En répondant aux questions d’un journal allemand, le Pape François a annoncé le 9 mars dernier que la possibilité d’ordonner des hommes mariés d’âge mûrs (viri probati) pouvait être étudiée et qu’il convenait que l’Église ne reste pas sourde aux appels du Saint-Esprit. Il revient au Souverain Pontife, en vertu de la grâce de son état, et en mesurant devant Dieu le poids de ses responsabilités, de prendre la décision d’ouvrir une telle discussion (cf. p 8). Pourtant, cette déclaration intervient après le trouble créé par certains passages d’Amoris Lætitia et qui, quelle que soit la perception que l’on en a, a entraîné la division et la confusion, y compris chez des membres de la hiérarchie. Il n’est pas sûr que ce nouveau chantier soit de nature à calmer les inquiétudes. Mais, comme toujours, il convient de rappeler que c’est l’Église qui nous sauve et non l’inverse. Si nous devons œuvrer à sa réforme, les armes les plus efficaces restent encore et toujours la prière, la pénitence et le sacrifice.
Dans L’Église du Verbe incarné, le cardinal Journet rappelle à raison que « la religion inscrite dans l’Évangile n’est pas égalitaire, mais apostolique ; ce n’est pas une religion sans intermédiaires, mais une religion de hiérarchie ». (cardinal Journet, L’Église du Verbe incarné, tome I, Desclée De Brouwer, p. 25). Pour autant, il insiste également sur un autre aspect de cette même vérité : « En tant qu’ils sont les dépositaires et les organes du pouvoir de juridiction, le pape et les évêques forment l’Église enseignante ; mais en tant qu’ils ont une âme à sauver, une intelligence et un amour qu’il faut vouer à Dieu, ils font partie de l’Église croyante et aimante. Ils sont tenus de recevoir, au même titre que tous les chrétiens et sous peine de manquer leur salut éternel, tous les énoncés de droit divin (…). Quant aux énoncés de droit ecclésiastique qu’ils ont eux-mêmes promulgués, ils sont encore tenus respectivement de s’y conformer : non sans doute qu’un chef puisse se lier lui-même juridiquement devant les hommes par les lois qu’il promulgue, mais il se lie lui-même moralement devant Dieu, qui lui reprochera au dernier jour “d’avoir dit et de n’avoir pas fait”, d’avoir “imposé de lourds fardeaux sans même essayer de les remuer du doigt” (Mt, 23, 3 et 4). » (Ibid., p. 36).
Confusion politique
À vrai dire, l’état du monde actuel démontre à lui seul que l’Église n’est pas la seule à vivre aujourd’hui dans un état de véritable trouble. À quelques semaines de l’élection présidentielle, la France semble complètement perdue en ce qui concerne les voies de son avenir. Elle aussi, elle est ballottée de droite à gauche, non plus en raison simplement d’une crise passagère, mais à cause de la logique interne du système qui régit sa vie politique. Il faut bien constater, en effet, qu’au-delà du feuilleton juridico-politique qui affecte les candidatures de François Fillon et de Marine Le Pen, un système par définition partisan (le régime des partis) ne peut favoriser réellement la poursuite du bien commun (cf. p. 17). Cette élection risque donc de n’être qu’un épiphénomène au regard des besoins réels de la France. Au mieux, son résultat permettra de ralentir sa décadence ; au pire, elle l’accélérera. Il est vrai que par rapport à la vertu de prudence, l’alternative n’est pas (totalement) neutre. Mais, pour autant, elle ne nous interdit pas de voir plus loin et plus profond.
Primauté de la contemplation
En 1952, le pape Pie XII déclarait déjà : « C’est tout un monde qu’il faut refaire depuis les fondations ; de sauvage, il faut le rendre humain ; d’humain, le rendre divin, c’est-à-dire selon le Cœur de Dieu ». Avouons-le : refaire un monde est une ambition d’une autre portée qu’une élection présidentielle. Elle consiste à rebâtir la civilisation chrétienne, sur laquelle un autre pape (saint Pie X) a clairement expliqué qu’elle « n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : omnia instaurare in Christo. »
Notre civilisation européenne s’est bâtie autour des monastères bénédictins, par l’alliance tranquille de la Croix, de l’Évangile et de la charrue. Au terme de son essai Après la vertu (PUF, 282 p., 15,50 €), le philosophe Alasdair MacIntyre concluait à la nécessité d’un nouveau saint Benoît. À vrai dire, ce n’est pas tant d’un nouveau Benoît dont nous avons besoin que de retrouver l’antique sève bénédictine qui, reposant sur le primat de la contemplation, obtient le reste par surcroît. Vrai au plan de la société politique, ce besoin l’est aussi pour l’Église….