Le Pape reprend à chacun de ses voyages l’habitude commencée par Paul VI et poursuivie par ses successeurs d’adresser un discours commun, en général à la cathédrale du lieu, aux prêtres, religieux, religieuses et séminaristes. En Colombie, le 9 septembre dernier, le Pape a commenté dans ce cadre l’allégorie de la vigne, au chapitre 15 de saint Jean. Ce passage tiré du discours après la Cène est centré sur l’intimité avec Jésus, spécialement exprimée par le verbe « demeurer » qui sert à nous faire pénétrer la mystérieuse relation d’amour qui doit exister entre Dieu et l’homme. La présence d’amour de Jésus dans le cœur de ses disciples est un gage de vie éternelle. En outre ce verbe entend signifier l’impossibilité absolue de fructifier sans le Christ dans l’ordre du salut. Sans Jésus, en effet, on ne peut rien faire, on devient un sarment mort. Saint Augustin l’a fort bien montré dans son Traité sur saint Jean. Mais pour demeurer ainsi dans l’amour de Jésus, il faut au préalable l’avoir trouvé et, pour le trouver, il faut le chercher. Or notre société ne favorise en rien cette recherche en raison de ses vices, spécialement la drogue et ses lobbies ; d’où l’inquiétude des jeunes, comme le note le Pape. Les jeunes de fait sont sensibles aux nombreuses vies fauchées, détruites ou marginalisées. Cela est aggravé par le fait que, s’ils rencontrent de vrais catholiques, ils rencontrent aussi souvent des catholiques « à l’eau de rose ». C’est alors que le Pape s’appuie sur l’image biblique de la vigne chantée par le psaume 78, mais aussi par Isaïe, Osée, Jérémie et le Cantique des Cantiques. Et il fait remarquer qu’il ne s’agit pas d’une vigne quelconque, mais de la vraie vigne. Demeurer en Jésus implique aussi de demeurer dans l’Église. Beaucoup s’égarent parce qu’ils vont dans d’autres vignes alors qu’ils possèdent tout avec lui et son Église. Il faut donc demeurer dans la vigne du Seigneur, mais aussi se laisser tailler par les épreuves et les souffrances, en un mot par la Croix. C’est un long travail impossible à l’homme laissé à lui-même mais possible avec la grâce. Et pour ce faire, le Pape donne trois conseils.
Pour demeurer dans le Seigneur, il faut d’abord toucher son humanité. Toucher Jésus dans son humanité, cela veut dire être, comme lui, bon samaritain, être miséricordieux et doux tout en dénonçant avec fermeté le péché. Toucher Jésus dans son humanité, cela veut dire ne jamais désespérer, car nous savons qu’avec lui tout est possible. Pour demeurer en Jésus, il faut ensuite contempler sa divinité, en un mot l’adorer. Cela ne peut se faire que si au préalable on connaît Jésus vraiment, ce qui implique de découvrir ou redécouvrir les Écritures, car « celui qui ignore les Écritures, ignore Jésus ». Cela implique également un grand esprit de prière, car la lectio divina n’est qu’un maillon d’une chaîne qui amène à la contemplation, en passant par la prière et la méditation. Demeurer en Jésus, cela implique enfin vivre Dieu dans la joie, selon l’expression fameuse de Claire de Castelbajac. Le Pape reprend son expression sans la citer explicitement. Il cite par contre Paul VI et son exhortation sur la joie, conseillant de lire surtout la finale. Porter la joie, c’est inévitablement porter l’espérance, car la vraie joie, comme la vraie paix, ne viennent que du Christ. On objectera que la Croix ne peut pas rendre heureux. C’est là une profonde erreur. Car porter la Croix, c’est indissociablement demeurer avec Jésus, comme Marie qui se tenait debout auprès d’elle. Avec le Christ, la Croix devient légère et nous donne la joie, car la Croix est proximité avec l’Amour.
