Le dimanche octave de Pâques a reçu plusieurs noms, dont le dernier, celui de la divine miséricorde date de Jean-Paul II qui s’est fait l’écho sur le siège de Pierre du message de sa compatriote sainte Faustine Kowalska. Les deux dimanches de Pâques et de l’octave sont centrés sur la personne de Jésus ressuscité. La première fois, Jésus voulant mettre obstacle à la peur de ses disciples avait franchi les portes verrouillées, pour réjouir ses disciples tristes de la tournure des événements et trop incrédules pour croire au miracle des miracles qu’est sa Résurrection qui entraîna sa victoire sur la mort et sur le péché. Mais, lors de cette première apparition, tous les Apôtres n’étaient pas là. Il manquait Thomas, l’incrédule. La Résurrection du Christ sera toujours un mystère, ne pouvant jamais être pleinement expliqué par la raison, même si celle-ci peut donner des motifs de crédibilité, suffisants pour susciter la foi. C’était d’ailleurs le but de saint Jean quand il a écrit son Évangile : « Jésus a accompli beaucoup d’autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là l’ont été, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom ». Mais à l’inverse, il peut sembler y avoir suffisamment de motifs pour ne pas croire. C’était le cas de Thomas, qui ne croyait pas parce qu’il ne voyait pas et ne voyait pas avec une évidence totale.
Jésus réapparaît alors, Thomas étant présent. Devant une incrédulité plus craintive que mauvaise, Jésus ne désespère pas, sachant bien ce qu’il y a au fond du cœur de son apôtre, comme d’ailleurs au cœur de tout homme. La résurrection de Thomas, car c’en est une, a pour point de départ la patience miséricordieuse de Jésus qui ne se lasse jamais de nous tendre la main, malgré nos chutes répétées que Dieu permet pour nous apporter sa tendresse de Père et nous disposer à l’humilité du cœur. Mais il faut beaucoup d’humiliations pour conquérir un peu d’humilité. Pierre vient de l’apprendre. Thomas ne le sait pas encore. Jésus est comme un papa qui relève son enfant. Cela me fait penser à Mr Martin, qui allait au-devant de sa fille Thérèse, pour lui enlever à l’avance les cailloux qui pourraient la faire chuter. Et oui, nous savons par expérience que nous ne cessons jamais de tomber ; mais nous savons aussi que Dieu nous relève toujours, si nous restons des petits enfants. Il n’y a pas de vraie humilité sans enfance spirituelle. C’est pourquoi, ne pensons pas trop à nos chutes ; regardons surtout Jésus, comme le Bon Larron, comme Marie-Madeleine. Ayons grande confiance en Jésus qui a dit à sainte Faustine : « Je suis l’Amour et la Miséricorde même. Il n’est pas de misère qui puisse se mesurer avec ma miséricorde ». Et pour offrir à Jésus ce qui nous est vraiment propre, il faut lui offrir, comme sainte Faustine, notre misère. C’est ce que fit le Bon Larron qui a tout volé y compris son paradis, sauf la dernière seconde qui lui a précisément ouvert ce paradis. Mais Judas à l’inverse choisit de garder son moi pour lui-même. N’ayons donc pas peur d’offrir à Jésus notre misère. Une fois, à une dame qui voulait demander à Jésus de lui montrer sa misère, le saint Curé d’Ars répondit : « Madame ne faites jamais cela. Je l’ai fait une fois. J’ai cru que j’allais mourir de désespoir et j’ai été alors tenté par le suicide. » Non, ne demandons pas à Jésus de nous dévoiler trop crûment notre misère, offrons-la lui, plutôt. Demandons à saint Thomas et surtout à la Mère de miséricorde d’accueillir la miséricorde incarnée, pour devenir à notre tour miséricorde envers les autres.
