Benoît XVI, un pontificat déterminant

Publié le 03 Jan 2023

Durant son pontificat extrêmement fécond, Benoît XVI a recentré le Concile dans une juste herméneutique tout en imprimant de son charisme de pédagogue son ministère d’enseignement. Parmi les chantiers qu’il a lancés figurent l’unité de l’Église ainsi que la nouvelle évangélisation.

Il faudra sans doute encore bien des années pour mesurer la fécondité du pontificat de Benoît XVI. Celui qui s’est présenté aux fidèles rassemblés Place Saint-Pierre ce soir d’avril 2005 comme « un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur » a poursuivi comme évêque de Rome et successeur des apôtres Pierre et Paul, le service de l’Église qu’il avait entamé depuis son plus jeune âge. Prêtre, théologien, évêque, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, il a été le serviteur fidèle de l’Évangile, au service de la foi de tous les fidèles. Sa décision manifeste tout à la fois sa profonde humilité et la conscience très vive qu’il a des exigences du ministère pétrinien. Il serait bien présomptueux de faire un bilan. Cependant il est déjà possible de mesurer combien le pape Benoît s’est inscrit dans la perspective tracée par le Concile et par ses prédécesseurs à la tête du Saint-Siège, mais il a accompli sa mission selon sa grâce propre. À partir de cette double considération, il est possible de dégager quelques chantiers ouverts pour son successeur et pour tous les fidèles de l’Église.

Juste herméneutique du Concile

Tous les commentateurs ont souligné combien le cardinal Ratzinger a accompagné les grandes étapes du pontificat du bienheureux Jean-Paul II. Il ne faut donc pas limiter son influence aux seuls textes publiés par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Les pontificats de Paul VI et de Jean-Paul II ont permis la mise en œuvre d’un certain nombre de changements ou d’innovations institutionnels demandés par le concile Vatican II, cela afin de favoriser l’annonce de la Bonne Nouvelle à tous les hommes. Ainsi de la réorganisation de la Curie romaine (les grands services qui aident le Saint-Père dans sa mission), la promulgation du Code de droit canonique pour l’Église latine (1983) ou celui pour les Églises orientales (1990) qui structurent la vie et la mission de l’Église, la rénovation et l’adaptation des différents rituels liturgiques organisant la célébration des sacrements de la foi et des sacramentaux de l’Église, l’institution des différentes Conférences épiscopales qui, dans chaque pays, coordonnent l’activité pastorale et fournissent à chaque évêque un certain nombre de moyens matériels et pédagogiques pour la vie de l’Église locale, la création du synode romain qui réunit autour du pape les représentants des différents épiscopats pour réfléchir à frais nouveaux à telle ou telle question pastorale et doctrinale (le sacrement de pénitence, le sacrement de mariage et la défense de la famille, la formation des prêtres, la charge des évêques, la transmission de la foi par la catéchèse, la vie consacrée, l’engagement des fidèles laïques, le sacrement de l’Eucharistie, la parole de Dieu, la nouvelle évangélisation…) et qui donnent l’occasion pour le Saint-Père d’adresser aux chrétiens un document de synthèse engageant et orientant l’activité de tous les fidèles. À chaque fois la réflexion et la recherche de la Congrégation pour la Doctrine de la foi ont été mises à contribution et ont grandement aidé à l’élaboration des décisions de gouvernement ou ont contribué à l’approfondissement de la doctrine enseignée.

La place du Catéchisme

Il faut, dans ce travail de réception et d’application du Concile, faire une place toute particulière pour la promulgation du Catéchisme de l’Église catholique, qui offre à tous les chrétiens, et même à tous les hommes, une synthèse de la foi chrétienne (la profession de foi, les sacrements, les commandements et la prière chrétienne). Le cardinal Ratzinger fut le maître d’œuvre de cette grande entreprise à laquelle ont participé les évêques du monde entier et de très nombreux théologiens.

Une fois élu pape, Benoît XVI a poursuivi ce ministère d’enseignement. Son magistère comporte trois grandes encycliques mais il a eu à cœur, à travers homélies, discours, messages et déclarations, de poursuivre inlassablement l’éducation chrétienne et la formation spirituelle et doctrinale de tous les fidèles. On peut situer ses deux grandes encycliques doctrinales sur l’amour et sur l’espérance dans la continuité de l’enseignement de son prédécesseur sur le mystère trinitaire (le Rédempteur de l’homme, la miséricorde du Père, le Saint-Esprit qui nous sanctifie). La réflexion du pape Ratzinger sur le danger du relativisme, du subjectivisme et du volontarisme modernes est dans la droite ligne de l’enseignement de Jean-Paul II dans les grandes encycliques morales (Veritatis splendor et Evangelium vitæ). De même Benoît XVI n’a cessé de revenir aux exigences rationnelles de la foi en montrant combien les grands théologiens et les Pères de l’Église avaient su utiliser les concepts et les instruments élaborés par la réflexion philosophique pour pouvoir exprimer les vérités révélées. De même que le Christ n’est pas venu abolir mais accomplir la loi de Moïse, de même la Révélation chrétienne ne renie rien de ce qui est vraiment humain, même si l’évènement de l’Incarnation, le mystère du Verbe fait chair, vient bouleverser l’attente des hommes, dépasser toutes ses espérances et transformer la condition humaine. Le pape n’a cessé de présenter le Christ comme le Logos, la sagesse divine et incréée qui se rend accessible, visible, « abordable » pourrait-on presque dire, par le ministère de l’Église.

