Refonder la sacramentalité du mariage

Publié le 14 Oct 2018
Refonder la sacramentalité du mariage L'Homme Nouveau

Les époux sont-ils les seuls acteurs de leur mariage et le célébrant n’est-il qu’un assistant ?

Le sacrement du mariage apparaît un peu comme le parent pauvre de la théologie sacramentaire catholique. Il n’est que de voir comment parfois la liturgie du mariage a pu être remaniée dans certaines célébrations. Et c’est pitié. Alors que « ce mystère est grand » (Ep 5, 32) et qu’il est un beau reflet sur la terre de la vie et de l’amour trinitaires !

Qui dit sacrement dit signe saint accompagné d’une parole « sacramentelle » qui, par l’invocation de l’Esprit Saint (l’épiclèse), et la médiation du Christ, exprime et signifie et accomplit l’action de Dieu lui-même dont la grâce vient secourir et sanctifier notre nature (cf. le Catéchisme de l’Eglise Catholique CEC 1084).

Dans chacun des sept sacrements, l’invocation et la communication de l’Esprit Saint sont exprimées par le geste de l’imposition des mains du ministre.

Le CEC détaille pour chaque sacrement le « rite essentiel » – geste et parole – qui le rend visible et audible, et efficace. En ces termes :

  • « Le rite essentiel du Baptême consiste à plonger dans l’eau le candidat ou à verser de l’eau sur sa tête, en prononçant l’invocation de la Très Sainte Trinité. » (1278)
  • « Le rite essentiel de la Confirmation est l’onction avec le saint chrême sur le front du baptisé avec l’imposition de la main du ministre et les paroles » rituelles. (1320)
  • « Les signes essentiels du sacrement eucharistique sont le pain de blé et le vin du vignoble, sur lesquels est invoquée la bénédiction de l’Esprit Saint et le prêtre prononce les paroles de la consécration dites par Jésus pendant la dernière Cène. » (1412)
  • « Le sacrement de la pénitence est constitué par l’ensemble des trois actes posés par le pénitent (repentir, confession et réparation) et par l’absolution du prêtre. » (1491)
  • « L’essentiel de la célébration du sacrement des malades consiste en l’onction sur le front et les mains du malade, onction accompagnée de la prière liturgique du prêtre célébrant. » (1531)
  • « Le sacrement de l’ordre est conféré par l’imposition des mains suivie d’une prière consécratoire solennelle » de l’évêque. (1597)

S’agissant du sacrement du mariage, le CEC montre bien la différence notable – sinon « essentielle » –  qui existe entre les conceptions latine et orientale :

  • « Selon la tradition latine, ce sont les époux qui, comme ministres de la grâce du Christ, se confèrent mutuellement le sacrement du Mariage en exprimant devant l’Eglise leur consentement. Dans la tradition des Eglises orientales, les prêtres ou évêques qui officient sont les témoins du consentement mutuel échangé par les époux, mais leur bénédiction est nécessaire aussi à la validité du sacrement. » (1623)

Pour autant, le CEC relève la richesse et l’importance des « prières de bénédiction et d’épiclèse demandant à Dieu sa grâce et la bénédiction sur le nouveau couple. Dans l’épiclèse de ce sacrement, » (constitutive du sacrement ?) « les époux reçoivent l’Esprit Saint comme communion d’amour du Christ et de l’Eglise. C’est Lui le sceau de leur alliance, la source toujours offerte de leur amour, la force où se renouvellera leur fidélité. » (1624)

C’est très beau et cela a le mérite d’être dit.