PAPE FRANÇOIS
HOMÉLIE
Messe du dimanche de la divine miséricorde
19 avril 2020
Dimanche dernier, nous avons célébré la résurrection du Maître. Aujourd’hui, nous assistons à la résurrection du disciple. Une semaine s’est écoulée, une semaine que les disciples, bien qu’ayant vu le Ressuscité, ont passée dans la peur, « les portes verrouillées » (Jn 20, 26), sans même réussir à convaincre de la résurrection l’unique absent, Thomas. Que fait Jésus face à cette incrédulité craintive ? Il revient, il se met dans la même position, « au milieu » des disciples et répète la même salutation : « La paix soit avec vous !» (Jn 20, 19.26). Il recommence tout depuis le début. La résurrection du disciple commence ici, à partir de cette miséricorde fidèle et patiente, à partir de la découverte que Dieu ne se lasse pas de nous tendre la main pour nous relever de nos chutes. Il veut que nous le voyions ainsi : non pas comme un patron à qui nous devons rendre des comptes, mais comme notre Papa qui nous relève toujours. Dans la vie, nous avançons à tâtons, comme un enfant qui commence à marcher mais qui tombe. Quelques pas et il tombe encore ; il tombe et retombe, et chaque fois le papa le relève. La main qui nous relève est toujours la miséricorde : Dieu sait que sans miséricorde, nous restons à terre, que pour marcher, nous avons besoin d’être remis debout.
Et tu peux objecter : ‘‘Mais je ne cesse jamais de tomber !’’. Le Seigneur le sait et il est toujours prêt à te relever. Il ne veut pas que nous repensions sans arrêt à nos chutes, mais que nous le regardions lui qui, dans les chutes, voit des enfants à relever, dans les misères voit des enfants à aimer avec miséricorde. Aujourd’hui, dans cette église devenue sanctuaire de la miséricorde à Rome, en ce dimanche que saint Jean-Paul II a consacré à la Miséricorde Divine il y a vingt ans, accueillons avec confiance ce message. Jésus a dit à sainte Faustine : « Je suis l’amour et la miséricorde même ; il n’est pas de misère qui puisse se mesurer avec ma miséricorde » (Journal, 14 septembre 1937). Une fois, la Sainte a dit à Jésus, avec satisfaction, d’avoir offert toute sa vie, tout ce qu’elle possédait. Mais la réponse de Jésus l’a bouleversée : « Tu ne m’as pas offert ce qui t’appartient vraiment ». Qu’est-ce que cette sainte religieuse avait gardé pour elle ? Jésus lui dit avec douceur : « ‘‘Ma fille, donne-moi ta misère’’ » (10 octobre 1937). Nous aussi, nous pouvons nous demander : ‘‘Ai-je donné ma misère au Seigneur ? Lui ai-je montré mes chutes afin qu’il me relève ?’’ Ou alors il y a quelque chose que je garde encore pour moi ? Un péché, un remords concernant le passé, une blessure que j’ai en moi, une rancœur envers quelqu’un, une idée sur une certaine personne. Le Seigneur attend que nous lui apportions nos misères, pour nous faire découvrir sa miséricorde.
Revenons aux disciples ! Ils avaient abandonné le Seigneur durant la passion et ils se sentaient coupables. Mais Jésus, en les rencontrant, ne fait pas de longues prédications. À eux qui étaient blessés intérieurement, il montre ses plaies. Thomas peut les toucher et il découvre l’amour ; il découvre combien Jésus avait souffert pour lui qui l’avait abandonné. Dans ces blessures, il touche du doigt la proximité amoureuse de Dieu. Thomas, qui était arrivé en retard, quand il embrasse la miséricorde, dépasse les autres disciples : il ne croit pas seulement à la résurrection, mais à l’amour sans limites de Dieu. Et il se livre à la confession de foi la plus simple et la plus belle : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (v. 28). Voilà la résurrection du disciple : elle s’accomplit quand son humanité fragile et blessée entre dans celle de Jésus. Là, les doutes se dissipent, là Dieu devient mon Dieu, là on recommence à s’accepter soi-même et à aimer sa propre vie.