Le discours du Pape
Chers frères évêques,
Chers prêtres, religieux et religieuses, séminaristes,
Chères familles, chers « paisas »,
L’allégorie de la vraie vigne de l’Évangile de Jean que nous venons d’entendre se situe dans le contexte de la dernière Cène de Jésus. Dans ce cadre d’intimité, d’une certaine tension mais chargé d’amour, le Seigneur a lavé les pieds des siens, a voulu perpétuer sa mémoire dans le pain et dans le vin, et il a aussi parlé à ceux qu’il aimait du plus profond de son cœur.
En cette première nuit « eucharistique », à ce premier coucher du soleil après le geste de service, Jésus ouvre son cœur ; il leur livre son testament. Et comme au cénacle les Apôtres, avec quelques femmes et Marie, la Mère de Jésus, avaient continué par la suite à se réunir (cf. Ac 1, 13-14), de même aujourd’hui ici, en ce lieu, nous nous sommes rassemblés pour l’écouter et pour nous écouter. Sœur Leidy de San José, María Isabel et le Père Juan Felipe nous ont livré leur témoignage… ; chacun d’entre nous ici présents, nous pourrions également raconter l’histoire de notre propre vocation. Et tout le monde se reconnaîtrait dans l’expérience de Jésus qui vient à notre rencontre, qui nous devance et qui ainsi nous a ravi le cœur. Comme l’a dit le document d’Aparecida : « Connaître Jésus est le meilleur don que puisse recevoir toute personne ; que nous l’ayons rencontré, nous, est la meilleure chose qui nous soit arrivée dans la vie, et le faire connaître par notre parole et par nos œuvres est notre joie » (N. 29), la joie d’évangéliser.
Beaucoup d’entre vous, chers jeunes, auront découvert ce Jésus vivant dans vos communautés ; communautés d’une ferveur apostolique contagieuse, qui enthousiasment et suscitent l’attraction. Là où il y a de la vie, de la ferveur, l’envie de conduire les autres au Christ, surgissent des vocations authentiques ; la vie fraternelle et fervente de la communauté est ce qui réveille le désir de se consacrer entièrement à Dieu et à l’évangélisation (cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 107). Les jeunes sont naturellement inquiets – ou bien je me trompe ?. Et ici, je voudrais m’arrêter un instant et évoquer quelque chose de douloureux ; c’est une parenthèse. Les jeunes sont naturellement inquiets ; une inquiétude bien des fois déçue, détruite par les sicaires de la drogue. Medellin me fait penser à cela ; elle me fait penser aux nombreuses vies fauchées, marginalisées, détruites. Je vous invite à vous rappeler, à accompagner ce cortège tragique, à demander pardon pour ceux qui ont détruit les rêves de si nombreux jeunes, à demander à Jésus de convertir leurs cœurs, à demander que prenne fin cette défaite de l’humanité jeune. Les jeunes sont naturellement inquiets et même si nous assistons à une crise de l’engagement et des liens communautaires, nombreux sont les jeunes qui se solidarisent face aux maux du monde et s’enrôlent dans diverses formes de militantisme et de volontariat ; ils sont nombreux. Et certains, bien-sûr, sont des catholiques pratiquants, d’autres sont des catholiques « à l’eau de rose » – comme le disait ma grand-mère –, d’autres ne savent pas s’ils croient ou s’ils ne croient pas, mais cette inquiétude les conduit à faire quelque chose pour les autres, cette inquiétude fait que les volontariats du monde entier abondent en visages jeunes ; il faut canaliser l’inquiétude. Quand ils le font, saisis par Jésus, en se sentant membres de la communauté, ils deviennent des « troubadours de la foi », heureux de porter Jésus à chaque coin, à chaque place, à chaque recoin de la terre (cf. Ibid., n. 107). Et que de personnes, sans savoir qu’elles sont en train de le porter, le portent. Cette richesse d’aller dans la rue en servant, d’être des troubadours de la foi qu’elles-mêmes ne comprennent peut-être pas entièrement, est un témoignage, un témoignage nous portant à l’action de l’Esprit Saint qui entre et façonne progressivement notre cœur.