Mais on ajoute aussitôt après : « L’Eglise considère l’échange des consentements entre les époux comme l’élément indispensable » (et suffisant ?)  « qui fait le mariage. » (1626)

« Le prêtre (ou le diacre) qui assiste à la célébration du mariage, accueille le consentement des époux au nom de l’Eglise et donne la bénédiction de l’Eglise. » (Ah, quand même !) « La présence du ministre de l’Eglise (et aussi des témoins) exprime visiblement que le mariage est une réalité ecclésiale. » (1630)

Le Code de Droit canonique, pour « la forme de la célébration du mariage », emploie constamment le terme d’ « assistant », qui se contente de recevoir « au nom de l’Eglise » le consentement des époux contractants. Conséquence ‘logique’ : « Là où il n’y a ni prêtre ni diacre, l’évêque (…) peut déléguer des laïcs pour assister au mariage ». (Can. 1108 à 1112)

Remarque intéressante : Alors que la célébration des funérailles a été largement déléguée à des laïcs, on n’en est pas encore là pour celle des mariages. N’est-ce pas le signe d’un reste, dans la mentalité commune, de sentiment de sacralité pour l’union conjugale ? 

Le prêtre, dans la célébration du mariage, est-il donc simplement un « témoin » ou un « assistant », au milieu des autres témoins ? Ou bien est-il un « ministre » « indispensable » qui (par l’imposition des mains et l’invocation et le don de l’Esprit Saint) confère à l’échange des consentements qui engage les époux sa dimension sacramentelle ? 

Les époux ne font-ils que se donner le sacrement par leur don mutuel, ou reçoivent-ils aussi, par le don de l’Esprit Saint invoqué par l’Eglise, la grâce de vivre leur alliance en Alliance avec Dieu par le Christ ?

Faute de se prononcer suffisamment clairement sur cet « essentiel », le CEC (qui pourtant cite Tertullien – 3ème siècle ! – : « C’est la bénédiction qui scelle le mariage que le Père céleste ratifie » 1642) nous laisse à notre interprétation, avec le choix de pencher plutôt pour la position latine, ou pour l’orientale.

La question qui reste en suspens, en effet, est celle-ci : La parole qui accompagne le signe – ou la matière – du sacrement (que sont les époux eux-mêmes qui sont venus devant l’autel et qui s’engagent) est-elle simplement le consentement qu’ils échangent entre eux, ou bien, ou aussi c’est la parole de l’Eglise qui reçoit et qui atteste l’engagement et qui le consacre à travers la grande bénédiction nuptiale ?

Comment manifester la nouveauté sacramentelle du mariage chrétien – sauvé et racheté par le Christ – (par rapport au mariage naturel qui existe depuis la Création et que la société officialise à travers un contrat social), si le ministre se contente en quelque sorte de laisser les époux se donner mutuellement le sacrement en « assistant » simplement à leur contrat ?

Jésus, dans l’Evangile, non seulement confirme le projet originel du Créateur (Mt 19, 4-6), mais il le reprend à son compte en promettant et apportant aux époux la grâce de sa propre vie donnée et d’un amour qui va jusqu’au bout : « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). « En-dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5), rien de durable, rien de solide, rien d’éternel.

« L’Eglise accorde une grande importance à la présence de Jésus aux noces de Cana. Elle y voit la confirmation de la bonté du mariage et l’annonce que désormais le mariage sera un signe efficace de la présence du Christ. » (CEC 1613)

« L’alliance matrimoniale (…) a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement. » (1601)

Et le Catéchisme développe bien, en un beau paragraphe, ce qui est la grâce propre du sacrement du Mariage :

« Le Christ est la source de cette grâce. (…) Il vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement du Mariage. Il reste avec eux. Il leur donne la force de le suivre en prenant leur Croix sur eux, de se relever après leurs chutes, de se pardonner mutuellement, de porter les fardeaux les uns des autres et de s’aimer d’un amour sur-naturel, délicat et fécond. Dans les joies de leur amour et de leur vie familiale, il leur donne, dès ici-bas, un avant-goût du festin des noces de l’Agneau. » (1642)

Cette grâce sacramentelle, elle est exprimée magnifiquement et donnée précisément à travers la solennelle bénédiction nuptiale. Certes, dans le mariage, dans la vie conjugale, cette grâce se renouvelle constamment dans le cœur des époux qui s’aiment. Mais la source est plus haute que leur cœur, et c’est dans le Cœur du Christ que cette grâce prend sa source.

