Notre monde est-il plus violent qu’autrefois ? Prenons garde de répondre trop vite par l’affirmative. Le refrain qui consiste à dire, en tout et nécessairement, « c’était mieux avant » mériterait certainement nuance et contextualisation. Il n’y a qu’à se plonger dans les livres de l’Ancien Testament pour mesurer l’intensité des haines recuites, des massacres, des calamités, des plaies et autre Déluge qui parcourent l’Histoire du Salut.
Et s’il ne s’agissait que de feuilleter les pages de l’Histoire tout court, on s’apercevrait rapidement du semblable spectacle. Des hordes mongoles à l’hécatombe de la Grande Peste, de la guerre de Cent Ans au sac de Rome, de l’horreur des colonnes infernales à la boucherie de la Grande Guerre, des camps de la mort nazis aux goulags de l’Union soviétique, encore et toujours cruauté, barbarie et injustice se donnent rendez-vous siècle après siècle au carrefour de la comédie humaine. Oui, hier comme aujourd’hui, « la terre est pleine de violence à cause des hommes » (Gn 6, 13).
La violence s’installe chez nous
Dans la célèbre conférence que Soljenitsyne donna à Harvard en 1978 et qui portait sur le significatif déclin du courage des élites occidentales, le dissident russe alertait les consciences. Selon lui, un droit humain d’une grande valeur se trouve confisqué par la postmodernité : « Le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir son âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n’a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d’information […] ».
Il faut pourtant bien l’avouer, par le biais des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu, la violence s’installe chez nous, sous nos yeux. Ceux des plus avertis comme ceux des plus innocents. Rixes mortelles devant les collèges, surenchère de violence entre Tsahal et le Hamas, guerre en Ukraine : la France « Orange mécanique » dispute aux conflits internationaux son lot de barbaries.
Et nous, dans tout cela ? Serions-nous voués à nous cantonner au rôle de spectateurs impuissants devant un tel chaos ? Le Temps pascal vient fort heureusement réenchanter nos âmes. En vainquant la mort, le Christ nous livre la plus belle des leçons : tant que sa grâce travaille dans un cœur, tous les miracles de grandeur restent possibles.
À la suite de la résurrection du Christ, depuis tous les tabernacles du monde, chaque baptisé est en effet appelé à puiser un peu de la bonté de Dieu pour l’accueillir dans son cœur, en vivre et tenter de le faire rayonner autour de lui. Cet amour brûlant de Dieu pour les pauvres hommes que nous sommes doit nous confondre et… nous bousculer ! « Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits ? »
« La vie de charité n’est pas au libre choix pour un chrétien. »
Notre devenir éternel
Il appartient en effet à chaque âme bien née de conserver chevillée au cap de son existence cette vérité toute simple : la vie de charité n’est pas au libre choix pour un chrétien. Elle lui est même aussi capitale que l’eau pour un poisson. Condition de la respiration de son âme, sans la charité le chrétien devient un imposteur au cœur sec. Pire, il court le risque de devenir un contre-témoignage.
Comprenons-nous bien : grandir dans la charité n’est pas affaire de calcul ou d’ambition déplacée, mais détermine le devenir éternel de chacun. La vie d’amitié avec Dieu, relevant de l’ascension d’une montagne, nous apprend qu’il n’est pas de point mort possible. Soit l’on se dépasse. Soit l’on dévale. Dans la pensée de Dieu, cette impérieuse vie de charité ne demande qu’à se développer en nous. En avons-nous seulement une conscience fine ?
Face aux déchaînements de violence propres à l’atmosphère postchrétienne, il s’agit – plus que jamais – de devenir lumière dans les ténèbres. Comment cela ? En prenant la résolution vigoureuse d’accueillir en nous l’amour de Dieu. Toute âme a la possibilité de l’accueillir en son sein : par la prière quotidienne, la confession régulière, la communion fréquente, l’ascèse persévérante et la sollicitude pour son prochain.
Un grand danger demeure cependant : la comparaison avec plus médiocre que soi. La pratique authentique de la charité interdit de s’endormir sur ses lauriers, en supposant… qu’on en possède ! Le Malin réclame sa part. Le diable cherche à balafrer le splendide visage de l’ascèse chrétienne, abîmer les convictions les plus solides, détruire la paix des ménages, diviser les amitiés anciennes.
Décider de suivre le Christ et l’imiter, c’est prendre conscience que la charité ne saurait se satisfaire de ne pas donner davantage. À nous de supplier Dieu de nous aider par sa grâce à donner le meilleur de nous-mêmes pour être bons les uns avec les autres. Dans notre agir, l’arme la plus efficace contre la déconstruction ambiante est et restera l’amour. Parce que l’amour, c’est Dieu. Tout simplement.
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