Comment convertir?…
À l’occasion de l’un de mes voyages, lors des journées de la Jeunesse en Pologne [Cracovie 2016], au cours d’un déjeuner que j’ai partagé avec les jeunes, avec quinze jeunes et avec l’Archevêque, l’un d’eux m’a demandé : « Que puis-je dire à un compagnon jeune qui est athée, qui ne croit pas, quel argument puis-je lui donner ? » Et l’idée m’est venue de lui répondre : Écoute, la dernière chose à faire, c’est de lui dire quelque chose. Il est resté à me regarder. Commence à faire, commence à te comporter de telle manière que l’inquiétude qui l’habite le rende curieux et qu’il t’interroge ; et quand il t’interrogera sur ton témoignage, là tu peux commencer à dire quelque chose. Il est si important de sortir dans la rue, de porter la foi dans la rue, de porter la vie dans la rue.
C’est la vigne à laquelle se réfère Jésus dans le texte que nous avons proclamé. La vigne, c’est tout ce « peuple de l’alliance ». Des prophètes tels que Jérémie, Isaïe ou Ezéchiel se réfèrent à ce peuple comme à une vigne ; même un psaume, le psaume 79, chante en disant : « La vigne que tu as prise à l’Égypte…, tu déblaies le sol devant elle, tu l’enracines pour qu’elle emplisse le pays » (vv. 9-10). Parfois, ils expriment la joie de Dieu face à sa vigne, d’autres fois sa colère, son désarroi ou son dépit ; jamais, jamais Dieu ne se désintéresse de sa vigne, jamais il ne se lasse de souffrir de ses errements – si je m’éloigne de lui, il souffre dans son cœur, il ne se lasse jamais d’aller à la rencontre de ce peuple qui, lorsqu’il s’éloigne de lui, brûle et se détruit.
La terre colombienne
Comment sont la terre, le terreau, le support où grandit cette vigne en Colombie ? Dans quel contexte sont produits les fruits des vocations à une consécration spéciale ? Sûrement dans des environnements chargés de contradictions, de clair-obscur, de situations relationnelles complexes. Nous aimerions avoir un monde avec des familles et des liens plus simples ; mais nous sommes impliqués dans ce changement d’époque, dans cette crise culturelle, et au milieu d’elle, en comptant avec elle, Dieu continue d’appeler. Autrement dit, qu’on ne vienne pas me raconter cette fable : « Non, c’est clair, il n’y a pas beaucoup de vocations à une consécration spéciale, car, évidemment, avec cette crise que nous vivons… ». Cela, vous savez ce que c’est : une fable absurde, est-ce clair ? Même dans cette crise, Dieu continue d’appeler. Ce serait presque ne pas voir la réalité que de penser que vous avez tous entendu l’appel de Dieu dans des familles soutenues par un amour fort et débordant de valeurs telles que la générosité, l’engagement, la fidélité ou la patience (cf. Exhort. Amoris laetitia, n. 5). Certains, oui, pas tous. Certaines familles, plût à Dieu qu’elles soient nombreuses, sont certainement ainsi. Mais avoir les pieds sur terre, c’est reconnaître que nos cheminements vocationnels, l’éveil à l’appel de Dieu, nous trouvent plus près de ce que relate déjà la Parole de Dieu et de ce que la Colombie connaît fort bien : « C’est un chemin de souffrance et de sang qui traverse de nombreuses pages de la Bible, à partir de la violence fratricide de Caïn sur Abel et de divers conflits entre les enfants et entre les épouses des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, arrivant ensuite aux tragédies qui souillent de sang la famille de David, jusqu’aux multiples difficultés familiales qui jalonnent le récit de Tobie ou l’amère confession de Job abandonné » (Ibid., n. 20). Et dès le commencement, il en a été ainsi ; ne pensez pas à la situation idéale ; voilà la situation réelle ! Dieu manifeste sa proximité et son choix là où il veut, dans le pays où il veut, et dans les conditions où il [le pays] se trouve en ce moment-là, avec les contradictions concrètes, comme il le veut. Il change le cours des événements en appelant des