Le 21 mars est fêté saint Benoît, fondateur dont l’équilibre de la règle devait influencer le monachisme occidental. Ce n’est cependant pas à sa vie et à son œuvre monastique que nous souhaitons nous intéresser aujourd’hui mais aux fruits nombreux que porte sa règle pour notre sanctification, la conversion des mœurs et la restauration de la civilisation chrétienne.
Revenons tout de même un instant sur le destin de saint Benoît avant d’aborder plus avant notre sujet.
Né en 480 à Nursie au sein d’une famille noble, il se retira à Subiaco après des études de droit et de lettres afin de se donner tout entier à Dieu par une vie d’ermite qui durera trois ans. Mais sa sainteté, l’exemple de sa quête spirituelle, comme souvent dans l’histoire des saints, attirèrent bientôt quelques jeunes gens désireux de se placer sous la conduite d’un maître pour la croissance de leur vie intérieure.
Après quelques péripéties, Benoît fonda une communauté de moines au mont Cassin dont il devint abbé. La règle qu’il rédigea est destinée à structurer cette vie monacale. « À toi, qui que tu sois, s’adresse à présent ma parole, à toi qui renonces à tes volontés et prends les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance pour combattre au service du Seigneur Christ, le vrai roi. (…) Voilà pourquoi nous allons fonder une école du service du Seigneur. En l’organisant nous espérons n’y rien établir de rigoureux, ni rien de pesant. » expose le saint dans son prologue.
Le succès universel et plus que millénaire de cette règle réside dans son équilibre. Benoît XVI la décrivit au cour d’une catéchèse prononcée le 9 avril 2008 : « Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » ; en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. »
La règle bénédictine inspiratrice de la société politique
La règle de saint Benoît est civilisatrice. La culture jaillit du culte comme aime à le rappeler régulièrement Michel De Jaeghere. Le monachisme bénédictin a pour obligation, de par sa règle, d’accorder du temps à l’étude de l’Écriture Sainte qui est une nourriture spirituelle (chapitre 48) mais aussi de réserver une part substantielle de la journée au travail manuel, non seulement pour offrir la plus grande autonomie au monastère mais afin, surtout, d’éviter aux moines de quitter la clôture.
« De la sorte les moines n’auront pas besoin de se disperser au-dehors, ce qui n’est pas du tout avantageux pour leurs âmes » indique le chapitre 69. L’ordre bénédictin n’est pas un ordre mendiant, aussi ce travail, totalement lié à la prière dans une compréhension profondément chrétienne du labeur, produit de tels fruits que, bientôt, ils débordent et fertilisent de proche en proche la société que les moines avaient pourtant quittée à dessein. L’abbaye de Donezan[1] qui défriche un plateau pyrénéen et érige une abbatiale en est un vivant exemple sous nos yeux.
C’est ainsi que Benoît est le père de l’Europe. Dom Guéranger, fils illustre de l’ordre, dans son année liturgique, rend hommage au saint moine : « c’est lui qui, par ses enfants, nombreux comme les étoiles du ciel et comme les sables de la mer, a enseigné l’agriculture ; détruit l’esclavage ; sauvé enfin le dépôt des lettres et des arts, dans le naufrage qui devait les engloutir sans retour, et laisser la race humaine en proie aux plus désolantes ténèbres. »
Tout simplement parce que les moines mettent dans leur travail manuel et intellectuel, la même humilité, le même détachement, la même application et la même perfection qu’ils mettent dans l’oraison et la vie liturgique. Et l’on voit une fois encore que la liturgie tient tout le reste de nos vies, que c’est elle qui règle la mesure, et qui fixe l’esprit de nos autres activités.
La règle bénédictine nous enseigne que le culte est le grand inspirateur de l’action car, fixant comme priorité la vie surnaturelle, il clarifie, hiérarchise, oriente le reste de nos œuvres afin qu’elles-mêmes contribuent à notre sanctification par l’accomplissement du devoir d’état et la recherche du bien commun. La civilisation qui en jaillit ne se mesure pas par des taux de croissance, des points de PIB mais par des mœurs profondément chrétiennes, des paysages harmonieux, une priorité à l’être, la pratique naturelle des œuvres de miséricorde, l’attention au réel, des liens sociaux organiques… c’est-à-dire la Chrétienté.
La règle bénédictine inspiratrice de la société familiale
Mais si la règle bénédictine a permis à la Chrétienté d’éclore, elle est aussi et plus immédiatement l’inspiratrice à nulle autre pareille d’une règle de vie pour cette cellule de base de la société qu’est la famille ainsi que pour chacun de ses membres. Nulle nécessité d’être oblat pour jouir des bienfaits de ce patrimoine bénédictin, nul besoin d’être moine pour saisir le besoin d’une règle. Règle équilibrée qui aborde tous les aspects de notre vie sociale, bien qu’elle soit destinée d’abord et originellement à la vie du cloître.
Les noms des chapitres de la règle de saint Benoît sont éloquents, picorons presque au hasard quelques thématiques pour aiguiser notre appétit : l’humilité, la manière de corriger les jeunes enfants, les malades, l’accueil, les vieillards, l’oratoire, le travail, la manière d’être vêtu et chaussé, les voyages, l’obéissance mutuelle… L’idée de règle elle-même est nécessaire à nos vies. Ce fut toujours vrai, Décalogue, commandements de l’Église en sont un peu les règles mères, mais toutes les organisations humaines qui nous inspirent ont adopté une règle, un code de conduite ; que l’on songe au code chevaleresque ou à la loi scoute. Dans ce monde et à notre époque à la fois judiciarisés à l’extrême et dont ont disparu mœurs et morale, la réappropriation par les fidèles d’une règle inspiratrice est salvatrice. Les livres de raison de nos ancêtres, sans être des règles formelles, étaient le reflet de cette idée très chrétienne.
Le principe d’une règle de vie personnelle est assez courant, mais une règle familiale est, elle aussi, nécessaire : heure des repas, types de loisirs, services, liturgie domestique, travail, vêtement. La règle bénédictine qui est à l’opposée d’un règlement de discipline générale ou d’un code législatif, est libératrice, elle fixe à chacun un cadre d’épanouissement en fonction de son état de vie, de son devoir d’état. L’inspiration de la règle bénédictine, sans être adoptable en l’état, est et peut avec bénéfice être transposée au cœur du foyer afin que, comme au cloître, « rien ne soit préféré au service de Dieu ». N’avons-nous pas le même et unique objectif que ces moines qui nous fascinent : le Ciel ?
[1] https://abbaye-donezan.fr/
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