Salazar, le Président du Portugal voulu par le Ciel ?

Publié le 27 Nov 2018
Salazar, le Président du Portugal voulu par le Ciel ? L'Homme Nouveau

[Article paru dans notre Hors-Série 26-27 sur Fatima]

Arrivé au gouvernement portugais onze ans après les principales apparitions de Notre Dame à Fatima, António de Oliveira Salazar y apporta sa foi, sa détermination et sa volonté de lutter contre le communisme. Son arrivée ­correspond-elle à la volonté de la Providence sur le Portugal ? En tous les cas, s’il était profondément catholique et attaché à Marie, il bénéficiait aussi du soutien de Sœur Lucie qui se réjouissait de sa présence à la tête de son pays.

Il est 9 h du matin, ce 4 octobre 1910, quand la République est proclamée au Portugal et tire un trait sur plusieurs siècles de monarchie. Le lendemain, un gouvernement provisoire prend place et entend remodeler, non seulement la politique du pays, mais la société tout entière. Très vite, des mesures contre l’Église catholique sont prises, allant de l’expulsion des jésuites à la fermeture des couvents, de l’interdiction de l’enseignement religieux à l’école à la séparation de l’Église et de l’État. La famille n’est pas épargnée avec la légalisation du divorce et l’institution d’un mariage civil. Pour Afonso Costa, le ministre de la Justice et la cheville ouvrière de la séparation, le but consiste bien à éradiquer le catholicisme du pays, ce qu’il prévoit, à partir de 1911, dans un délai de trois ans.

Visiblement, Dieu entendait les choses autrement. En 1915, à Fatima, ont lieu les premières apparitions de l’Ange, suivies de nouvelles manifestations en 1916, puis des différentes apparitions de Notre Dame en 1917. Des foules de plus en plus nombreuses se déplacent sur les lieux pour s’associer aux voyants. 

La politique s’en mêle aussi. Le 8 décembre 1917, en la fête de l’Immaculée Conception, l’ancien ambassadeur du Portugal en Allemagne, le général Sidónio Pais renverse le président Bernardino Machado, dissout les assemblées et établit une République autoritaire. Son but ? Mettre fin aux exactions de la République anticléricale, lutter contre la démagogie d’un gouvernement irresponsable et rétablir les liens avec le peuple.

Retour vers l’Église

Ancien franc-maçon, Sidónio Pais rétablit cependant les relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Il met également en place l’élection présidentielle au suffrage universel et se fait élire par ce biais Président de la République, le 28 avril 1918. Mais, contrairement à ce que beaucoup attendaient, Pais ne remet pas en cause l’engagement du Portugal dans la guerre contre l’Allemagne tout en ne s’occupant pas assez de la situation du Corps expéditionnaire portugais, provoquant un réel mécontentement dans l’armée et le peuple.

Pour l’Église catholique, dont certains évêques avaient été chassés ou menacés, c’est une période pendant laquelle elle reprend son souffle. Elle espère alors retrouver la liberté dont elle a besoin pour s’occuper des âmes. Mais, à peine élu, Sidónio Pais est assassiné le 14 décembre 1918, après avoir entendu la messe pour les marins morts au combat. L’auteur de l’attentat, José Júlio da Costa, affirmera qu’il a tué le Président parce que celui-ci trahissait les idéaux de la révolution de 1910.

Courte parenthèse politique ? Elle fut pourtant décisive. Le successeur de Sidónio Pais est son ministre de la Marine, João do Canto e Castro, de sentiments monarchiques et qui resta en place jusqu’au 5 octobre 1919. Il est remplacé par un libéral, António José de Almeida qui, bien que républicain, s’était opposé à la politique d’Afonso Costa, ancien ministre de la Justice, grande figure anticléricale de la révolution portugaise.