hommes et des femmes dans la fragilité de l’histoire personnelle et communautaire. N’ayons pas peur de ce pays complexe. L’autre nuit, une fille avec handicap, [qui était] dans le groupe qui m’a accueilli à la Nonciature, m’a dit que la vulnérabilité se trouve au cœur de l’humain, et elle expliquait pourquoi. Et l’idée m’est venue de lui demander : « Sommes-nous tous vulnérables ? » – « Oui, tous ». « Mais y a-t-il quelqu’un qui n’est pas vulnérable ? » Elle m’a répondu : « Dieu ». Pourtant Dieu a voulu se rendre vulnérable et il a voulu sortir dans la rue avec nous, il a voulu sortir dans la rue avec nous, il a voulu sortir pour vivre notre histoire telle qu’elle était, il a voulu se faire homme au milieu d’une contradiction, au milieu de quelque chose d’incompréhensible, grâce au oui d’une fille qui ne comprenait pas mais a obéi et d’un homme juste qui a fait ce qui lui a été demandé, mais tout cela au milieu de contradictions. N’ayons pas peur de ce pays complexe ! Dieu a toujours fait le miracle de générer de bonnes grappes, comme les arepas au petit déjeuner. Que les vocations ne manquent dans aucune communauté et dans aucune famille de Medellín ! Et quand pour le déjeuner, vous vous trouvez devant l’une de ces belles surprises : « Que c’est beau ! Et Dieu est-il capable de faire quelque chose de moi ? ». Demandez-le-lui, avant de la manger, demandez-le-lui.
La vérité jaillit de l’intérieur
Et cette vigne – qui est celle de Jésus – a la caractéristique d’être la vraie. Il a déjà utilisé ce terme à d’autres occasions dans l’Évangile de Jean : la vraie lumière, le vrai pain du ciel ou le vrai témoignage. Or, la vérité n’est pas quelque chose que nous recevons – comme le pain ou la lumière – mais elle jaillit plutôt de l’intérieur. Nous sommes un peuple élu pour la vérité, et notre appel doit être dans la vérité. Si nous sommes des sarments de cette vigne, si notre vocation est greffée sur Jésus, il ne peut y avoir de place pour la duperie, pour la duplicité, pour les choix mesquins. Nous devons tous veiller à ce que chaque sarment serve à ce pour quoi il a été pensé : pour porter des fruits. Et suis-je disposé à porter des fruits ? Dès les débuts, ceux à qui il revient d’accompagner les cheminements de vocation devront susciter la rectitude d’intention, c’est-à-dire le désir authentique de se configurer à Jésus, le pasteur, l’ami, l’époux. Lorsque les cheminements ne sont pas alimentés par cette vraie sève qu’est l’Esprit de Jésus, alors nous faisons l’expérience de la sécheresse et Dieu découvre avec tristesse ces tiges déjà mortes. Les vocations à une consécration spéciale meurent quand elles veulent se nourrir des honneurs, quand elles sont animées par la recherche d’une tranquillité personnelle et de promotion sociale, quand la motivation, c’est de « monter de catégorie », d’assouvir des intérêts matériels qui arrivent même à la sottise de la soif de profit. Je l’ai déjà dit en d’autres occasions et je veux le répéter comme quelque chose qui est vrai et certain, ne l’oubliez pas, le diable entre par la poche, toujours. Cela n’est pas l’apanage des débuts, nous devons tous faire attention, car la corruption chez les hommes et les femmes qui sont dans l’Église commence ainsi, peu à peu, ensuite – Jésus lui-même nous le dit – elle s’enracine dans le cœur et finit par déloger Dieu de notre vie. Nul ne peut servir Dieu et l’argent (cf. Mt 6, 21.24). Jésus dit : « On ne peut servir deux maîtres ». Autrement dit, deux maîtres, comme s’il y avait deux maîtres dans le monde : on peut servir Dieu et l’argent. Jésus élève l’argent au rang de maître, qu’est-ce que cela signifie ? S’il t’attrape, il ne lâche pas, il sera ton maître à partir de ton cœur, attention. Nous ne pouvons pas profiter de notre condition de religieux et de la bonté de notre peuple pour être servis et obtenir des bénéfices matériels.
