Offertoire de supplication pour la Sexagésime

Publié le 03 Fév 2018
Offertoire de supplication pour la Sexagésime L'Homme Nouveau

« Affermis mes pas dans tes sentiers, afin que mes pieds ne soient pas chancelants. Incline ton oreille et exauce mes paroles. Fais resplendir tes miséricordes, toi qui sauve ceux qui espèrent en toi, Seigneur. »

À l’origine, l’offertoire était lui aussi, comme l’introït ou la communion, un chant psalmique, c’est-à-dire constitué de versets de psaumes alternés avec une antienne. Et comme l’introït, ce chant accompagnait une procession, celle des oblats. Celle-ci ayant assez vite disparu, on supprima les versets pour ne plus garder que l’antienne qui est encore consignée dans les livres liturgiques. Seul l’offertoire de la messe des défunts (Domine Jesu Christe), avec son unique verset, garde encore un vestige de la facture musicale de l’antique Offertoire. Quoiqu’il en soit, ce chant d’offertoire qui inaugure la partie sacrificielle de la messe est beaucoup plus qu’une simple offrande musicale. Il doit surtout être considéré comme une magnifique porte d’entrée donnant sur le sacrifice du Christ, préparé par le rite de l’offertoire. C’est une grande contemplation d’un des aspects du mystère du salut qui permet aux âmes de pénétrer dans le saint des saints. Il y a des grands offertoires dans le répertoire grégorien, placés un peu partout dans le cycle liturgique. Nous aurons l’occasion de les présenter à leur tour. Ici, ce n’est pas vraiment un grand offertoire, encore que ce chant soit assez long et que son texte soit intéressant. Mais il n’a pas le caractère grandiose d’un Jubilate Deo ou d’un justorum animae (offertoire de la Toussaint) ou encore d’un precatus est Moyses qui sont des pièces véritablement géniales et exceptionnelles. Mais il fait partie de ces pièces qui ne payent pas de mine mais qui recèlent des trésors, dans la méditation de leur texte aussi bien que dans la richesse de leur mélodie.

Disons d’abord un mot de son contexte biblique. Il est tiré du psaume 16 (selon la vulgate) ou 17 (selon l’hébreu), versets 5 à 7. Ce psaume est tout entier une prière et même une supplication, dans un contexte difficile. Le psalmiste est visiblement entouré d’ennemis et il en appelle à la justice divine qui sait discerner le bien du mal. Il met sa confiance dans ce jugement (« Tu sondes mon coeur, tu me visites la nuit, tu m’éprouves sans rien trouver, aucun murmure en moi : ma bouche n’a point péché à la façon des hommes. La parole de tes lèvres, moi je l’ai gardée ») Et puis il se fait suppliant et il implore l’aide de Dieu. Il y a, dans les psaumes, beaucoup de passages qui expriment la détresse de l’homme devant un danger et qui rejoignent chacun et chacune d’entre nous dans ses difficultés, petites ou grandes. Il y a dans notre vie des moments où nous sentons que tout peut basculer et où nous avons tout particulièrement besoin du secours de Dieu. Les formules psalmiques sont à privilégier dans notre prière, car elles sont inspirées, elles sont passées sur les lèvres du Seigneur qui les a prononcées pour nous, elles ont acquis une valeur éternelle, une force incomparable. L’office divin qui commence par ce verset : « Dieu viens à mon aide, Seigneur hâtes-toi de me secourir », est un bel exemple d’un verset de psaume devenu universel dans l’Église. C’est une façon pour nous, non seulement de nous unir au Christ dans sa souffrance, de souffrir avec lui et de participer à la fécondité de sa souffrance et de sa croix, mais aussi de rejoindre tous nos frères en humanité qui souffrent par le monde.

Les versets de ce chant d’offertoire sont précisément une belle prière d’imploration. « Affermis mes pas dans tes sentiers, afin que mes pieds ne soient pas chancelants. Incline ton oreille et exauce mes paroles. Fais resplendir tes miséricordes, toi qui sauve ceux qui espèrent en toi, Seigneur. » On dirait le chant d’un enfant qui demande à son père ou à sa mère de se tenir tout près pendant qu’il apprend à marcher. C’est aussi le chant des commençants dans la vie spirituelle, de ceux qui peuvent déjà témoigner de la fidélité de Dieu et qui s’appuient sur elle pour avancer et s’affermir. En tout cas, il y a une grande humilité dans cette prière et une grande tendresse dans cet appel. Vous voyez ici, c’est une prière de demande. Mais cette prière n’est pas psychologisante, elle ne s’attarde pas sur celui qui la prononce, elle le plonge dans le cœur de Dieu et elle l’ouvre sur l’abîme de la miséricorde, abîme de salut qui fonde son espérance.