Le Ralliement au Portugal

C’est dans ce contexte religieux et politique que le pape Benoît XV adresse, en date du 18 décembre 1919, la Lettre Celeberrima, au cardinal Mendes Bello, patriarche de Lisbonne. Le pape entend fixer la ligne de conduite des catholiques du pays dans les affaires politiques. S’appuyant explicitement sur le Ralliement à la République voulu pour la France par Léon XIII dans l’encyclique Au milieu des sollicitudes, le Souverain Pontife leur ordonne d’obéir « en toute bonne foi au pouvoir civil tel qu’il est actuellement constitué ». Il précise même : « Ils accepteront sans répugnance, en vue du bien commun de la religion et de la patrie, les charges publiques qui leur seront confiées. » Visiblement, Benoît XV n’agit pas sans garanties politiques puisqu’il déclare également avoir reçu des assurances sur la liberté de l’Église. 

Malgré cet appel pontifical, le Portugal connaît alors une crise politique importante, liée à une instabilité gouvernementale grandissante (23 ministères se succèdent entre 1920 et 1926) sur fond d’activisme anarchiste et d’attentats à la bombe. Au sein de l’armée, le mécontentement gagne et plusieurs soulèvements ont lieu. Celui du 28 mai 1926 est, pour sa part, un succès. Au terme d’une succession d’épisodes ­politico-militaires, le général Gomes da Costa assume, à partir du 17 juin 1926 les rôles de chef de l’État et de chef du gouvernement. Mais ne parvenant pas à son tour à assurer la stabilité, il est renversé et remplacé par António Óscar de Fragoso Carmona.

Salazar, ministre des Finances

Élu Président de la République le 25 mars 1928, en la fête de l’Annonciation, celui-ci fait appel le 18 avril suivant à un jeune professeur d’Économie de l’Université de Coïmbra, António de Oliveira Salazar. Même s’il est doté d’un tempérament silencieux et méditatif, l’homme n’est pas un inconnu. Ses articles consacrés à l’économie sont célèbres, lus et appréciés. Son engagement au sein du catholicisme n’est un mystère pour personne. Dans la période instable qui a précédé l’arrivée au pouvoir du général Carmona, le gouvernement a déjà fait appel aux services du professeur Salazar pour s’occuper du ministère des Finances. Il y est resté quatre jours, avant de repartir chez lui, certain que l’instabilité politique ne lui permettrait pas de remplir efficacement son rôle. Quand il est rappelé, il indique au Président de la République que le budget de l’État sera à l’équilibre au bout d’un an alors que les experts de la Société des Nations en prévoient trois.

A-t-il accepté d’emblée de rempiler au gouvernement ? Non, il a demandé un jour pour réfléchir. Selon Louis Mégevand, auteur du livre Le vrai Salazar (1), il a passé une nuit en prière devant le tabernacle avant de servir la messe dite à son intention. Il demande aussi conseil à son ami, l’abbé Manuel Gonçalves Cerejeira, bientôt évêque et futur cardinal de Lisbonne, avec lequel il partage un appartement. Son acceptation va être décisive pour l’avenir du Portugal. Peu à peu, son influence dépasse largement le cadre étroit de son ministère. Il faut dire que dans cette mission, il a réussi. En un an, il parvient à l’équilibre budgétaire et à la stabilisation de la monnaie. En 1932, il est nommé chef du gouvernement, tout en continuant à être ministre des Finances, mais en y adjoignant aussi les ministères de la Défense et des colonies. Il prépare alors une nouvelle constitution pour le Portugal. Soumise aux électeurs, le 19 mars 1933, elle en recueille 719 364 voix en sa faveur contre 5 955 non, sur un total de 1 214 159 inscrits. Il y a eu malgré tout un nombre assez important d’abstentions.

L’Estado Novo, régime corporatiste 

Le régime qui en découle prend le nom d’Estado Novo (l’État nouveau) dont le Président de la République reste le général Carmona et le chef du gouvernement, António de Oliveira Salazar. Il s’agit fondamentalement d’un régime présidentiel dont le chef de l’État est élu au suffrage universel pour sept ans. Deux assemblées sont mises en place : l’Assemblée nationale, dont les députés sont élus pour quatre ans au suffrage universel, et une chambre corporative. 

République unitaire et corporative, ne se reconnaissant comme limites « que la morale et le droit », l’Estado Novo pourrait être considéré comme proche de la Ve République, au moins dans les débuts de celle-ci. Outre les différences propres à chaque nation et celles découlant de leur Histoire interne, les principes fondamentaux sur lesquels repose chacun de ces régimes les différencient radicalement. Pour la Ve République, il s’agit selon son préambule de la déclaration des droits de l’homme de 1789. Rien de tel dans l’Estado Novo. Salazar donne une idée de son esprit dans un discours du 26 mai 1934 : « Il faut éloigner de nous la tendance à la formation de ce qu’on pourrait appeler l’État totalitaire, qui subornerait tout sans exception à l’idée de nation ou de race par lui représentée, en morale, en droit, en politique et en économie, se présenterait comme un être omnipotent, principe et fin de lui-même, auquel devraient être assujetties toutes les manifestations individuelles et collectives, et pourrait donner naissance à un absolutisme pire que celui auquel les régimes libéraux avaient succédé. Un État pareil serait essentiellement païen, incompatible par sa nature avec le génie de notre civilisation chrétienne. » (2)

Les adversaires du régime critiqueront cependant fortement l’absence de partis politiques – une autre caractéristique de l’Estado Novo – et l’existence d’un parti unique « L’Union nationale » (União Nacional) fondée en 1930 pour soutenir le régime, même si l’« Union » ne se définit pas comme tel. De la même façon, l’existence d’une police politique, PVDE, devenue en 1945 le PIDE, contribue à renforcer l’idée d’un pouvoir discrétionnaire. 

Salazar et Fatima

Salazar restera à la tête de l’État jusqu’en 1968, année où il tombe dans le coma. Il décédera deux ans plus tard, le 27 juillet 1970. Le régime qu’il avait fondé succombera à son tour, en 1974, à l’issue de la « Révolution des œillets ». Salazar avait assuré au Portugal une stabilité sans précédent, pendant près de quarante ans. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Portugal n’a pas été engagé officiellement dans le conflit. En 1946, lors du couronnement solennel de la statue de Notre-Dame de Fatima, la couronne est offerte par les femmes portugaises en témoignage de reconnaissance pour la paix maintenue. Ami de Salazar, le cardinal Manuel Gonçalves Cerejeira bénéficiera pour sa part de l’un des cardinalats les plus longs de l’Histoire (47 ans et 229 jours), marquant profondément l’Église du Portugal.

Cette double stabilité – impressionnante – est-elle le fruit du hasard ? Y a-t-il un lien entre Salazar et Fatima ? Catholique engagé, ancien congrégationiste de Marie, Salazar avait œuvré, avant son entrée au gouvernement, pour la prise en compte des demandes de Benoît XV en vue de laisser de côté la question institutionnelle afin de défendre les intérêts de l’Église. Les évènements qui se déroulèrent à Fatima ne pouvaient le laisser indifférent. 

Le 12 mai 1929, en compagnie du Président de la République et de plusieurs membres du gouvernement, il se rendit en pèlerinage officiel à Fatima. De son côté, le cardinal Cerejeira proclama, le 13 mai 1931, l’acte de consécration du Portugal au Cœur immaculé de Marie, en présence du nonce apostolique et des évêques du pays. Alors que le pays, dans un contexte de pressions internationales croissantes, s’apprête à voter aux législatives, Sœur Lucie écrit à Mgr da Silva : « Le bon Dieu veut que Nos Seigneurs les évêques, pendant le peu de jours qui nous restent avant les élections, parlent au peuple, par l’entremise du clergé et de la presse, pour dire que Salazar est la personne qu’Il a choisie pour continuer à gouverner notre patrie, que c’est à lui que seront accordées la lumière et la grâce pour conduire notre peuple par les chemins de la paix et de la prospérité. » (3)