Il y a des situations, des styles et des choix qui révèlent les signes de sécheresse et de mort, quand cela se passe-t-il ? Vous ne pouvez pas continuer à entraver l’écoulement de la sève qui alimente et donne vie ! Le venin du mensonge, la dissimulation, la manipulation et l’abus envers le peuple de Dieu, envers les personnes fragiles, et spécialement envers les personnes âgées et les enfants, ne peuvent pas avoir droit de cité dans notre communauté. Lorsqu’un consacré, une consacrée, une communauté, une institution – que ce soit une paroisse ou peu importe – opte pour ce style, il [elle] est un sarment sec. Il ne reste plus qu’à s’asseoir et à attendre que le Seigneur vienne tailler.
Se laisser tailler
Mais Dieu ne fait pas que tailler ; l’allégorie continue en disant que Dieu purifie la vigne de ses imperfections. Que c’est beau, la taille ! Cela fait mal mais c’est beau. La promesse, c’est que nous porterons du fruit, et en abondance, comme le grain de blé, si nous sommes capables de nous livrer, de donner librement notre vie. Nous avons en Colombie des exemples montrant que cela est possible. Nous pensons à sainte Laura Montoya, une religieuse admirable dont nous avons aujourd’hui les reliques ici. À partir de cette ville, elle s’est dépensée à travers une grande œuvre missionnaire en faveur des indigènes dans tout le pays. La femme consacrée ! Que de choses elle nous enseigne du dévouement silencieux, désintéressée, qui n’a d’autre intérêt que de manifester le visage maternel de Dieu ! De même, nous pouvons nous rappeler le bienheureux Mariano de Jésus Euse Hoyos, l’un des premiers élèves du Séminaire de Medellín, ainsi que d’autres prêtres et religieuses de la Colombie, dont les procès de canonisation ont été introduits ; comme également tant d’autres, des milliers de Colombiens anonymes qui, dans la simplicité de la vie quotidienne, ont su se donner pour l’Évangile, que vous portez sûrement dans votre mémoire et qui sans doute constituent des encouragements à l’engagement. Tous nous montrent qu’il est possible de répondre fidèlement à l’appel du Seigneur, qu’il est possible de porter beaucoup de fruit, même présentement, en ces temps et en ce lieu.
La bonne nouvelle, c’est que Dieu est prêt à nous purifier, la bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas encore une œuvre achevée, nous sommes en processus de fabrication, qu’en tant que bons disciples, nous sommes en chemin. Comment Jésus taille-t-il progressivement les facteurs de mort nichés dans notre vie et qui déforment l’appel ? En nous invitant à demeurer en lui ; demeurer ne signifie pas seulement rester, mais veut dire maintenir une relation vitale, existentielle, de nécessité absolue ; c’est vivre et grandir en union féconde, avec Jésus, « source de vie éternelle ». Demeurer en Jésus ne peut être une attitude purement passive ou un simple abandon sans conséquences dans la vie quotidienne, cela comporte toujours une conséquence, toujours. Et permettez-moi de vous les proposer – car cela devient un peu long. Vous n’allez pas répondre oui, donc je ne vous crois pas – permettez-moi de vous proposer trois manières de rendre effectif ce fait de demeurer, c’est-à-dire qui peut vous aider à demeurer en Jésus.
