Question liturgique : affrontements au plus haut niveau

Publié le 30 Sep 2017
Question liturgique : affrontements au plus haut niveau L'Homme Nouveau

Plusieurs motu proprio, des textes qui ont la particularité d’être des actes d’autorité personnelle du pape, ont été publiés récemment. Le motu proprio Summa familiæ cura (19 septembre) concerne la morale, champ de bataille important. Celui-ci met pratiquement fin à l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille alors que le motu proprio Magnum principium (9 septembre) porte sur la liturgie.

Magnum principium semble concerner un enjeu minuscule : la rectification de telle ou telle expression dans les traductions des livres liturgiques. Pour nombre d’observateurs, il a cependant une portée symbolique majeure : le combat sans merci des partisans de la ligne d’aujourd’hui, celle qui se réclame du Pape François, contre celle des partisans de la ligne d’hier, celle qui se réclame de Benoît XVI. À moins que l’enjeu ultime soit bien plus fondamental encore.

Les petits acquis de la « restauration » liturgique

Dans l’histoire de la « restauration » liturgique ratzingérienne, qui s’étale de 1996 à 2013, sous les cardinaux-préfets du Culte divin, Medina, Arinze et Cañizares, en dehors de la publication de l’instruction Redemptionis Sacramentum, du 25 mars 2004, véritable Syllabus des dérives liturgiques prohibées, qui ne fut suivi d’aucun effet, l’unique victoire avait été de décider que les traductions liturgiques élaborées depuis le Concile de manière très libérales seraient révisées. Le résultat en fut bien modeste.
Pour contrer les effets de l’instruction Varietates legitimæ, du 25 janvier 1994, avait été élaboré l’instruction Liturgiam authenticam, du 28 mars 2001, qui expliquait : « La traduction des textes de la liturgie romaine n’est pas une œuvre de créativité. […] Il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses » (n. 20).
Les conférences française et allemande traînèrent des pieds. En fait, c’est dans la seule aire linguistique anglophone que ce travail fut accompli correctement, grâce à la ténacité du cardinal nigérian et donc anglophone Arinze. Il fut aidé par le comité Vox Clara, constitué en 2002 au sein de la Congrégation pour faire contrepoids à la très libérale Commission ICEL (International Commission on English in the Liturgy), organisme de coordination entre les conférences épiscopales anglophones.

Une nouvelle donne

Certes en 2014, le Pape François nomma Préfet du Culte divin, pour remplacer le cardinal Cañizares et à sa demande, le très ratzingérien cardinal Joseph Sarah, mais en l’entourant de deux prélats bugniniens (du nom de Mgr Bugnini, cheville ouvrière de la réforme liturgique) : Mgr Arthur Roche, confirmé comme Secrétaire et le Père Corrado Maggioni, nommé Sous-Secrétaire et grand ami par ailleurs de Mgr Piero Marini, ancien cérémoniaire pontifical, entièrement acquis aux avancées liturgiques. Dans le même temps, les cardinaux et évêques membres de la Congrégation (qui votent dans les assemblées plénières) furent complètement renouvelés : les cardinaux Burke et Pell furent exclus pendant que le cardinal Ravasi et Mgr Piero Marini étaient nommés.
Malgré tout, le cardinal Sarah tenta de continuer la rectification de la traduction des livres. En pure perte. Pour l’aire allemande, le blocage devint complet dès 2013. L’un des différends portait sur la traduction du pro multis (« pour beaucoup ») de la consécration : les évêques voulant für alle, et non für viele, demandé par le cardinal Sarah. Même chose en Italie.
Dans l’aire anglophone, depuis que la nouvelle traduction fut mise en application, les bugniniens prétendirent qu’elle était rejetée par la moitié des fidèles et 71 % des prêtres à cause de son style « trop formel » et « trop pompeux ». En France, il est vrai, le projet de traduction Sarah était accepté à l’unanimité… mais à condition d’être facultatif.
Dans l’atmosphère nouvelle, les prétentions du cardinal faisaient désordre. Par lettre apostolique du 18 octobre 2016, le Pape organisait une Commission pour prendre en main ces problèmes de traductions.
Une Commission très discrète, dont les membres ne figurent sur aucun annuaire :

Mgr Arthur Roche, Secrétaire de la Congrégation pour le culte divin (CCD), Président ;

le Père Corrado Maggioni, Sous-Secrétaire de la CCD, Vice-Président ;

Mgr Dominic Jala, archevêque de Shillong (Inde) ;

Mgr Mark Benedict Coleridge, archevêque de Brisbane (Australie) ;

Mgr Piero Marini, ancien secrétaire de Mgr Bugnini, ancien cérémoniaire pontifical ;

Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, archevêque de Tours (France) ;

Mgr Julián López Martin, évêque de León ;

Mgr Arthur Joseph Serratelli, évêque de Paterson (Etats-Unis) ;

