« Au commencement était le Verbe et le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous. ».
Le prologue de l’évangile selon saint Jean rappelle combien la Parole divine, créatrice, puis rédemptrice, est au cœur même de la foi chrétienne. Jean est d’ailleurs, des quatre évangélistes, celui qui prend le plus de soin de mettre ce Verbe en scène. Pourtant, lui-même admet n’avoir pas tout rapporté des faits et gestes du Christ, ni de ses propos. C’est sur ce silence qu’allait naître et prospérer une littérature apocryphe de très inégale valeur, parfois crédible, au point que la Tradition s’est nourrie de certains de ces textes, tels les récits de la naissance et de l’enfance de Marie, parfois beaucoup moins.
Ce fatras où le pire côtoie le meilleur a provoqué, ces dernières années, un regain d’intérêt de la part d’un public très ignorant des vérités de la foi en même temps que de plus en plus hostile à l’Église. L’idée s’est répandue que la hiérarchie catholique aurait volontairement occulté depuis deux millénaires des textes fondamentaux mais en rupture avec son enseignement officiel. Ainsi ont ressurgi nombre d’écrits, gnostiques pour la plupart, à l’instar du pseudo-évangile de Judas, qui fit beaucoup parler de lui, présenté comme un texte « caché » alors que saint Irénée le cite pour le réfuter, ce qui est une étrange façon de dissimuler un livre …
Se plonger dans ces ouvrages pleins d’étrangetés n’est pas sans péril. Pourtant, et l’Église l’a toujours su puisqu’il lui est arrivé d’y récupérer, après un tri soigneux, ce qui méritait de l’être; l’on peut, ici ou là, y repérer des citations, des paraboles, connues des communautés primitives, peut-être attribuables à Jésus et qui appartiendraient au fond laissé de côté par les évangélistes.
Partant de ce constat, Bernard-Marie, tertiaire franciscain, s’est risqué à une compilation de ces « agrapha », ces passages non écrits, en cela qu’ils ne figurent pas parmi les textes canoniques, jusqu’à en former un « cinquième évangile » (Le cinquième évangile d’après les agrapha et quelques mystiques. Salvator. 290 p. 9,50 €.) qu’il étaye, c’est le principal reproche à lui faire, de nombreux emprunts à des révélations privées. Ne citant pas ses sources, il rend impossible de déterminer l’origine des récits et citations qui composent son texte : que faut-il attribuer aux apocryphes et que faut-il restituer à Marie d’Agreda, Anne Catherine Emmerich ou Marthe Robin ? Quelle valeur faut-il attribuer aux uns et aux autres ?
Rien, au demeurant, dans ces pages, qui ne soient parfaitement catholique mais le contraste est criant entre la royale simplicité des synoptiques, l’admirable profondeur johannique, et le Christ bavard, redondant, se plagiant lui-même, qui apparaît ici. Les questions traitées dans ces pages, concernant le salut des païens ou l’indissolubilité du mariage, traitées telles de petits romans édifiants, traduisent les interrogations anxieuses des fidèles des premiers siècles et sont conformes aux dogmes, mais n’apportent rien, ou si peu, à la Révélation …
Tout cela est plaisant, édifiant même, mais ces gloses, ces reconstitutions pieuses, aussi bien intentionnées soient-elles, sont à laisser, pour ne pas troubler, aux lecteurs assez avertis pour faire, très large, la part du feu, et séparer des scories les quelques pépites authentiques que peuvent contenir ces textes.
Il faut une certaine audace, mais il est vrai que le Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine n’en manque pas, pour oser prêter sa plume, si talentueuse soit-elle, au Christ, et lui attribuer une lettre ouverte destinée à nos contemporains. D’un amour brûlant (Artège. 150 p. 12 €) se veut, en effet, un courrier adressé à chacun d’entre nous, chrétiens ou non, par le Sauveur dans l’intention de remettre les idées en place à des générations dramatiquement ignorantes de la Personne, de la vie, de l’enseignement de Jésus. « Il est devenu difficile de me connaître et de m’aimer », fait dire le Père Zanotti-Sorkine au Seigneur. C’est donc une catéchèse très vivante que vous trouverez dans ces pages, mais accompagnée de nombreuses digressions, bienvenues pour la plupart, sur l’actualité et les mœurs d’aujourd’hui. Certains s’agaceront : du langage un peu relâché, de familiarités, d’opinions qui sont plus sûrement celles de l’auteur que celles du Christ … Pourtant, il y a là, et cela suffirait à faire oublier le reste, des pages fulgurantes, inspirées, et le rappel, utile, que le christianisme est d’abord l’annonce absolument folle que Dieu nous a aimés d’un amour si brûlant qu’Il a envoyé son Fils unique dans le monde afin de nous sauver de la mort éternelle. Il est évident que c’est de cette bonne nouvelle-là que nos sociétés du vide, de la solitude ou du fanatisme ont un urgent besoin.
Il n’y a pas qu’au Christ que l’on attribue des propos. Depuis quelques décennies, la Sainte Vierge, jadis silencieuse et discrète, qui, lors de ses apparitions, ne parlait qu’à bon escient, est devenue bavarde … Là encore, il est délicat de départager ce qui relève de l’authentique révélation et ce qui est illusion humaine. Guy Barrey a voulu s’y risque avec un gros ouvrage, Publie ma gloire ! Paroles de la Vierge Marie (Via romana ; 535 p ; 29 €.).
« Publie ma gloire ! ». Telle est la mission dont, en 1876, à Pellevoisin dans le Berry, la Vierge Marie charge Estelle Faguette, jeune domestique qu’elle vient de guérir miraculeusement. Telle est aussi la mission que s’est donné Guy Barrey en recueillant « les paroles » de Notre-Dame à travers le temps.
S’il est aisé de rassembler les paroles de la Vierge citée par les évangiles, s’aventurer à collecter toutes celles qu’Elle aurait prononcées lors de ses apparitions à travers le monde et l’histoire s’avère plus risqué.
Guy Barrey, devant l’ampleur du sujet, a dû faire un choix. Débutant avec la première mariophanie de France, celle du Puy-en-Velay, au Ve siècle, le volume s’achève avec la série de manifestations mariales de Kibeho au Rwanda de 1980 à 1989. Ce qui saute aux yeux, en parcourant l’ouvrage, c’est que Marie, la grande Silencieuse, devient de plus en plus bavarde et ses propos de plus en plus étonnants.
Si tout va bien jusqu’à l’apparition de Pontmain, le 17 janvier 1871 où d’ailleurs, Notre-Dame ne parle pas, l’on commence déjà à s’interroger avec celles de Tilly-sur-Seulles, en Normandie, de 1896 à 1899, caisse de résonance des crises politiques du moment qui la Vierge prendre position dans ces querelles et blâmer l’évêque de Bayeux d’être « un gouvernemental ». L’on reste un peu interloqué devant les « révélations » de Notre-Dame des Armées, où Marie serait apparue ceinte d’une écharpe tricolore, telle une élue municipale … L’on ne sait que penser des interminables discours de la Dame de tous les peuples, à Amsterdam, qui invitent à tout et son contraire.
Au final, l’on reste souvent déconcerté, méfiant, incrédule, devant ce qui implique, au plus haut niveau ecclésial, un certain manque de discernement des esprits …