Solennité de la Mère de Dieu

Publié le 20 Jan 2016
Solennité de la Mère de Dieu L'Homme Nouveau

Depuis 1969, le 1er janvier est consacré explicitement à la Mère de Dieu. Mais c’était déjà le cas bien auparavant, surtout à l’office choral. Des grandes controverses christologiques aux Ve et VIe siècles, sont nées les admirables antiennes : O admirabile commercium, magnum et mirabile mysterium, qui montrent le lien entre l’expression liturgique et la formulation dogmatique. Il est très heureux que l’année nouvelle commence par la commémoration de la maternité divine, car, comme l’enseigne saint Paul, c’est « à la plénitude des temps que Dieu envoya son Fils, né d’une femme » (Ga 4, 4). Saint Paul, comme saint Jean, mentionne Marie sous le nom de « Femme ». Ce choix désigne la Nouvelle Ève associée au Nouvel Adam dans l’œuvre par excellence qu’est la Rédemption. C’est donc tout cela que le 1er janvier commémore.

Un Enfant Roi

Mais qu’est-ce que la plénitude des temps ? On remarquera d’emblée que l’heure de Dieu n’est pas celle des hommes. Le Pape le constate d’abord au niveau politique, en ne retenant pourtant que l’aspect négatif de la puissance romaine. Ce point de vue est juste et réel, mais il ne faudrait pas oublier non plus que, selon Psichari et bien d’autres, « les légions romaines marchaient pour le Christ ». La paix romaine, la facilité des communications sur une mer commune non encore coupée par le sabre de l’islam, l’immense Empire sans frontières et surtout l’unité de langue (le grec) permirent certainement une expansion rapide du christianisme sur tout l’Empire romain. Il n’en reste pas moins vrai qu’humainement parlant ce n’était pas la plénitude des temps, même au niveau de l’attente messianique. Si le Christ était de fait très attendu, Il ne l’était que comme roi vainqueur, comme nouveau David, mais certainement pas comme un enfant (infans en latin : celui qui ne parle pas) et encore moins comme un enfant né dans une mangeoire ! Le jour même de l’Ascension, les Apôtres demandaient encore au Christ : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où vous restaurerez la royauté en Israël » ? (Ac 1, 6) La raison en est toute simple et le Pape la souligne très bien : « Ce n’est pas l’histoire qui décide de la naissance du Christ, c’est plutôt sa venue dans le monde qui permet à l’histoire d’atteindre sa plénitude ». En effet, la plénitude des temps est la présence personnelle de Dieu dans l’Histoire humaine, la venue visible de la gloire de Dieu dans une localité précise. Et cette rencontre personnelle de Dieu et de l’humanité est vraiment la caractéristique du christianisme. Elle a d’ailleurs imprimé sa marque sur le temps lui-même comme le souligne fort bien le langage : avant J.-C. et après J.-C.

Reste un problème crucial. Pourquoi la venue de Dieu parmi nous à la plénitude des temps n’a-t-elle pas entraîné une ère de paix et de transformation radicale du monde ? Au contraire, comme le dit le Pape, « le mystère de la plénitude des temps contraste avec la dramatique expérience historique ». C’était vrai du temps de Jésus, c’est encore plus vrai de notre temps apostat, soumis aux trois concupiscences dont parlait saint Jean. La raison se trouve dans la liberté de l’homme qui est appelé à donner une réponse d’amour mais qu’il peut refuser. Mais qu’il sache que n’est rien perdu, surtout s’il consent à se plonger dans « l’océan de la Miséricorde divine ». À travers le oui de Marie prononcé à la plénitude des temps, le monde reçoit une occasion inespérée pour sortir du gouffre dans lequel son orgueil l’a plongé. Qu’il sache profiter de cette planche de salut qu’est l’Année de la Miséricorde.

L’homélie du Pape :

Nous avons entendu les paroles de l’apôtre Paul : « Lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme » (Ga 4, 4).

Que signifie le fait que Jésus naisse à « la plénitude des temps» ? Si notre regard se dirige vers le moment historique, nous pouvons vite rester déçus. Rome dominait sur une grande partie du monde connu par sa puissance militaire. L’empereur Auguste était arrivé au pouvoir après avoir combattu cinq guerres civiles. Même Israël avait été conquis par l’empereur romain et le peuple élu était privé de liberté. Pour les contemporains de Jésus, par conséquent, ce n’était certainement pas le temps le meilleur. Ce n’est donc pas vers la sphère géopolitique que l’on doit regarder pour définir le sommet du temps.

