Le projet de loi de bioéthique, qui doit être présenté au Conseil des ministres le 26 juillet prochain, ouvre, sans surprise, la procréation médicalement assistée aux femmes seules ou en couple homosexuel. On aurait tort de ne s’arrêter qu’à cela car le texte comprend d’autres mesures et cache mal ce qu’est l’éthique aujourd’hui : un label pour trafiquer l’être humain en toute bonne conscience.
Le texte du projet de loi bioéthique, dévoilé le 23 juin dernier, sera présenté en Conseil des ministres le 26 juillet prochain. Que nul ne s’inquiète, le ministre de la Santé Agnès Buzyn « entend les oppositions et les respecte », c’est-à-dire, pour être parfaitement clair, qu’elle n’en a que faire mais a au moins la chance de ne pas être sourde et la politesse ne pas cracher au visage de ses adversaires. Des 32 articles que contient le projet gouvernemental, on retient surtout la légalisation de la procréation médicalement assistée (PMA) « pour toutes » mais le texte présente d’autres mesures importantes, notamment l’allégement des contraintes liées à la recherche sur l’embryon ou la congélation des ovocytes pour des raisons de convenances.
Cinq mesures phares
- L’ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes en couple homosexuel ou aux femmes seules, remboursée par la Sécurité sociale. Cette disposition supprime donc le critère de l’infertilité qui prévalait jusque-là dans l’accès à la PMA.
- La possibilité de congeler ses ovocytes pour un motif de convenance et pas seulement médical.
- La filiation, pour les enfants nés d’une PMA, sera établie par « déclaration anticipée de volonté » avec mention du recours à un tiers donneur au moins pour les couples de femmes. Reste à savoir – et c’est le Conseil d’État qui doit trancher –, quelle option choisir pour les couples hétérosexuels qui ont recours à une PMA avec donneur. Faut-il garder, pour ces couples hétérosexuels, le régime qui prévaut pour l’instant de « mimétisme biologique » dans lequel les parents d’intentions sont considérés comme les parents biologiques sans mention du donneur dans l’acte de naissance, ou faut-il une unique procédure pour tous les cas de PMA ?
- L’accès aux données non identifiantes du donneur à la majorité de la personne née par PMA, voire l’accès à l’identité du donneur sous réserve du consentement de celui-ci, « soit au moment du don, soit au moment où l’adulte en fait la demande », là encore c’est au Conseil d’État de trancher.
- Le maintien d’un régime d’autorisation (qui a remplacé le régime d’exception) pour la recherche sur l’embryon mais avec un allégement des contraintes ainsi que la possibilité de détruire les embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental et non utilisés par des chercheurs « après un délai de cinq ans ».
De la technique avant tout
C’est bien entendu la forme juridique qui veut cela mais, dans le cas précis de ce projet de loi, on peine à admettre qu’un tel langage puisse être utilisé pour parler de procréation. Cette PMA « pour toutes », que l’on nous a vendue comme une histoire d’amour et d’égalité avant tout (« Être parent, ce n’est pas des gamètes mais de l’amour », expliquait Agnès Buzyn le 23 juin dernier) apparaît pour ce qu’elle est vraiment : la pérennisation et le développement de l’industrie procréatique avec ce qu’elle implique de « procédés », d’« efficacité », de « contrôle », de « test ». Ainsi, les couples peuvent bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert « si un problème de qualité affecte ses embryons ».
Le projet de loi tente maladroitement de donner le change avec, pour la partie concernant la PMA, le titre suivant : « Élargir l’accès aux techniques disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques ». La seule restriction morale qui apparaisse véritablement est l’interdiction de payer les couples ou les femmes seules qui choisiraient de « donner » un embryon sur lequel ils n’ont plus de projet parental. En revanche, et c’est révélateur, le titre du chapitre concernant la recherche sur l’embryon ne fait nullement mention de l’éthique mais d’une « recherche libre responsable », un peu comme le tri des déchets… Pourtant, le sujet, on le sent bien, reste délicat, ne serait-ce que parce que si l’embryon n’est qu’un matériau de laboratoire comme le laisse entendre la loi en vigueur et celle qui la remplacera, on comprend mal pourquoi subsistent encore quelques restrictions à ces recherches. Alors, de la même manière que l’avortement est pudiquement appelé « interruption volontaire de grossesse », le projet de loi préfère parler de « cessation de conservation des embryons » plutôt que de destruction.
Vers le pire ?
Ce n’est d’ailleurs pas, loin s’en faut, la seule contradiction de ce texte.
La suppression du critère médical signifie-t-elle que tous les couples hétérosexuels non touchés par l’infertilité pourront prétendre à une PMA pour des raisons de confort ?
En outre, la PMA dite « post-mortem » (réalisée avec les gamètes du père décédé entre le moment du prélèvement des gamètes et celui de la PMA) demeure interdite pour une raison mystérieuse puisque la possibilité de la PMA va être étendue aux femmes célibataires. Il est évident, dans ces conditions, que cet interdit ne sera pas maintenu très longtemps et c’est bien là toute la perversion de ces incohérences qui ne font que rendre plus urgentes d’autres transgressions censées rétablir l’égalité.
Pour autant, on aurait tort de s’inquiéter de cette loi de bioéthique sous prétexte qu’elle ouvrirait la boîte de Pandore et aboutirait forcément à la gestation pour autrui (GPA). La boîte de Pandore est déjà largement ouverte et, à ce stade, il s’agit même plutôt d’un gouffre que d’une boîte et nous savons qu’il s’est ouvert en 1975, lorsque l’avortement a permis que l’on fasse dépendre l’humanité d’une personne à la mesure du désir dont elle fait l’objet.