L’actualité politique des premiers mois de l’année 2017 sera marquée en France par l’élection présidentielle à laquelle François Hollande ne participera pas. La triste expérience des dernières années nous donne matière à réfléchir sur les qualités requises pour exercer une fonction politique.
L’actuel locataire de l’Élysée avait fait de la normalité un argument de campagne, prétendant modifier la pratique présidentielle de son prédécesseur, ce qui n’a pas franchement sauté aux yeux des Français. La normalité consistait, par exemple, à prendre le TGV comme tout le monde. Elle suggérait surtout de ne pas faire de l’Élysée le théâtre médiatique de scènes de ménage et de crises de jalousie. De ce point de vue, le quinquennat de François Hollande a pourtant atteint des sommets. Le Président a réussi l’exploit de nous offrir le spectacle d’une vie affective supposée « normale » à notre époque (le changement c’est tout le temps), à travers le parcours exemplaire d’un homme de la « France d’en haut » additionnant des compagnes emblématiques : une actrice succédant à une journaliste, prenant elle-même la suite d’une femme politique… que l’on retrouve pourtant ministre sous la présidence de son ancien compagnon ! Mais, nous a-t-on dit en guise d’excuses, le Président de la République est un homme comme tout le monde. Les Français d’aujourd’hui doivent comprendre les déboires sentimentaux de leur président, faire preuve de compassion et de sympathie. Dans un entretien qu’il faut relire, Patrick Buisson soulignait que « l’erreur profonde de nos dirigeants est de croire que la proximité et non la grandeur est source de popularité » (L’Homme Nouveau n° 1627, du 3 décembre 2016). Si être normal signifie être comme tout le monde, rien ne distingue le titulaire de la magistrature suprême du commun des citoyens, c’est-à-dire du vulgus, qui glisse rapidement vers le vulgaire, le médiocre. On dit souvent que les peuples ont les gouvernants qu’ils méritent. Certes, mais cela ne signifie pas que les peuples s’en réjouissent. Après l’annonce de son retrait de la prochaine élection, l’actuel président a enfin pu bénéficier d’un sondage positif, puisque 94 % des Français, soulagés, ont approuvé son choix !
Une affaire sacrée et élevée
La médiocrité suscite la dérision et l’autorité n’en sort jamais fortifiée. Comment honorer un gouvernant qui n’honore pas lui-même sa fonction par un comportement adéquat ? Au premier siècle de notre ère, Plutarque affirmait que « toute magistrature est une affaire sacrée et élevée, et elle doit être honorée par le magistrat lui-même » (Conseils aux politiques pour bien gouverner, Rivages poche, 2007, p. 11). Animé du même sens de l’autorité, Bossuet avertissait son royal élève : « À la grandeur conviennent les choses grandes (…). Les pensées vulgaires déshonorent la majesté. (…) