jérusalem et que nous serions morts sur les routes. »
La fécondité évangélique
Évoquer Péguy en parlant de Chartres est devenu un passage obligé qui se transforme souvent en facilité lorsqu’on est en mal d’inspiration. Un nom, une citation et tout semble dit. Pourtant, il faut dépasser cette commodité. Au XXe siècle, Péguy représente non seulement la foi retrouvée, l’attachement à la France, l’exaltation de la geste de Jeanne d’Arc et le pèlerinage vers Chartres mais aussi (surtout ?) la réalisation de la parole évangélique : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits » (Jn, 12, 24).
La solitude de Péguy n’a pas été une fiction et, à la fin de sa vie, le célèbre écrivain survivait comme abandonné de tous. À vue humaine, sa carrière n’était plus rien et son œuvre, difficile et exigeante, prenant souvent à contre-pied la majorité de ses lecteurs qui allaient diminuant, était vouée à l’oubli. La balle allemande qui l’a frappé au front le 5 septembre 1914 a changé de manière inattendue le cours des choses. Le grain est tombé, et il est mort : la récolte a été abondante. Les 18 000 pèlerins de Notre-Dame de Chrétienté n’en sont pas les seuls fruits, seulement les plus récents.
Leçon d’espérance
Dans ces temps difficiles, il faut en tirer une leçon. Dans un océan d’athéisme et d’indifférence, d’oubli de la loi naturelle et de règne de l’horizontalité, 18 000 pèlerins ne représentent peut-être pas grand-chose. Un grain, seulement un grain, à condition, bien sûr, de mourir afin de porter du fruit.
Mais mourir à quoi ? Mourir à l’esprit du monde, à cette mondanité ravageuse qui nous menace tous, y compris parmi ceux qui ont marché vers Chartres. La presse a souligné l’attachement de ce pèlerinage à « la messe en latin », à l’ancienne messe, à la forme extraordinaire ou encore au rite de saint Pie V, autant de termes pour tenter de cerner une réalité liturgique.
Certains, ne pouvant plus nier la fécondité de ce pèlerinage, n’ont eu de cesse de le mettre en parallèle avec le rassemblement du Frat à Jambville (11 000 participants) ou de souligner que les pèlerins de Chartres n’étaient pas tous des habitués de la liturgie romaine traditionnelle. La belle affaire ! Autant d’affirmations qui ressemblent, à vrai dire, aux dernières cartouches avant la reddition dans un Camerone qui n’aura rien d’héroïque.
La foi au risque de Quas Primas
Alors que nous nous préparons l’an prochain à célébrer le centenaire de Quas Primas (11 décembre 1925), l’encyclique de Pie XI sur la royauté sociale du Christ, il n’est peut-être pas inutile de nous souvenir que ce pèlerinage de la Pentecôte n’est pas simplement le signe d’un attachement à une forme liturgique, aussi vénérable et ancienne soit-elle, mais qu’il postule aussi la nécessité d’une chrétienté et d’une reconnaissance effective de la royauté sociale du Christ.
Limiter celle-ci à la reconnaissance des points non négociables en politique, à la création d’écoles catholiques ou à l’épanouissement de familles catholiques constituerait une tragique réduction et un terrible manque de foi. Il ne peut s’agir de vivre simplement au chaud dans des espaces communautaires que nous aurions réussi à protéger comme si le reste de la société ne nous concernait pas. Le salut du Christ est pour tous.
Toute irréalisable qu’elle semble à notre foi attiédie, la reconnaissance sociale et politique du Sacré-Cœur de Jésus n’en reste pas moins l’objectif auquel nous devons tendre, à temps et à contre-temps. Là se trouve aussi la grande leçon de Péguy. C’est quand tout semble perdu que la moisson arrive. « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt »…
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