Les psaumes ne sont jamais mièvres ni intimistes, ils n’invitent pas au nombrilisme, au contraire, ils nous tournent toujours vers le grand espace vivifiant de la contemplation des beautés divines, seules capables de nous guérir et de nous transformer. Alors, empruntons volontiers la force de ces paroles pour affermir notre propre prière. Demandons au Seigneur d’affermir nos pas, c’est-à-dire chacune de nos actions, de les maintenir sur le chemin de sa volonté. Demandons-lui de se pencher comme un père sur nos misères et de purifier ce qui doit l’être et d’exaucer ce qui mérite de l’être. Et appuyons-nous sur la miséricorde invincible de notre Dieu qui est plus forte que nos péchés, plus forte que le mal, plus forte que la mort. Jésus a très bien pu réciter cette prière à Gethsémani et sur ses lèvres elle prend des dimensions nouvelles : « Affermis mes pas dans tes sentiers, afin que mes pieds ne soient pas chancelants. Incline ton oreille et exauce mes paroles. Fais resplendir tes miséricordes, toi qui sauve ceux qui espèrent en toi, Seigneur. » Comme ces paroles sont bien placées à l’offertoire, au moment où le prêtre prépare l’hostie qui sera consacrée durant le sacrifice de la nouvelle et éternelle alliance. Plus encore que ma prière, c’est la prière du Christ dans laquelle la mienne se plonge et trouve sens et valeur, certitude et fécondité.

Perfice

La mélodie de ce chant est très contemplative. Elle est empruntée au 4ème mode, le mode de la contemplation par excellence. Si vous regardez son ambitus, c’est-à-dire son déploiement sur la portée, vous pouvez constater qu’il est relativement restreint. La note la plus présente est incontestablement le Fa, sur laquelle on rencontre de nombreuses longues qui confèrent à l’ensemble une certaine immobilité, je ne dis pas lourdeur parce que justement, il faudra soigneusement éviter d’alourdir ces longues. D’un bout à l’autre, la mélodie est paisible, intime, insistante aussi mais dans la douceur de l’humilité, certainement pas dans l’arrogance et l’importunité. Elle se campe le plus souvent entre le Ré et le La, ne descendant que très rarement mais de façon très expressive sur le Do, et ne montant que deux fois au-dessus du La, une première fois au Do aigu sur sémitis, et une seconde fois au si bémol de inclina. Il faut souligner la belle montée assez vive, pleine d’amour et d’assurance sur in sémitis, avec la retombée très douce, typique du 4ème mode, sur tuis.

Quand le grégorien chante les pronoms ou adjectifs personnels qui concernent Dieu, c’est souvent merveilleux.

Et ici il y a une alternance de pronoms ou d’adjectifs personnels : gressus meos, sémitis tuis, vestigia mea, aurem tuam, verba mea, misericordias tuas, et pour finir in te Domine, ce pronom suivi du nom, proncé avec tant de tendresse, c’est magnifique. Il y a vraiment comme un échange amoureux, une sorte de dialogue, dans cette alternance qui est très remarquable, entre l’âme et son Seigneur, l’âme qui marche en s’appuyant sur la force de son Dieu. Et la mélodie se complait sur ces petits mots, elle les souligne. Regardez par exemple comment est traité vestigia mea. C’est beau.

Il y a aussi des verbes qui ont leur importance textuelle et musicale : perfice, non moveantur (regardez comme la mélodie est stable et très doucement balancée sur ce verbe, autour du Fa et du Ré. Sur inclina, la mélodie fait entendre le seul Si bémol de la pièce et là encore ce n’est pas un hasard. Inclina est certainement le verbe le plus priant de la pièce et la présence du bémol apporte une note de confiance abandonnée très belle, très expressive. Dans cette deuxième phrase, l’intervalle Fa-Ré revient à trois reprises (et on l’entende huit fois dans toute la pièce) soulignant lui aussi l’insistance de la prière chrétienne et l’assurance de l’âme d’être exaucée de son Dieu. Ce chant est, par sa facture mélodique autant que par son texte, d’une sûreté très communicative, très enveloppante. L’insistance est douce, amoureuse. Et la toute dernière phrase va renforcer encore cette impression. Plus encore que les autres elle chante le bonheur profond de l’intimité divine dans lequel se fond la prière. Le premier mot mirifica exprime avec bonheur cette plénitude de joie et il faut s’attarder un peu sur l’accent, justement pour goûter cette atmosphère. Il y a une belle montée mélodique très progressive, très douce, mais en crescendo sur mirifica misericordias tuas, qui culmine sur le La.

La fin de la pièce est également pleine d’assurance et je souligne les trois derniers mots : in te Domine, qui disent tant de choses à eux seuls. C’est en toi Seigneur, que s’est déployée notre prière, que se réfugie notre espérance. C’est le Seigneur le dernier mot et l’âme s’adresse une fois encore à lui en le nommant et en restant sur le nom du bien aimé. La mélodie s’arrête, mais le regard continue, il laisse parler le cœur dans le silence de l’amour. N’est-ce pas qu’un tel chant, à première vue si peu expansif, si peu expressif, cache des trésors de doctrine et de vie spirituelle. Et je n’ai pas épuisé la substance de ce chant, il nous en reste encore beaucoup à découvrir dans l’intimité de notre prière et de notre vie quotidienne. L’an prochain quand il reviendra sur le cycle liturgique, nous l’aurons approfondi par le progrès de notre âme dans les secrets de la prière et du mystère de Dieu. Demeurons le plus possible dans l’atmosphère bénie d’un tel chant.

Ecouter l’offertoire ici

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