L’urgence missionnaire

En créant le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, en décrétant une Année de la foi, en réunissant un synode romain sur la nouvelle évangélisation, le pape a manifesté l’urgence missionnaire, spécialement pour l’Occident qui a été façonné par la foi chrétienne et par les institutions ecclésiales, et qui n’en finit pas de chercher à liquider cet impressionnant héritage. Nous sommes encore en Europe dans une crise majeure de la foi, dans une remise en question qui s’apparente fort aux bouleversements de l’adolescence : la parole sereine, forte, accessible du pape est un modèle pour tous ceux qui veulent aujourd’hui témoigner de l’actualité et de la jeunesse de l’Évangile. Mais cela exige que les chrétiens soient eux-mêmes formés et éduqués. Le dernier acte administratif de Benoît XVI a consisté à transférer la compétence catéchétique de la Congrégation pour le clergé au récent Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, marquant ainsi qu’il n’y a pas de missions efficaces et fécondes sans une annonce des principes mêmes de la foi et des vérités nécessaires au salut.

Il ne faudrait cependant pas croire que Benoît XVI se soit limité à une apologétique rationnelle de la foi chrétienne. Il a aussi montré que cette foi est d’abord un mystère reçu, célébré, accueilli, annoncé. Fidèle à sa réflexion antérieure, le pape s’est appliqué à offrir à tous l’exemple d’une liturgie particulièrement soignée et qui doit être un modèle à suivre au moins par toutes les églises cathédrales à travers le monde. Comme l’a montré le Synode sur l’Eucharistie, il reste beaucoup à faire pour chasser du temple de Dieu les caricatures et les liturgies approximatives. De ce point de vue, on peut espérer que la remise à l’honneur de la forme extraordinaire du rite romain (dite messe de saint Pie V, ou encore messe traditionnelle latine et grégorienne), par une sainte émulation, provoquera tous les pasteurs à offrir aux fidèles une liturgie belle et qui pousse tous les baptisés à une authentique participation, c’est-à-dire à l’offrande de toute leur existence à la suite du Christ, en fidélité au Saint-Esprit, pour la plus grande gloire de Dieu et le salut de leurs frères.

Beaucoup reste à faire

Le pape Jean-Paul II, après les grandioses et impressionnantes célébrations du jubilé, avait adressé à tous les catholiques une pressante invitation à renouveler leur engagement à la suite du Christ. Ce pape âgé et fatigué nous invitait à ne pas nous arrêter en chemin mais à nous consacrer de façon renouvelée à la Personne du Christ et à son œuvre, dans la dynamique de notre baptême et du sacrement de la confirmation : « Dans la cause du Royaume, il n’y a pas de temps pour regarder en arrière, et encore moins pour s’abandonner à la paresse », écrivait celui qui allait encore servir l’Église durant quatre ans. Benoît XVI a accepté la charge très lourde de conduire l’Église alors que lui-même avait atteint un âge avancé. Ne s’estimant plus capable d’assumer ce ministère, il laisse à François Ier et à ses collaborateurs un certain nombre de chantiers.

Priorité pour l’unité de l’Église

Une des premières missions du successeur de Pierre est de veiller à l’unité de l’Église et à travailler au retour à l’unité de tous ceux qui ont été sanctifiés par un même baptême et qui professent la foi dans le Christ Sauveur. Le rétablissement de la liturgie traditionnelle avait aussi pour but de favoriser la réconciliation avec les catholiques lefebvristes. Dans le même temps, une commission bipartite s’est plusieurs fois réunie pour réfléchir aux interprétations divergentes à propos de quelques points du Concile. Si la foi n’est pas en cause, en ce sens que les membres de la Fraternité Saint-Pie X ne remettent en cause aucun dogme catholique, il devrait être envisageable d’arriver à un accord. Du côté du Saint-Siège plusieurs autorités ont affirmé qu’il était possible d’exprimer des doutes, des difficultés quant à tel ou tel point de la doctrine conciliaire. De même les réformes et les engagements pastoraux pris après et au nom du Concile devraient effectivement faire l’objet d’une authentique évaluation critique. On pouvait penser à la fin du printemps dernier, qu’on était sur le point de parvenir à un accord. Malheureusement il n’en fut rien et il faudra un jour faire l’historique de ces semaines d’espérance et de désillusions. En attendant, on ne peut qu’espérer une reprise rapide du dialogue doctrinal et disciplinaire pour permettre une normalisation de la Fraternité Saint-Pie X et son intégration dans la mission de l’Église. Le père Yves Congar disait : « On peut condamner une réponse quand elle est fausse mais on ne peut jamais condamner une question. » Puisque certaines positions du Concile font visiblement difficultés à un nombre important de fidèles, on ne peut que souhaiter une clarification de la part du magistère et que cette clarification ait le degré d’autorité doctrinale suffisante pour éclairer les intelligences sincères : elles ont un grand besoin de savoir ce qui fait l’objet de libres discussions dans l’Église entre théologiens et ce qui est de foi catholique ou théologiquement certain.