1. Nous demeurons en Jésus en touchant l’humanité de Jésus :
Par le regard et les sentiments de Jésus, qui contemple la réalité, non pas comme un juge, mais comme le bon samaritain ; qui reconnaît les valeurs du peuple avec lequel il marche, ainsi que ses blessures et ses péchés ; qui découvre la souffrance silencieuse et s’émeut face aux besoins des personnes, surtout quand elles se voient asservies par l’injustice, la pauvreté indigne, l’indifférence, par l’action perverse de la corruption et de la violence.
Par les gestes et les paroles de Jésus, qui expriment l’amour envers ceux qui sont proches et la recherche de ceux qui sont loin ; la tendresse et la fermeté dans la dénonciation du péché et dans l’annonce de l’Évangile ; la joie et la générosité dans l’engagement et le service surtout en faveur des personnes les plus fragiles, en repoussant avec force la tentation de tenir tout pour perdu, de nous accommoder ou de ne nous considérer que comme des administrateurs de malheurs. Que de fois nous écoutons des hommes et des femmes consacrés dont il semble qu’au lieu d’administrer la joie, la gaîté, la croissance, la vie, ils administrent des malheurs, et passent tout leur temps à se lamenter, à se lamenter des malheurs de ce monde. C’est la stérilité, la stérilité de ce monde. C’est la stérilité de celui qui est incapable de toucher la chair souffrante de Jésus.
2. Nous demeurons en contemplant sa divinité :
En éveillant et en soutenant le goût des études qui font grandir la connaissance du Christ car, comme le rappelle saint Augustin, on ne peut aimer celui qu’on ne connaît pas (cf. La Trinité, Livre X, chap. I, 3).
En privilégiant par cette connaissance la rencontre avec les Saintes Écritures, spécialement l’Évangile, où le Christ nous parle, nous révèle son amour inconditionnel pour le Père, nous communique la joie qui jaillit de l’obéissance à sa volonté et le service des frères. Et je voudrais vous poser une question, mais ne me répondez pas, que chacun se réponde à lui-même : Pendant combien de minutes ou d’heures je lis l’Évangile ou l’Écriture Sainte par jour ? Répondez à vous-mêmes. Qui ne connaît pas les Écritures ne connaît pas Jésus. Qui n’aime pas les Écritures n’aime pas Jésus (cf. saint Jérôme, Prologue au commentaire du prophète Isaïe : PL 24, 17). Consacrons du temps à la lecture priante de la Parole ! En auscultant en elle ce que Dieu veut pour nous et pour notre peuple.
Que toutes nos études nous aident à être capables d’interpréter la réalité avec les yeux de Dieu ; qu’elles ne soient pas des études pour s’évader des événements de notre peuple, qu’elles ne suivent pas non plus les va-et-vient des modes ou des idéologies. Qu’elles ne s’alimentent pas de nostalgies ni ne cherchent à enserrer dans un carcan le mystère ; qu’elles ne cherchent pas à répondre à des questions que personne ne se pose, laissant dans le vide existentiel les personnes qui nous interrogent à partir des données de leurs mondes et de leurs cultures.
Demeurer en lui et contempler sa divinité en faisant de la prière un élément fondamental de notre vie et de notre service apostolique. La prière nous libère du fardeau de la mondanité, nous enseigne à vivre dans la joie, à faire des choix en nous éloignant de la superficialité, dans un exercice de liberté authentique. Dans la prière nous grandissons en liberté, dans la prière nous apprenons à être libres. La prière nous évite de nous centrer sur nous-mêmes, cachés dans une expérience religieuse vide et elle nous conduit à nous mettre docilement dans les mains de Dieu pour réaliser sa volonté et rendre efficace son projet de salut. Et dans la prière, je vous conseille une chose également : demandez, contemplez, remerciez, intercédez, mais aussi habituez-vous à adorer. Adorer, ce n’est pas très à la mode. Habituez-vous à adorer. Apprendre à adorer en silence. Apprendre à prier ainsi.
