À l’approche de la célébration de Noël, comment ne pas s’interroger sur l’état du monde, et, singulièrement, celui de notre pays ? La violence semble l’emporter partout. On aura en tête évidemment le conflit israélo-palestinien, la guerre en Ukraine, les attentats islamiques ou la mort qui frappe à l’occasion d’un bal.
Mais les simples rapports sociaux se dégradent également et la violence semble souvent à fleur de peau, prête à s’exprimer à la moindre occasion, un regard trop appuyé, une phrase incomprise, une bousculade involontaire. Les mœurs modernes sont devenues des irruptions volcaniques qui emportent tout sur leur passage. Les regards d’une grande partie de nos concitoyens reflètent cet état de chose, à travers des yeux inquiets ou atones, perdus parfois dans des pensées qui semblent bien sombres.
Noël : la paix et l’ordre
Dans La Cité de Dieu, saint Augustin aborde la question de la paix, définie comme la tranquillité de l’ordre. À vrai dire, la citation mérite d’être un peu plus longue tant la pensée de l’évêque d’Hippone ouvre de larges perspectives :
« La paix de la cité, c’est la concorde bien ordonnée des citoyens dans le commandement et l’obéissance ; la paix de la cité céleste, c’est la communauté parfaitement ordonnée et parfaitement harmonieuse dans la jouissance de Dieu et dans la jouissance mutuelle en Dieu ; la paix de toutes choses, c’est la tranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est la disposition des êtres égaux et inégaux, désignant à chacun la place qui lui convient » (XIX, 13).
Depuis des siècles, nous avons perdu la paix, par désillusion ou idéologie. Notre système politique lui-même est entièrement organisé sous « le signe du conflit civilisé », pour reprendre une expression de Mathieu Bock-Côté dans son dernier essai.
Un livre courageux, dont le titre ne peut laisser indifférent – Le Totalitarisme sans le goulag –, et qui s’attaque de front aux mécanismes qui disqualifient l’adversaire en « l’anathémisant » comme extrémiste de droite. Bock-Côté démontre avec une certaine force que ce processus dialectique mène justement au totalitarisme.
Nous autres modernes
Reste que pour la pensée moderne la vie de la cité repose sur « le conflit civilisé », ce qui transforme le bien commun en une sorte de valeur relative, née de la collision de « principes contradictoires ». L’homme moderne a perdu la certitude d’une amitié politique possible et celle de la poursuite envisageable d’un bien réel. Il est emporté par un fort pessimisme sur la nature humaine et celle de la société. La paix, elle-même, du moins celle dont parle saint Augustin, ne lui semble pas possible.
Quel sens pour Noël ?
Dans ce cadre, celle de Noël peut-elle avoir un sens ? Posons nous la question autrement : croyons-nous vraiment que l’Enfant de la crèche que nous allons célébrer dans quelques jours apporte réellement la vraie paix ? Certaines municipalités françaises ont répondu clairement à cette question. En refusant tout rapport à la Nativité dans leurs décorations de Noël ou par l’absence volontaire de crèche publique, elles estiment que l’Enfant de Bethléem représente un danger pour la concorde civile.
L’Enfant de Noël protégé par le rempart d’une grotte
Au sein même de l’Église, certains hiérarques refusent l’idée du règne du Christ sur les réalités temporelles, en opposant États catholiques et évangélisation, comme si les premiers n’étaient pas des médiateurs possibles pour la seconde. Il n’y a pourtant pas de paix possible et durable sans les remparts de la cité.
Jean Guitton, cité par dom Gérard dans Demain la chrétienté, le soulignait à sa manière :
« Sans Charles Martel, l’Islam se serait étendu jusqu’au Rhin. Sans Jeanne d’Arc, la France aurait été une Inde anglaise. Nous avons trop oublié ces dures réalités. Tout ce qui est précieux, tout ce qui est exquis est exposé à périr et doit périr en effet si l’homme de guerre qui doit le préserver et le défendre ne devenait qu’un homme de paix. »
Le Christ lui-même a bénéficié du rempart d’une mangeoire et d’une grotte pour le protéger et des bras protecteurs de sa mère et de la force tranquille de saint Joseph qui n’a pas été placé là uniquement pour la décoration. L’évangélisation elle-même nécessite la protection du bras temporel.
L’espérance de Noël
Devant la violence qui traverse notre monde, devant la lâcheté qui campe trop souvent parmi nous, et touche jusqu’à nos pasteurs et nos élites, il ne sert à rien de gémir sur les malheurs des temps. Dom Gérard écrivait encore :
« Toute chrétienté naissante nous relie à l’histoire de l’Église primitive et porte en elle la grâce des recommencements. Nous voilà à pied d’œuvre. Pour l’instant, ce n’est pas encore la montée de l’aurore, ce n’est peut-être que l’aube grise qui lentement se détache de la nuit. »
C’est bien au cœur d’une nuit, celle de Noël, qu’il faut revenir pour puiser non seulement le vrai sens de la paix mais aussi la certitude de sa possibilité. Tout s’effondre, nous sommes donc à l’époque des recommencements et d’une foi affermie au pied de la crèche.
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