Réévangélisation

Le Synode sur la nouvelle évangélisation et l’Année de la foi vont sans doute donner l’occasion pour le futur pape de s’adresser de nouveau à tous les fidèles afin de leur indiquer les nouveaux chemins de l’évangélisation. Déjà, commentant l’évangile de l’aveugle Bartimée que Jésus guérit (cf. Mc 10, 46-52), Benoît XVI avait souligné dans l’homélie de la messe de conclusion du Synode : « Dans cette perspective, Bartimée pourrait représenter tous ceux qui vivent dans des régions d’ancienne évangélisation, où la lumière de la foi s’est affaiblie, et qui se sont éloignés de Dieu, ne le retenant plus comme important pour la vie : des personnes qui par conséquent ont perdu une grande richesse, sont “déchues” d’une haute dignité – non de celle qui est économique ou d’un pouvoir terrestre, mais de celle qui est chrétienne –, elles ont perdu l’orientation sûre et solide de la vie et sont devenues, souvent inconsciemment, mendiants du sens de l’existence. Ce sont les nombreuses personnes qui ont besoin d’une nouvelle évangélisation, c’est-à-dire d’une nouvelle rencontre avec Jésus, le Christ, le Fils de Dieu (cf. Mc 1, 1), qui peut ouvrir de nouveau leurs yeux et leur enseigner la route. Il est significatif que, tandis que nous concluons l’Assemblée synodale sur la nouvelle évangélisation, la liturgie nous propose l’évangile de Bartimée. Cette parole de Dieu a quelque chose à nous dire de façon particulière à nous, qui en ces jours avons échangé sur l’urgence d’annoncer de façon nouvelle le Christ là où la lumière de la foi s’est affaiblie, là où le feu de Dieu est comme un feu de braises qui demande à être ravivé, pour qu’Il soit la flamme vive qui donne lumière et chaleur à toute la maison ».

Benoît XVI donne donc une indication (la nouvelle évangélisation s’adresse en priorité aux anciennes terres de chrétienté), la lecture des propositions des Pères du synode suffit à convaincre qu’il y a une absolue nécessité à dégager quelques priorités et une méthode.

58 propositions…

En effet, à parcourir ces cinquante-huit propositions, on retrouve beaucoup de champs d’activité de l’Église, tous les groupes qui la constituent et de nombreuses thématiques abordées ces dernières années (les Églises catholiques orientales, inculturation, proclamation de l’Évangile, témoignage dans un monde sécularisé, proclamation du kérygme, lectio divina, les textes du concile Vatican II, réconciliation, droits de l’Homme, liberté religieuse, moyens de communication sociale, développement humain, sens de la beauté, migrants, doctrine sociale de l’Église, scénarios urbains, paroisses et petites communautés, formation catéchétique et catéchèses, catéchèse des adultes, aide apportée par les théologiens, option pour les pauvres, les malades, initiation chrétienne, piété populaire, Église particulière, pastorale intégrée, paroisses, fidèles laïques, collaboration hommes-femmes, la famille, les ministres ordonnés, la vie consacrée, les jeunes, l’œcuménisme, le dialogue interreligieux, dialogue foi et science…), on ressent la nécessité d’un exposé organique et pratique sur la nouvelle évangélisation.

De plus, pour mener à bien cette mission d’évangélisation, il faudrait pouvoir compter sur une nouvelle génération missionnaire qui est pour l’essentiel à former et à soutenir. Il est clair que nous devons faire face, au moins en France, à un manque douloureux de ministres. Le problème des vocations sacerdotales et religieuses est certainement une urgence. La nouvelle évangélisation ne pourra se faire sans des pasteurs audacieux, fermes, tenaces et enthousiastes ! Il revient au Saint-Siège mais aussi aux Églises locales de susciter, en mettant au premier plan les moyens spirituels et surnaturels, de nombreux ouvriers pour la moisson.

Cet article est extrait de notre hors-série Habemus papam disponible ici (ou en version numérique).

Père Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé

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