La pause liturgique : Alléluia Venite ad me (Toussaint)

Publié le 01 Nov 2025
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« Alléluia ! Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau : et moi je vous réconforterai. » (Mt 11, 28)

 

Commentaire spirituel

Il n’est pas rare, parmi tout le répertoire grégorien, que l’on trouve des messes dont chacune des pièces sont de véritables chefs-d’œuvre, tant au plan mélodique qu’à celui du message spirituel que les mélodies véhiculent. C’est bien le cas avec la messe de la Toussaint. De l’introït à la communion, chaque pièce est admirable, et l’ensemble fournit un enseignement de grande valeur sur le thème de la sainteté.

Le texte de l’alléluia est tiré de l’Évangile comme celui de la communion, tandis que le graduel et l’offertoire font référence à des textes de l’Ancien Testament et que l’introït, seul, est une composition ecclésiastique. En lisant ce texte de l’alléluia, détaché de son contexte évangélique, on ne peut s’empêcher de le trouver surprenant à première vue pour une messe de la Toussaint : le Seigneur qui parle, semble s’adresser à des personnes en difficulté, à des gens qui sont plutôt en situation d’échec et qui sont près de succomber sous le poids de l’épreuve. En fait, ce texte est plein de leçons, justement sur ce qu’est réellement la sainteté.

Commençons par le relire dans son contexte : au chapitre 11 de l’Évangile selon saint Matthieu, et juste avant le texte de notre alléluia, le Seigneur a invectivé fortement contre les villes qui avaient été témoins de ses plus nombreux miracles et qui ne s’étaient pourtant pas converties à la parole du Maître. Il y a de la vigueur, presque de la violence dans ces malédictions proférées par Jésus : 

« Malheur à toi, Chorazeïn ! Malheur à toi, Bethsaïde ! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et dans la cendre, elles se seraient repenties. Aussi bien, je vous le dis, pour Tyr et Sidon, au Jour du Jugement, il y aura moins de rigueur que pour vous.

Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu’au ciel ? Jusqu’à l’Hadès tu descendras. Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. Aussi bien, je vous le dis, pour le pays de Sodome il y aura moins de rigueur, au Jour du Jugement, que pour toi. »

On sent la souffrance et la blessure du cœur du Sauveur qui a tant fait pour son pays et qui ne recueille de lui qu’indifférence ou mépris. Et puis, le ton change subitement : Jésus a sans doute vu dans la foule qui le suit bon nombre de ces petits, de ces simples, de ces pauvres qui ont le don de l’émouvoir. Pour eux, son cœur de Pasteur s’attendrit très vite et il se tourne vers son Père, lui adressant cette admirable prière d’action de grâce qui contraste tant avec les menaces qu’il vient de lancer contre ceux qui se suffisent à eux mêmes : 

« Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler. »

Les privilégiés du Seigneur, ceux qui vivent dans sa grâce et sa bienveillance, les saints, finalement, ce ne sont pas les héros, les gens indépendants qui se suffisent à eux mêmes. Non, les candidats à la sainteté, ce sont les petits, les humbles. Il y a une très belle définition des saints qui dit que ce sont des personnes de moindre résistance à la grâce. Les saints sont de gens qui n’ont pas résisté à Dieu, à son amour, qui se sont laissés prendre totalement par cet amour et emporter sans réticence, au gré de la volonté du Seigneur, dans la carrière qu’il a ouverte pour eux.

Les saints sont des gens libres et heureux, féconds et efficaces parce que abandonnés entre les mains du Tout-Puissant. Sur eux, Dieu se penche avec tendresse. Et c’est précisément le beau texte de notre alléluia qui arrive à la suite dans ce chapitre 11 de saint Matthieu :

« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. »

La vie des saints est souvent tissée de souffrances. La croix est plantée très fortement dans leur existence. Ils sont les imitateurs du Christ Sauveur, ils complètent dans leur chair, selon l’expression de saint Paul, ce qui manque aux souffrances de Jésus. Mais ils vivent ce mystère de la croix dans une grande intimité avec lui, à l’abri du mal, pourrait-on dire. Avec Jésus la souffrance même devient aimable.

Ce texte unit les saints de la terre et ceux du ciel. Pour les premiers, c’est-à-dire pour nous tous, car nous sommes tous appelés à la sainteté, il représente une promesse et un encouragement ; pour les seconds, la promesse est devenue réalité. Les saints, au ciel, jouissent du repos que leur procure le Seigneur. Chant d’espérance et chant d’amour.