Mgr Friedhelm Hofmann, évêque de Würzburg (Allemagne) ;

Mgr Jean-Pierre Kwambamba Masi, évêque auxiliaire de Kinshasa (Congo) ;

Mgr John Bosco Chang Shin-Ho, évêque auxiliaire de Daegu (Corée du Sud) ;

Mgr Domenico Sorrentino, évêque d’Assise ;

le Père Jeremy Driscoll, professeur à l’Université Saint-Anselme de Rome) ;

le Père Matias Augé, professeur honoraire de l’Institut Ponti?cal Liturgique ;

Mgr Giacomo Incitti, Professeur de droit canonique à l’Université urbanienne ;

le Père Mario Lessi-Ariosto, jésuite italien ;

le Père Christoph Ohly, du diocèse de Cologne, professeur de théologie à Trèves ;

Mme Valeria Trapani, Professeur à la Faculté de théologie de Palerme ;

et curieusement, Giovanni Maria Vian, directeur de L’Osservatore Romano.

Et de cette Commission, dans laquelle les bugniniens « pur jus » étaient largement majoritaires, le cardinal Sarah ne faisait pas partie.

Le cardinal Sarah dans la tempête

Le 24 août, s’adressant aux 800 participants de la Semaine liturgique italienne, le Pape François, dans un discours dont un professeur de l’Université Saint-Anselme aurait tenu la plume, faisait un éloge appuyé de la réforme liturgique issue du concile Vatican II, soulignant qu’elle était bien issue de la volonté des Pères conciliaires. Son application, poursuivait-il, n’est pas achevée, « parce qu’il ne suffit pas de réformer les livres liturgiques pour rénover les mentalités ». Et d’enfoncer le clou : « Il ne s’agit pas de repenser la réforme en en revoyant les choix, mais de mieux en connaître les raisons profondes, y compris par la documentation historique, d’intérioriser ses principes inspirateurs et d’observer la discipline qui la régit. » Et pour finir, le Pape invoquant son « autorité magistérielle » affirmait que « la réforme liturgique [était] irréversible ».
Contrairement à ce qu’ont pu croire des traditionalistes inquiets, ce n’était pas la célébration de la forme extraordinaire que visait, au moins directement, le Pontife, mais bien les projets de restauration liturgique ou de réforme de la réforme défendus par le cardinal Sarah.
Quelques semaines plus tard, le 9 septembre, déjà dûment ligoté et désormais bien recadré, le cardinal Sarah, alors qu’il voyageait en Guinée, apprenait par les journaux la publication d’un motu proprio concernant le domaine dont il a normalement la responsabilité : « Magnum principium, l’important principe confirmé par le concile œcuménique Vatican II, selon lequel la prière liturgique rendue accessible au peuple devait être compréhensible dans sa langue… ». Le motu proprio rectifiait la formulation du canon 838 concernant les traductions liturgiques. En fait, cette nouvelle formulation du canon avait été préparée par la mystérieuse Commission, prenant soin de se réunir discrètement, non au siège de la Congrégation, mais dans la campagne romaine.
Il faut y lire les nouveautés, subtiles, presque entre les lignes. Le droit des Conférences épiscopales d’« adapter » les livres liturgiques et pas seulement les « traduire » y est souligné. Bien sûr, le Siège Apostolique conserve toujours le pouvoir ultime, celui de la recognitio des adaptations décidées par les Conférences épiscopales, et celui de la confirmatio des traductions mises en œuvre par ces mêmes Conférences, mais le Siège Apostolique, à ce jour et dans cette affaire, c’est la Commission Roche, Marini, Maggioni.

Le retour du cardinal Sarah

Pour autant, le Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements ne s’avoua pas vaincu. De retour à Rome, le 14 septembre, cinq jour après le texte du Pape, intervenant au Ve Congrès sur le motu proprio Summorum Pontificum, après de longs développements sur le silence et le primat de Dieu dans la sainte liturgie, il devint soudain très concret, rappelant son attachement, non seulement à une restauration liturgique (de bonnes traductions), mais à la réforme de la réforme, et soulignant deux points qui lui paraissaient importants : l’orientation des célébrations vers le Seigneur et l’introduction dans la liturgie nouvelle de la possibilité d’user de l’offertoire traditionnel.
Discours contre discours, mais seulement des discours, dira-t-on, pour finalement bien peu de choses concrètes, dans un sens comme dans un autre : la réforme liturgique de Vatican II est depuis cinquante ans un « être là », qui ne progresse ni ne régresse. Mais le véritable enjeu de fond est autre. C’est celui de l’opposition incompressible à cette réforme, depuis l’origine, que représente la célébration de la messe tridentine. En fait, c’est elle qui inspire les tentatives timides de restauration ou de réforme de la réforme, contre lesquelles s’exaspèrent les défenseurs de cette même réforme. Jusqu’au jour où viendra l’heure des choix décisifs.

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