Soyons des hommes et des femmes réconciliés pour réconcilier. Avoir été appelés ne nous donne pas le certificat de bonne conduite et d’impeccabilité ; nous ne sommes pas revêtus d’une auréole de sainteté. Malheur au religieux, au consacré, au prêtre ou à la religieuse qui vit avec un visage d’image pieuse, s’il vous plaît, malheur ! Nous sommes tous des pécheurs, nous avons tous besoin du pardon et de la miséricorde de Dieu pour nous lever chaque jour ; il arrache ce qui n’est pas bien et que nous avons fait de mal, le jette hors de la vigne et le brûle. Il nous laisse purs pour que nous puissions porter du fruit. Voilà la fidélité miséricordieuse de Dieu envers son peuple, dont nous faisons partie ! Il ne nous abandonnera jamais au bord du chemin, jamais. Dieu fait tout pour éviter que le péché l’emporte sur nous et ferme ensuite les portes de notre vie à un avenir d’espérance et de joie. Il fait tout pour éviter cela, et s’il n’y parvient pas, il reste à côté, jusqu’à ce me vienne l’idée de lever le regard, car je me rends compte que je suis à terre. C’est ainsi qu’il est.
3. Enfin, il faut demeurer dans le Christ pour vivre dans la joie : troisièmement, demeurer pour vivre dans la joie.
Si nous demeurons en lui, sa joie sera avec nous. Nous ne serons pas des disciples tristes et des apôtres amers. Lisez la fin d’Evangelii nuntiandi (l’Exhortation apostolique de Paul VI), je vous le conseille. Au contraire, nous refléterons et porterons la vraie joie que personne ne pourra nous enlever, nous répandrons l’espérance de notre vie nouvelle, que le Christ nous a apportée. L’appel de Dieu n’est pas un fardeau lourd qui nous vole la joie, est-il lourd ? Parfois oui, mais il ne nous vole pas la joie. Par ce poids, il nous procure également de la joie. Dieu ne nous veut pas soumis dans la tristesse – l’un des mauvais esprits qui prennent possession de l’âme et que dénonçaient déjà les moines du désert ; Dieu ne nous veut pas soumis dans la fatigue qui dérive des activités mal vécues, sans une spiritualité qui rende heureuse notre vie, voire nos fatigues. Notre joie contagieuse doit être le premier témoignage de la proximité et de l’amour de Dieu. Nous sommes de vrais dispensateurs de la grâce de Dieu lorsque nous reflétons la joie de la rencontre avec lui.
Dans la Genèse, après le déluge, Noé plante une vigne comme signe d’un nouveau commencement ; au terme de l’Exode, ceux que Moïse a envoyés inspecter la terre promise sont revenus avec une grappe de raisins de cette dimension, signe de cette terre où coulent le lait et le miel. Dieu a posé son regard sur nous, sur nos communautés et sur nos familles ; elles sont présentes ici et je trouve très indiqué que soient présents les pères et les mères des consacrés, des prêtres et des séminaristes. Dieu a posé son regard sur nous, sur nos communautés et sur nos familles. Le Seigneur a posé son regard sur la Colombie : vous êtes le signe de cet amour de prédilection. Il nous revient d’offrir tout notre amour et notre service en union avec Jésus, qui est notre vigne. Et d’être la promesse d’un nouveau commencement pour la Colombie, qui laisse derrière les déluges – comme celui [du temps] de Noé – de désaccord et de violence, qui veut porter beaucoup de fruits de justice et de paix, de rencontre et de solidarité. Que Dieu vous bénisse ! Qu’il bénisse la vie consacrée en Colombie ! Et n’oubliez pas de prier pour moi, afin qu’il me bénisse moi aussi ! Merci !