 

Commentaire musical

Venite ad me Partition alléluia

 

L’Alléluia de la messe de la Toussaint nous présente une mélodie à la fois solide et élancée qui se structure autour de quelques notes fondamentales : le Sol et le Do, respectivement tonique et dominante du 8 mode, souvent mises en relation par l’intervalle de quarte ; le Fa qui joue le rôle d’appui bien ferme de la sous-tonique, au début d’une montée comme au terme d’une descente mélodique ; le Ré enfin qui conclut au sommet la quinte du mode de Sol et que l’on rencontre à trois reprises dans le jubilus comme note supérieure d’une incise.

Le Mi aigu ajoute ici sa noble nuance de plénitude qui sera même dépassée par celle, plus douce, du Fa dans les élans sereins du verset. L’ensemble de la vocalise de ce jubilus baigne en effet dans une atmosphère de grande confiance, de douceur et de tendresse en même temps que de certitude, ce qui est la caractéristique du 8 mode.

On chantera cet alléluia dans un tempo assez large, sans éclat mais avec une bonne chaleur vocale. Les contours de la mélodie invitent à y mettre de la vie, c’est-à-dire des variations d’intensité et de mouvement, selon qu’on s’élève dans les hauteurs ou que l’on revient au grave, le tout dans un beau legato imperturbable.

Le long mélisme qui servira de thème musical à tout le verset, nous prépare à entendre le message aimable, attirant et réconfortant délivré à ses fidèles par le Seigneur lui-même : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau et moi je vous donnerai du repos. »

Le verset est composé de deux phrases mélodiques, la première très longue et très belle, et la seconde reprenant simplement les formules du jubilus.

Venite, le verbe qui traduit l’invitation réconfortante du Seigneur, commence de la même manière que l’alléluia. Il y a beaucoup de paix dans ce premier passage qui demande un grand legato, une grande douceur d’interprétation. Les trois mots, venite ad me doivent être bien distingués cependant, et la finale de ce membre de phrase doit être retenue et bien posée. C’est sur elle que va s’appuyer, après une barre bien sentie, l’admirable déploiement mélodique qui va suivre.

Sur omnes, les trois intervalles de tierce qui se succèdent emportent la mélodie jusqu’au Mi qui était le sommet du jubilus. La cadence en Ré de omnes permet aussi de lancer le mouvement qui constitue le pôle attractif de toute la pièce sur laboratis. Formule mélodique très belle, très ample, très douce, très chaleureuse aussi, et admirablement bien structurée.

La première incise a une structure interne assez nette : les intervalles Do-Mi-Ré-Mi-Fa-Mi-Ré sont repris une seconde fois à l’exception du dernier Mi, petite différence insignifiante mais qui donne l’impression que la répétition n’en est pas une.

La seconde incise, revenant temporairement au grave, et donc plus large, contient elle aussi un motif repris deux fois.

Enfin, la troisième incise reprend exactement le même thème que la première avec sa répétition si expressive. C’est là que culmine toute la pièce. L’insistance très marquée sur ce mot laboratis qui exprime tout le mystère de la souffrance, est assez remarquable. La paix l’imprègne toute. Une sorte de nostalgie la traverse, mais surtout la douce et pénétrante certitude que malgré la longueur de nos épreuves, celles-ci sont constamment habitées par la tendresse divine. Et elles passent alors plus légèrement, dans la foi en cet amour qui nous enveloppe.

Le compositeur a vraiment perçu et exprimé quelque chose de très profond. On a là une preuve nouvelle de la qualité spirituelle de l’art grégorien qui sait traduire les opérations les plus profondes de la grâce divine.

On peut noter aussi la belle expression de onerati estis, avec la note longue sur le Do qui traduit l’accablement ou du moins la peine du fardeau qui pèse sur les épaules des fidèles du Christ. Mais cette peine est traversée elle aussi par la douceur et la tendresse de la vocalise précédente.

La seconde phrase repart avec légèreté et presque a tempo sur et ego, et c’est sur le verbe reficiam, qui nous assure de l’action régénératrice du Sauveur et qui sonne comme la plus encourageante des promesses, que la mélodie retrouve pour finir les formules calmes et paisibles du jubilus.

Cet alléluia nous rejoint et nous accompagne dans notre labeur quotidien, il unit les saints de tous les temps dans cet instant présent, temporel et charnel, qui nous est donné et qui constitue la véritable carrière de toute sainteté.

 

>> à lire également : La messe solennelle du cardinal Burke à la Chaire de Pierre

 

Un moine de Triors

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