Il y a eu cent trente ans le 16 février dernier, le pape Léon XIII publiait son encyclique Au milieu des sollicitudes. Plus qu’un appel, un véritable coup de tonnerre puisque le souverain pontife ordonnait aux catholiques français de se rallier à la République dans le but de combattre efficacement les lois anticléricales.
Ces dernières années, plusieurs historiens, venus d’horizons différents, se sont penchés sur ce thème. C’est le cas notamment de Philippe Prévost dans L’Église et le ralliement, histoire d’une crise (CEC, 2001), du professeur Martin Dumont et de sa passionnante thèse de doctorat, Le Saint-Siège et l’organisation politique des catholiques français aux lendemains du Ralliement. 1890-1902 (Honoré Champion, 2012) et, venu d’Italie, Le Ralliement de Léon XIII du professeur Roberto de Mattei (Le Cerf, 2016). Plus anciennement, dans son Histoire religieuse de la France contemporaine (1951), un classique, Adrien Dansette y consacrait de nombreuses pages et y revenait même assez longuement dans sa tentative de bilan. Généralement, les historiens s’accordent pour conclure à un certain échec immédiat de la voie politique imposée par Léon XIII aux catholiques français. Pourtant, Adrien Dansette, par exemple, tempérait ce jugement en estimant qu’un second ralliement, caractérisé par les accords avec la République en 1924 et la condamnation de l’Action française (1926), était parvenu à ses fins.
Disparition des anticorps
Quoi qu’il en soit de la vision historique, le Ralliement a profondément modifié, jusqu’à aujourd’hui, le poids du catholicisme dans la société française et le regard des catholiques sur la politique.
Et c’est là, étrangement, que l’Histoire rejoint notre actualité. Parmi ses effets induits, le Ralliement nous a conduits à acquiescer à la vision moderne de l’homme et à entrer dans un processus d’intégration à la modernité politique, lequel nous a entraînés dans une véritable dilution sociale et politique, facteur elle-même d’une diminution de nos anticorps conformes à la loi naturelle.
Ainsi, alors que les joutes électorales se déroulent sous nos yeux, que les candidats à l’élection présidentielle rassemblent leurs troupes et tentent de séduire les électeurs, nous catholiques, nous contemplons ce spectacle comme s’il était normal et conforme au bien de l’homme. Or, sans entrer dans de difficiles considérations philosophiques, il est évident qu’aussi bien les élections que les débats parlementaires traduisent dans les faits un système politique reposant sur une vision extrêmement pessimiste de l’homme dont le professeur Danilo Castellano a expliqué l’origine protestante (1).
Quelle vision de l’homme ?
Pessimiste ? Oui, en ce que cette vision postule un homme ne cherchant finalement que son intérêt et s’opposant constamment aux autres. Le but de la politique se réduit alors non à chercher le bien commun mais à tempérer les ardeurs belliqueuses en organisant la confrontation. Sans même parler de la vision chrétienne de l’homme, c’est peu dire que nous sommes ici à l’opposé de la conception classique de la politique. Pour celle-ci, l’homme n’est pas d’abord un individu isolé, mené par un égoïsme nécessaire, mais un animal social, lequel peut vivre dans la cité en raison de l’amitié politique, lien qui unit les hommes entre eux.
Esprit de faction ou amitié politique en vue du bien commun ? La question nous semblera naïve dans sa simple formulation. Elle traduit pourtant, à sa manière, une conception de l’homme et de la politique pour laquelle il faut trancher. La réponse ne sera peut-être pas opérante immédiatement, mais elle doit nous conduire au minimum à ne pas avaliser en pensée une philosophie politique et sa concrétisation contraire à la nature de l’homme. Même si nous estimons devoir poser des choix concrets dans le cadre du système politique moderne, il convient de le faire toujours comme un pis-aller en vue de préparer le retour aux conceptions conformes au droit naturel.
C’est ce que dit sur un autre plan l’abbé Claude Barthe dans le petit ouvrage que nous éditons (2) : « l’opposant au système social moderne doit constamment s’exercer à une ascèse de non-intégration mentale et morale, sans qu’elle prenne cependant jamais la forme d’une fuite sectaire ou communautariste. Elle nécessite une éducation à la résistance spirituelle, intellectuelle, éthique, que devraient dispenser les clercs et d’abord les évêques, mais que doivent assumer en toute hypothèse les parents et enseignants catholiques. »
1. Martin Luther, le chant du coq de la modernité, Éditions de L’Homme Nouveau, 236 p., 12 €.
2. La Tentation de ralliement, être catholique en démocratie, Éditions de L’Homme Nouveau, 174 p., 13 €.