Un an après, c’est autour du cardinal Cerejeira d’établir le lien entre Fatima et Salazar dans une lettre privée qu’il adresse au Président du Conseil : « Tu lui (miracle de Fatima) es attaché : tu étais dans la pensée de Dieu au moment où la Très Sainte Vierge préparait notre salut. Et tu ne connais pas encore tout… II y a des victimes choisies par Dieu qui prient pour toi et accumulent des mérites en ta faveur. » (4) 

Toujours en 1946, la Vierge de Fatima arrive en procession à Lisbonne. Le 8 décembre, Salazar, le Président de la République ainsi que l’épiscopat du pays assistent à un Te Deum d’action de grâce en l’honneur de Notre Dame. À cette occasion, le cardinal Cerejeira remercie pour le « miracle portugais de ce dernier quart de siècle ».

Salazar pensait-il de même ? Difficile à savoir avec un chef de gouvernement toujours sur la retenue, méfiant envers toute exaltation de sa personne. En juin 1952, il reçoit la visite de Douglas Hyde. ­Celui-ci n’est pas un journaliste comme les autres. Communiste anglais convaincu, ardent défenseur de l’athéisme, il s’est mis à douter de la pertinence du marxisme à la lecture de G.K. Chesterton et de son ami Hilaire Belloc. La grâce aidant, il s’est converti et s’est transformé en un apôtre de Fatima. La question lui tient à cœur et il la pose au Président Salazar : « La renaissance spirituelle du Portugal ne serait-elle pas liée à Fatima ? ». À cette question, l’homme politique répond : « C’est l’opinion générale ici, tous pensent ainsi et moi je suis de ce nombre, mais nous ne devons pas pour cela nous enorgueillir. » (5)

Particulièrement lié à la conversion de la Russie, le message de Fatima ne pouvait non plus laisser indifférent Salazar sur ce plan-là puisqu’il était à la tête d’un État engagé directement contre le communisme et particulièrement visé par ce dernier. À un journaliste américain, il aurait répondu en 1946 à propos de l’URSS : « D’après ce que nous savons des affaires intérieures de Russie, une révolution y paraît improbable pour le moment. Mais il y a une espérance de paix, c’est que la Providence fasse en Russie ce qu’elle a fait ici, au Portugal. »

À plusieurs reprises, Sœur Lucie manifesta dans sa correspondance privée son attachement à la personne et à l’œuvre politique du Président Salazar. Il n’est pas toujours évident de discerner ce qui relève d’une appréciation toute personnelle d’un regard influencé par le Ciel. 

Un pays en deuil

Après l’entrée en coma de Salazar, elle écrivit ainsi : « Nous sommes comme une grande famille qui pleure l’absence du père, car monsieur le Président Salazar fut non seulement un grand chef de gouvernement, mais aussi un père pour tous, qui chercha toujours le bien de tous, quoique beaucoup ne l’aient pas su, ou n’aient pas voulu le comprendre. » (6)

Paradoxalement, les adversaires de Fatima et/ou de Salazar lièrent toujours les deux. Le théologien portugais Bento Domingues ira jusqu’à écrire que l’anticommunisme prêché à Fatima constitue « une justification primaire du salazarisme ». (7) Une manière bien primaire elle aussi d’attaquer Fatima, sans regard surnaturel, ni vrai souci de la vérité historique…    

1. Louis Mégevand, Le vrai Salazar, p. 190, NEL, 220 p., 13,50 e.

2. Oliveira Salazar, Une Révolution dans la paix, Flammarion, 1937, p. 214.

3. Frère François de Marie des Anges, Fatima, salut du monde, p. 219, CRC, 368 p., 19 e.

4. Salazar et Fatima : entre politique et religion, Moisés Martins et Luís Cunha, in La Fabrique des héros, p. 142, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1999, 322 p., 21 e.

5. Fatima, salut du monde, p. 221.

6. Ibid., p. 222

7. Cf. Salazar et Fatima : entre politique et religion, Moisés Martins et Luís Cunha, p. 142.

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