Nuit debout : Peut-on combattre un système libertaire en soutenant l’activisme libertaire ?

Publié le 22 Avr 2016
Nuit debout : Peut-on combattre un système libertaire en soutenant l’activisme libertaire ? L'Homme Nouveau

Depuis l’apparition de « Nuit debout », des comparaisons ont été faites avec les « Veilleurs », les uns soulignant les profondes divergences, les autres au contraire les points de convergence justifiant aux yeux de ces derniers une réelle empathie pour « Nuit debout ». En somme, il faudrait se féliciter de l’émergence sur la place publique d’un mouvement libertaire d’opposition au nom de la lutte contre un régime lui-même libertaire, comme si la malignité de ce dernier justifiait l’usage de tous les moyens et la « convergence des luttes ».

Ces réactions posent la question récurrente de l’adéquation entre la doctrine politique, les fins poursuivies et les méthodes d’action employées. Car ne nous y trompons pas, les méthodes que nous voyons appliquées en ce moment place de la République et ailleurs ont été précédemment conceptualisées. Elles s’inspirent d’une tradition militante identifiée. Autant dire qu’elles n’ont rien de spontané dans leur naissance et leur conduite. Il s’agit d’une véritable doctrine militante effectivement dénommée « le spontanéisme », appliquée par exemple par les altermondialistes, qui puise ses sources dans le gauchisme et l’anarchisme. Les ouvrages publiés sur ce sujet abondent. Citons à titre d’exemples celui de Sébastien Porte et de Cyril Cavalié (Un nouvel art de militer, Éditions Alternatives, 2009), celui de Xavier Renou (Petit manuel de désobéissance civile : à l’usage de ceux qui veulent vraiment changer le monde, Syllepse, 2009), celui de Laurent Jeanneau et Sébastien Lernould, (Les nouveaux militants, Les petits matins, 2008) ainsi que de nombreux sites Internet (voir par exemple ici ou ). On y trouve toute la panoplie lexicale et idéologique du parfait activiste (spontanéité, horizontalité, subversion, transgression, désobéissance civile, non-violence, mobilité, mouvement insaisissable, etc.) et la signification déconstructiviste des gestes, des postures etc. (voir surtout le livre de Xavier Renou).

De nouvelles méthodes

L’ouvrage de Sébastien Porte et Cyril Cavalié (Un nouvel art de militer) explique avec une grande clarté l’évolution des méthodes de la gauche révolutionnaire. Les grèves, les grandes manifestations, l’engagement dans les syndicats et le parti ne constituent plus l’archétype du militantisme. Ces moyens classiques d’agir sont devenus routiniers et comportent tout compte fait des défauts intrinsèques du strict point de vue idéologique. De nouvelles méthodes permettent de s’adapter aux évolutions techniques et sociales ainsi et surtout qu’aux mutations internes à la gauche marxiste.

En quoi consistent ces mutations ? Pendant des décennies le militantisme dominant visait la conquête du pouvoir politique (le grand soir !), permettant ainsi la transformation de la société par la loi en vue de la réalisation ultérieure du communisme. L’action révolutionnaire était donc finalisée. En marge de ce modèle dominant, le « gauchisme » refusait toute idée de prise du pouvoir, au nom du rejet pur et simple de ce dernier. L’anarchisme s’est toujours caractérisé par la condamnation radicale de l’autorité. Le modèle militant classique s’est progressivement étiolé depuis mai 68, avec une forte accélération consécutive à la disparition du monde soviétique. Le modèle anarchiste, quant à lui, fut réadapté aux temps postmodernes.

Les auteurs du Nouvel art de militer présentent ainsi les caractéristiques de l’action révolutionnaire contemporaine :

« Une organisation en réseau, sans hiérarchie ni chef (sinon un porte-parole), sur le modèle du rhizome tel que décrit dans la théorie deuleuzienne (en botanique, le rhizome est une racine qui prolifère horizontalement sous terre en de multiples ramifications, chacune portant en elle l’ensemble des informations nécessaires à sa reproduction, et même si l’une est arrachée, une autre repoussera plus loin). Ce modèle s’oppose à l’organisation pyramidale des structures militantes traditionnelles calquées sur le schéma de l’État-nation (une base quadrillée en fédérations, un sommet centralisé au contact du monde politique, l’ensemble étant relié par des procédures de délégation) ». Ils poursuivent : « Tous les activistes sont allergiques aux notions d’autorité et de hiérarchie. L’esprit de la désobéissance civile est par essence antinomique avec l’idée de chef ». (…) « Le XXe siècle a connu le militantisme des sociétés industrielles ; celui du XXIe est un militantisme de la société d’information. Sous l’effet de la numérisation croissante des activités humaines, le passage de la société industrielle à la société de l’information a transformé radicalement les comportements et fait naître une civilisation horizontale, transversale, antijacobine, qui s’administre par le biais des réseaux jusque dans ses révoltes ».