À partir de Dieu

Une autre interprétation est alors nécessaire, qui comprenne la plénitude à partir de Dieu. Lorsque Dieu établit que le moment d’accomplir la promesse faite est arrivé, alors pour l’humanité se réalise la plénitude des temps. Donc, ce n’est pas l’histoire qui décide de la naissance du Christ ; c’est, plutôt, sa venue dans le monde qui permet à l’histoire d’atteindre sa plénitude. C’est pour cela qu’à partir de la naissance du Fils de Dieu, commence le calcul d’une nouvelle ère, celle qui voit l’accomplissement de l’antique promesse. Comme écrit l’auteur de la Lettre aux Hébreux : « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes chose et par qui il a créé les mondes. [Il est le] rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, et porte l’univers par sa parole puissante » (1, 1-3). La plénitude des temps, donc, est la présence de Dieu personnellement dans notre histoire. Maintenant, nous pouvons voir sa gloire qui resplendit dans la pauvreté d’une étable, et être encouragés et soutenus par son Verbe qui s’est fait “petit” dans un enfant. Grâce à Lui, notre temps peut trouver sa plénitude. Notre temps personnel aussi trouvera sa plénitude dans la rencontre avec Jésus-Christ, Dieu fait homme.

Cependant, ce mystère semble contraster avec la dramatique expérience historique. Chaque jour, tandis que nous voudrions être soutenus par des signes de la présence de Dieu, nous devons rencontrer des signes opposés, négatifs, qui le font plutôt sentir comme absent. La plénitude des temps semble s’effriter devant les multiples formes d’injustice et de violence qui blessent chaque jour l’humanité. Parfois nous nous demandons : comment est-il possible que perdure le mépris de l’homme par l’homme ?, que l’arrogance du plus fort continue à humilier le plus faible, le reléguant aux marges les plus sordides de notre monde ? Jusqu’à quand la méchanceté humaine sèmera sur la terre violence et haine, provoquant d’innocentes victimes ? Comment ce peut être le temps de la plénitude, ce que nous donnent à voir des multitudes d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient la guerre, la faim, la persécution, disposés à risquer leur vie pour voir respectés leurs droits fondamentaux ? Un fleuve de misère, alimenté par le péché, semble contredire la plénitude des temps réalisée par le Christ. Rappelez-vous, chers pueri cantores, c’était la troisième question que vous m’avez posée hier : comment cela s’explique… Les enfants aussi se rendent compte de cela.

Un océan de miséricorde

Pourtant, ce fleuve en crue ne peut rien contre l’océan de miséricorde qui inonde notre monde. Nous sommes tous appelés à nous immerger dans cet océan, à nous laisser régénérer, pour vaincre l’indifférence qui empêche la solidarité, et sortir de la fausse neutralité qui empêche le partage. La grâce du Christ, qui porte l’attente du salut à son accomplissement, nous pousse à devenir ses coopérateurs dans la construction d’un monde plus juste et fraternel, où chaque personne et chaque créature puisse vivre en paix, dans l’harmonie de la création originaire de Dieu.

Au début d’une nouvelle année, l’Église nous fait contempler la maternité divine de Marie comme icône de paix. L’antique promesse s’accomplit en sa personne. Elle a cru aux paroles de l’Ange, elle a conçu le Fils, elle est devenue Mère du Seigneur. À travers elle, à travers son “oui”, est arrivée la plénitude des temps. L’Évangile que nous avons entendu dit que la Vierge « retenait tous ces évènements et les méditait dans son cœur » (Lc 2, 19). Elle se présente à nous comme un vase toujours rempli de la mémoire de Jésus, Siège de la Sagesse, où puiser pour avoir l’interprétation cohérente de son enseignement. Aujourd’hui, elle nous offre la possibilité de saisir le sens des événements qui nous touchent personnellement, qui touchent nos familles, nos pays et le monde entier. Là où ne peut arriver la raison des philosophes ni les négociations de la politique, là peut arriver la force de la foi qui porte la grâce de l’Évangile du Christ, et qui peut toujours ouvrir de nouvelles voies à la raison et aux négociations.

Bienheureuse es-tu, Marie, parce que tu as donné au monde le Fils de Dieu ; mais encore plus heureuse es-tu pour avoir cru en Lui. Pleine de foi, tu as conçu Jésus d’abord dans ton cœur et puis dans ton sein, pour devenir Mère de tous les croyants (cf. Augustin, Sermon 215, 4). Mère, étends sur nous ta bénédiction en ce jour qui t’est consacré ; montre-nous le visage de ton Fils Jésus, qui donne au monde entier miséricorde et paix.

Amen.

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