On a beaucoup reproché à nos compatriotes de se complaire dans la commémoration des défaites de la France. On raconte ainsi qu’à l’Assemblée nationale, il y aurait eu de vifs débats en 1955 pour savoir s’il était possible qu’une promotion de Saint-Cyr portât le nom de « Ceux de Diên Biên Phu ». Vraie ou non, l’anecdote mérite qu’on la cite alors que nous célébrons justement la chute du célèbre camp retranché et que la « nostalgie » est devenue par ailleurs le terrain d’un affrontement idéologique sur l’air du « c’était mieux avant ».
Mémoire de Diên Biên Phu
S’attacher aujourd’hui à commémorer Diên Biên Phu ne consiste pourtant pas à se complaire dans l’auto-dénigrement qui est une autre sorte de sport national français. En tous les cas, ce n’est pas le sens que nous souhaitons donner au dossier de ce numéro, réalisé par l’historienne Anne Bernet.
En Indochine, la France a mené, après la Seconde Guerre mondiale, un combat contre le communisme international et pour la défense des peuples qu’il menaçait, au prix de milliers de morts du côté des forces françaises et de leurs alliés vietnamiens. À Diên Biên Phu, comme à d’autres moments dans notre histoire, se sont pourtant déployées, dans un contexte éminemment contraire, des vertus morales qui ont été portées à un haut degré d’incandescence dans le feu des combats.
Reconnaissons-le : l’ennemi était déterminé et coriace, faisant peu de cas des hommes qu’il envoyait à la mort. Il était aussi fortement animé par un idéal, une cause qui exigeait tous les sacrifices. De leur côté, les Français n’avaient certainement pas une vision aussi claire et déterminée de leur mission, d’autant qu’ils dépendaient d’un pouvoir politique faible, qui se situait à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations et qui n’avait qu’une ambition qui consistait à se débarrasser au plus vite et au mieux du problème indochinois.
Les vertus militaires
Malgré ce manque crucial – comment agir efficacement quand la finalité est obscure ou trop floue ? –, les soldats français, les coloniaux et nos alliés vietnamiens ont fait preuve d’abnégation, de courage, de détermination, de sens de l’honneur et d’esprit chevaleresque, en un mot de toutes ces vertus militaires qui ne naissent pas seulement de la discipline imposée du dehors mais d’une lente appropriation inscrite dans le temps et des mœurs de toute une nation.
Dans le souvenir de Diên Biên Phu, il ne s’agit donc pas tant d’entretenir aujourd’hui la nostalgie d’une époque révolue que de se placer dans la perspective de la vertu de piété naturelle dont on rappellera ici en passant qu’elle est annexe à la vertu de justice et qu’elle nous permet de rendre imparfaitement ce que nous devons à nos parents et à notre pays. Elle est « une certaine expression de l’amour envers les parents et la patrie », précise même saint Thomas dans sa Somme théologique (II-II, 101, 3, ad 1). Le devoir de piété relève donc des premiers principes de la loi naturelle et trouve une expression synthétisée dans le quatrième commandement du Décalogue.
Face à la violence
Il se trouve que nous ne sommes pas nés enfants perdus ou orphelins et que, héritiers, nous avons non seulement à nous souvenir, mais à entretenir l’héritage, à le préserver, à l’enrichir et à le transmettre. L’une des conclusions que nous pouvons en tirer ne se situe pas seulement dans notre regard sur le passé, mais trouve une certaine résonance dans les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.
La violence des jeunes qui va aujourd’hui jusqu’à la mort tient évidemment pour beaucoup aux familles éclatées, aux conséquences de l’immigration, aux enfants désœuvrés et non éduqués, au regard plus général porté sur l’autorité, le respect, la place de l’enfant, la démission des parents et à bien d’autres paramètres encore, nés essentiellement de la modernité. Autant d’aspects qui révèlent une situation complexe et pour laquelle il ne suffira pas de donner des coups de menton et d’en appeler à l’autorité, comme si les causes profondes d’une situation dramatique pouvaient se régler d’ici la prochaine élection présidentielle.
Le recours à la vertu de piété ne sera pas non plus suffisant, c’est évident. Elle a pourtant pour elle d’être un bon indice de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Jean Madiran le faisait remarquer naguère : « L’homme civilisé est inévitablement un homme pieux. Inversement, l’impiété est le signe certain, et la cause, d’une interruption dans la civilisation. À la transmission des valeurs de la civilisation est indispensable l’attitude de cœur et d’esprit que développe la vertu de piété. » Indice d’une situation dégradée, celle-ci peut être aussi celui du cadre général à retrouver et à remettre en place…
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