Chers frères et sœurs, dans l’épreuve que nous sommes en train de traverser, nous aussi, comme Thomas, avec nos craintes et nos doutes, nous nous sommes retrouvés fragiles. Nous avons besoin du Seigneur, qui voit en nous, au-delà de nos fragilités, une beauté indélébile. Avec lui, nous nous redécouvrons précieux dans nos fragilités. Nous découvrons que nous sommes comme de très beaux cristaux, fragiles et en même temps précieux. Et si, comme le cristal, nous sommes transparents devant lui, sa lumière, la lumière de la miséricorde, brille en nous, et à travers nous, dans le monde. Voilà pourquoi il nous faut, comme nous l’a dit la Lettre de Pierre, exulter de joie, même si nous devons être affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves (cf. 1P 1, 6).
En cette fête de la Miséricorde Divine, la plus belle annonce se réalise par l’intermédiaire du disciple arrivé en retard. Manquait seul lui, Thomas. Mais le Seigneur l’a attendu. Sa miséricorde n’abandonne pas celui qui reste en arrière. Maintenant, alors que nous pensons à une lente et pénible récupération suite à la pandémie, menace précisément ce danger : oublier celui qui est resté en arrière. Le risque, c’est que nous infecte un virus pire encore, celui de l’égoïsme indifférent. Il se transmet à partir de l’idée que la vie s’améliore si cela va mieux pour moi, que tout ira bien si tout ira bien pour moi. On part de là et on en arrive à sélectionner les personnes, à écarter les pauvres, à immoler sur l’autel du progrès celui qui est en arrière. Cette pandémie nous rappelle cependant qu’il n’y a ni différences ni frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles, tous égaux, tous précieux. Ce qui est en train de se passer nous secoue intérieurement : c’est le temps de supprimer les inégalités, de remédier à l’injustice qui mine à la racine la santé de l’humanité tout entière ! Mettons-nous à l’école de la communauté chrétienne des origines, décrite dans le livre des Actes des Apôtres ! Elle avait reçu miséricorde et vivait la miséricorde : « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Ac 2, 44-45). Ce n’est pas une idéologie, c’est le christianisme.
Dans cette communauté, après la résurrection de Jésus, un seul était resté en arrière et les autres l’ont attendu. Aujourd’hui, c’est le contraire qui semble se passer : une petite partie de l’humanité est allée de l’avant, tandis que la majorité est restée en arrière. Et chacun pourrait dire : « Ce sont des problèmes complexes, il ne me revient pas de prendre soin des personnes dans le besoin, d’autres doivent y penser !’’. Sainte Faustine, après avoir rencontré Jésus, a écrit : « Dans une âme souffrante, nous devons voir Jésus crucifié et non un parasite et un poids… [Seigneur], tu nous donnes la possibilité de pratiquer les œuvres de miséricorde et nous nous livrons à des jugements » (Journal, 6 septembre 1937). Cependant, elle-même s’est plainte un jour à Jésus qu’en étant miséricordieux on passe pour un naïf. Elle a dit : « Seigneur, on abuse souvent de ma bonté ». Et Jésus a répondu : « Peu importe, ma fille, ne t’en soucie pas, toi, sois toujours miséricordieuse envers tout le monde » (24 décembre 1937). Envers tous : ne pensons pas uniquement à nos intérêts, aux intérêts partisans. Saisissons cette épreuve comme une occasion pour préparer l’avenir de tous, sans écarter personne : de tous. En effet, sans une vision d’ensemble, il n’y aura d’avenir pour personne.
Aujourd’hui, l’amour désarmé et désarmant de Jésus ressuscite le cœur du disciple. Nous aussi, comme l’apôtre Thomas, accueillons la miséricorde, salut du monde. Et soyons miséricordieux envers celui qui est plus faible : ce n’est qu’ainsi que nous construirons un monde nouveau.