A force de dire et de répéter, lors des préparations au mariage, que « ce sont les époux eux-mêmes qui se donnent le sacrement », on a banalisé et désacralisé le sacrement. Les époux nous ont pris au mot et n’ont plus vu la nécessité de venir puiser, dans le sacrement célébré en Eglise, la grâce de leur amour conjugal : « A quoi bon attendre de recevoir à l’église – et de l’Eglise – un cadeau de mariage que l’on peut tout de suite s’offrir et se déballer à la maison ? »… Do it yourself !

Dans le récit fondateur de la Genèse, ce n’est pas l’homme et la femme qui ont l’initiative, mais bien Dieu qui les conduit l’un vers l’autre (Gn 2) et qui les bénit (Gn 1). Ce qui a causé la chute originelle, n’est-ce pas justement cette tentation pour le couple de se mettre à son compte, de s’ériger en seul maître à bord en se coupant de la source de l’amour et en se privant de la grâce divine ?

Significative aussi de cette évolution est la présentation des faire-part de mariage.

Des formules traditionnelles : « Le nouveau foyer sera consacré par le Sacrement du Mariage… Le consentement des époux sera reçu par Mr l’abbé N. qui prononcera la bénédiction », on est passé au simple et profane « Nous nous marions ! »

Pour la grande majorité des couples qui demandent encore un mariage à l’Eglise, la célébration de leur mariage est devenue la ratification festive de leur déjà longue cohabitation, une sorte de show (d’autant plus profane qu’on a boudé la dimension sacrée) où les mariés sont adulés et la place du Christ oubliée, placés qu’ils sont au centre dos à l’autel et non plus « devant l’autel » (comme le précise le rituel). On tient encore au cadre de l’église qui fait plus solennel, même si Mr le maire a soigné l’ambiance dans une salle des mariages toute relookée…

Il est significatif que, pendant des années, dans la liturgie catholique ou ce qu’on en a fait avec les adaptations post-conciliaires, on ait pu dissocier l’échange des consentements de la bénédiction nuptiale renvoyée en fin de célébration comme secondaire. Alors que le mariage chrétien est véritablement un mariage à trois : au don des époux s’ « allie » et se « marie » le don du Christ ; au « oui » des époux fait écho le « oui » de Dieu qui s’engage et fait alliance avec eux.

C’est justement cette nouveauté de l’alliance conjugale vécue dans l’Alliance du Christ, cette eau changée en vin nouveau de l’Evangile, que nous pouvons et nous devons annoncer et célébrer, dans ces mariages qui, pour être trop souvent des régularisations mieux-vaut-tard-que-jamais, n’en sont pas moins des occasions privilégiées d’évangéliser les couples et les familles en renouvelant et en refondant leur amour… sur l’ « essentiel ». Et ils le seront de plus en plus.

A condition que le « célébrant » ne se contente pas d’être un simple « assistant »…

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneEgliseMagistère

Valeur et âge de la confirmation, des pratiques à mettre en question (1/3)

Dossier « Quelle place faut-il donner à la confirmation ? » 1/3 | Auteur de "La Confirmation à sa juste place" (Artège), l’abbé François Dedieu estime qu’il est nécessaire de revenir à la pratique ancienne de conférer ce sacrement avant la première communion. Il détaille ici les raisons et les objectifs de cette pratique, déjà mise en œuvre dans sa paroisse. Entretien avec l’abbé François Dedieu, curé de la paroisse Saint-Urbain-Sainte-Marie (La Garenne-Colombes). 

+

La confirmation à sa juste place
EgliseSpiritualité

Lourdes : se plonger dans l’eau vivifiante

Les piscines de Lourdes, dont l'accès avait été interdit au temps du COVID, vont enfin ré-ouvrir, après que les autorités du sanctuaire en ont profité pour en rénover l'accès et l'utilisation. Voilà qui offre l'occasion d'inviter les pèlerins à entrer dans une riche symbolique qui s'inscrit dans la révélation biblique et le quotidien de la vie chrétienne.

+

lourdes eau