Désarroi
Un certain nombre de lecteurs nous demandent, anxieux, de mettre en garde contre Emmanuel Macron. Plus s’avance la campagne électorale en vue des présidentielles, plus l’ancien ministre de l’Économie apparaît, en effet, comme la solution imaginée par un système aux abois pour se sauver du désastre. Emmanuel Macron n’est d’ailleurs pas uniquement l’ancien ministre préféré de François Hollande. Comme nombre de ceux qui se destinent normalement au service de l’État en passant par l’ENA, il a aussi fait carrière dans la finance (banque Rothschild & Cie) tout en militant également au parti socialiste, incarnant cette génération d’hommes de gauche qui ont trouvé dans le mondialisme libéral et financier le nouveau paradigme progressiste.
Le nom de son mouvement (En marche !) est lui aussi très révélateur de la philosophie qui l’anime. Au fond quelle est sa finalité, sinon le mouvement permanent. Vers quoi et pourquoi ? Peu importe, dès lors que l’on est en marche ! Nous en sommes ramenés au vieil Héraclite, avec ce danger toujours actuel que nous courons droit dans la confusion. Aristote, évoquant le philosophe d’Éphèse, parlait déjà d’Emmanuel Macron : « Il est évidemment impossible, pour le même esprit, de concevoir en même temps, que la même chose est, et n’est pas. » Aristote se trompait. Tous les discours fumeux du candidat Macron prouvent qu’il tente en permanence ce grand écart, pourtant métaphysiquement impossible. Preuve que le candidat d’« En Marche ! » a beau avoir un visage de jeune premier, il incarne surtout des idées bien rancies.
Nul besoin, à vrai dire, de mettre en garde contre Emmanuel Macron. Les lecteurs de L’Homme Nouveau ont depuis longtemps compris le personnage et l’aspect artificiel de sa démarche. Alors, pourquoi en parler ? Tout simplement parce qu’il est le point culminant de notre décomposition et qu’il révèle exactement où nous en sommes.
Un réflexe de survie
Il révèle ainsi que les élections présidentielles ne résoudront pas la crise morale, intellectuelle et spirituelle que nous traversons et dont Emmanuel Macron n’est qu’un épiphénomène. Une fois les élections terminées (présidentielles et législatives), elle n’en sera pas pour autant à remiser au rang des mauvais souvenirs. Elle est le fruit d’un long processus historique et intellectuel qui trouve son origine dans la révolte protestante, dans les tentations de la Renaissance et dans les libelles des Lumières sans oublier leurs différentes traductions politiques. La place manque ici pour en détailler les différentes étapes. Mais si Emmanuel Macron développe un discours inintelligible, métaphysiquement creux et manifestement irréaliste, ce n’est pas par hasard.
Le réel ? C’est bien ce que nous avons tous perdu de vue, au point parfois de nous échiner à opposer idéologie à idéologie, dans un processus qui sert finalement, sans que nous nous en rendions toujours compte, l’autodestruction. Le retour au réel n’est pas seulement le titre admirablement trouvé d’un livre de Gustave Thibon, publié au moment où la France avait connu la plus grande défaite de son histoire. C’est une nécessité absolue, un réflexe de survie.
Le sens du réel
Retrouver le sens du réel, nous sortir de l’idéologie, consiste d’abord – c’est dire où nous en sommes ! – à retrouver par exemple le principe d’identité (« ce qui est, est ; ce qui n’est pas, n’est pas ») et le principe de non-contradiction (« Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps et sous le même rapport à une même chose »). Il s’agit d’un travail de longue haleine qui dépasse le cadre d’une élection et qui n’a rien à voir avec la télévision ou internet. Comment un être entièrement soumis au rythme d’une mégapole ou au monde virtuel de la toile peut-il encore comprendre les lois de la nature et d’abord celle de la nature humaine ? Ce n’est pas un hasard si la légalisation des unions homosexuelles arrive aujourd’hui ! Nous vivons constamment dans l’ère du vide et de l’artificiel. Pour nous désintoxiquer, pour bien penser et pour bien raisonner, il faut rééduquer nos sens. Dans un entretien qu’il nous avait accordé, le professeur James Taylor, ancien élève de John Senior, nous déclarait : « L’Église enseigne, avec Aristote et saint Thomas, qu’il n’y a aucune connaissance qui ne vienne des sens. Par conséquence, c’est de là qu’il nous faut partir et ne pas commencer à apprendre avec l’esprit rationnel cartésien. »
Si les livres ne constituent pas la première nourriture (ventre affamé n’a pas d’oreilles), il convient pourtant de retrouver les grandes sources de l’expérience humaine, de se plonger dans les classiques et de les transmettre, non comme des objets d’analyse, mais bien comme un objet d’amour. Même chose pour les livres de spiritualité. Ne mégotons pas. Mieux que les derniers livres à la mode (car il y a une mode du livre spirituel), lisons ceux des grands saints et des grands docteurs de l’Église.
Il est évident qu’il ne s’agit pas là d’un programme de restauration, mais seulement de l’esquisse de ce que chacun peut entreprendre, d’abord pour soi et pour les siens. Une sorte de première réponse à Macron et à ceux qui le soutiennent.