En un sens, ce type de luttes s’intègre également dans la logique de la démocratie participative contemporaine, poussée à ses extrêmes.

Aucun but politique

L’activisme révolutionnaire se définit dorénavant par la conjonction des luttes, entendue de manière purement horizontale, c’est-à-dire sans but politique dans le sens où il ne s’agit plus de prendre le pouvoir mais seulement de déconstruire toute forme d’autorité et de revendiquer la désobéissance civile, locution très à la mode, tout sauf idéologiquement neutre. Il n’est donc pas surprenant de percevoir une réelle cacophonie dans « Nuit debout », d’y constater une sorte de foire aux actions subversives, puisqu’il s’agit justement d’un conglomérat anarchique de luttes variées. Peut-être, même, ces gens seraient-ils prêts à accepter la présence de quelques « cathos » anticapitalistes et écolos (Qui sait ? S’ils acceptent le refus de la hiérarchie et prônent l’autogestion ?), ajoutant ainsi une nouvelle branche à l’éventail des luttes, puisqu’encore une fois seule compte la lutte…

Reprendre quelques éléments concrets sans opérer une transposition globale maquillée par quelques idées chrétiennes demande un sérieux inventaire, un dépoussiérage d’autant plus indispensable que l’esprit révolutionnaire prospère essentiellement par la praxis, c’est-à-dire l’action. Plus exactement, la doctrine se répand par l’usage de méthodes d’action qui s’en inspirent. Le primat de l’action, caractéristique des méthodes révolutionnaires, conduit à se focaliser sur l’identité des moyens de lutte, source première de convergence. Logique…

La dette des “Veilleurs” ?

Gaultier Bès, l’un des fondateurs des « Veilleurs, » a souligné ce qu’il appelle « la dette » des Veilleurs à l’égard des altermondialistes :

« Il y a un air de famille entre nous, c’est évident.  On se dit qu’ils font comme nous. Mais c’est nous qui, en réalité, avons emprunté à leurs rites. Nos soutiens ont parfois du mal à le comprendre. Mais les “Veilleurs” ont repris les codes des altermondialistes, notamment Occupy Wall Street à New York. Les « Veilleurs », ajoute Gaultier Bès, c’est une rencontre improbable entre les codes du scoutisme et ceux des altermondialistes. Il faut reconnaître notre dette ».

Il nous semble cependant que les « Veilleurs » et les « Sentinelles », tant par leur esprit que par leur comportement, ont pris de saines distances à l’égard du modèle d’origine. On ne peut suivre Gaultier Bès lorsqu’il transpose entièrement l’esprit de l’action altermondialiste :

« Les “Veilleurs” comme “Nuit debout” ont une part spontanée dans la mesure où les mouvements apparaissent en marge d’une mobilisation. Il n’y a pas de mode d’emploi, pas de programme, pas de doctrine, mais beaucoup de spontanéité. Il y a une absence de hiérarchie et une certaine autogestion ». ??? C’est mal d’avoir une doctrine ??? : Sur la cacophonie de Nuit debout, il estime que « c’est le jeu de la démocratie. C’est un pari un peu fou de faire confiance à une certaine sagesse des foules. Mais plein de choses vont émerger de cette cacophonie apparente. Les participants vont voter, délibérer, faire le tri. Ainsi, le commun peut réussir à faire émerger les propositions les plus fécondes ».

Ainsi, le bien va sortir de l’expression la plus absolue de la démocratie directe, sans hiérarchie, programme, ni doctrine… Autrement dit, le chaos est source de fécondité.

Pourtant, il n’y a pas de cité sans autorité, c’est-à-dire sans principe directeur, au même titre qu’il n’y a pas de famille sans autorité parentale. Nier cette réalité première, fondamentale, c’est nier le politique, la cité, la nature même de l’homme animal politique. La condamnation radicale et nécessaire d’un gouvernement injuste, éventuellement d’un système politique et économique, ne justifie nullement le rejet du pouvoir politique en tant que tel, puisque c’est lui qu’il faut viser, fût-ce à très long terme. Toute action est une tension vers un but. C’est bien connu, ce qui est premier dans l’ordre de l’intention est dernier dans l’ordre de l’action. Notre engagement ici et maintenant s’enracine dans l’objectif final, le rétablissement de l’ordre en toutes choses et de l’autorité politique au service du bien commun. Sans cesse présent à l’esprit, cet objectif, même lointain, anime notre manière d’agir qui doit donner une idée de ce que nous sommes et de ce que nous souhaitons. Le chaos ne peut être un objectif politique.

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