La victoire d’Emmanuel Macron au deuxième tour des élections présidentielles ne constitue pas une surprise. Soutenu par l’ensemble du système, le candidat d’En Marche ne pouvait que remporter cette élection face à une Marine Le Pen qui a certes porté la voix de ce que le géographe Christophe Guilly appelle la « France périphérique », cette partie du pays victime de la mondialisation et qui se sent mise à l’écart de la vie de la nation, aussi bien au plan social, économique que politique, mais qui n’a pas su, ou n’a pas pu, se révéler avec une stature de chef d’État.
Quoi qu’il en soit des scores de l’un et de l’autre, de la joie de la victoire et de l’amertume de la défaite, la France en sort groggy, véritablement sonnée par une campagne électorale qui a, plus que jamais, fait perdre de vue la grandeur et la nécessité de la politique, pour imposer l’écœurant spectacle de la manipulation, de candidats faussement intègres, de pressions moralisantes et de diabolisation qui ruinent tout le crédit que pouvaient encore conserver le système électoraliste et les « valeurs » qu’il représente.
Une France coupée en deux
Plus encore, le constat d’une France coupée en deux s’impose. Nous sommes face à deux France qui n’ont plus rien de commun, qui ne parlent plus la même langue, ne portent plus les mêmes espoirs, n’attendent plus rien l’une de l’autre. On n’ose dire qu’elles n’ont pas la même culture, depuis que le nouveau Président nous a expliqué qu’il n’y avait pas de culture française…
Plus profondément encore, bien au-delà des deux camps qui se sont opposés lors du second tour des élections présidentielles, deux conceptions de l’homme et de la société s’affrontent désormais de manière criante et évidente, obligeant à remettre tout à plat. D’un côté, ceux qui pensent que l’homme peut être un objet de laboratoire, manipulable en fonction de normes morales qu’il se donne lui-même et qui seront révisables en fonction du progrès.
De l’autre, ceux qui sont attachés à l’antique conception de l’homme, héritée de nos Mères patries (Jérusalem, Athènes et Rome), surélevée par le christianisme, et qui postule l’existence d’une loi naturelle qu’il faut respecter pour que l’homme atteigne sa fin. Dans un entretien accordé à Philosophie Magazine, Alain Finkielkraut, évoquant les prétendues Lumières, l’a bien remarqué. Pour elles, « l’homme n’est rien par nature ». Terrible constat dont nous observons sous les yeux le déploiement : « mariage » pour tous, GPA/PMA, transhumanisme, sans parler des effroyables conséquences des deux guerres mondiales.
Le reste n’est qu’histoire de basse politique, jeux d’appareils et ego humains qui occupent certes le devant de la scène, mais qui sont plus portés par le flot qu’ils ne font l’Histoire.
Trois ruptures
Dans un livre qui vient de paraître, un jeune philosophe s’est attaqué avec courage à analyser la situation dans laquelle nous sommes plongés. Selon le titre de son livre, Guilhem Golfin étudie principalement la pertinence de la notion de souveraineté qui, depuis des décennies et devant la montée grandissante du mondialisme, représente un espoir pour beaucoup de Français et d’Européens. En fait, la portée de son travail va beaucoup plus loin. À travers l’analyse des origines modernes de la notion de souveraineté, Guilhem Golfin va, en fait, au cœur du drame contemporain :
« Le passage à la culture moderne s’opère selon une triple rupture : rupture avec la foi et donc avec Dieu, rupture avec la nature, et rupture avec la tradition, qui sont les trois ordres de relations qui font l’insertion de l’homme dans le réel. »
C’est peu dire qu’Emmanuel Macron, nouveau Président de la République, incarne à lui seul, avec son visage encore juvénile et le renfort des vieux caciques du système, la totalité de ces trois ruptures. Mais il n’est pas certain du tout qu’aucun de ses opposants puisse réellement à l’inverse incarner la restauration des liens perdus, avec Dieu, la nature et la tradition.
Une nouvelle Paideia
L’effort à mener pour l’avenir est gigantesque. Il implique d’abord de manière négative de ne plus perdre de temps dans des pseudo-solutions de circonstances ou dans des tentatives aussi vaines qu’inefficaces de succès électoraux, de courte durée et de petite portée.
De manière plus positive, un travail de fond est à entreprendre pour retrouver le sens de la loi naturelle. Notre jeune philosophe ne se cache pas l’immensité du chantier auquel nous ne pouvons échapper, sauf à être des lâches. « Les belles choses sont difficiles » expliquait déjà Platon dans La République. De son côté, Guilhem Golfin écrit que ce travail :
« pourrait s’apparenter à celui que fait un saint Thomas d’Aquin dans les trois premiers livres de la Somme contre les Gentils : asseoir rationnellement ce qui forme le fond commun de la sagesse humaine en tant que c’est accessible à la raison, en l’axant sur le domaine pratique, dans le but de dégager des principes communs quant aux mœurs. »
C’est une nouvelle Paideia qu’il nous faut mettre en place, et elle passe par nos retrouvailles avec la sagesse antique et chrétienne qui nous permet de saisir le véritable sens de l’universel et ses différentes modalités d’incarnation.
« Détruisez la culture, écrit au terme de sa réflexion Guilhem Golfin, vous n’empêcherez jamais qu’elle renaisse tant que des hommes vivront. » C’est cette culture que nous entendons faire revivre afin de redonner réellement vie à la cité, « en retrouvant les vertus qui font la bonté de la vie en commun ». Projet ambitieux et à long terme. Il mérite en tous les cas d’être tenté pour voir refleurir cette incarnation spécifique de la civilisation chrétienne qu’est la France.
Pour aller plus loin :
Souveraineté et désordre politique, vaincre le nihilisme
Guilhem Golfin
Le Cerf, 196 pages, 19 €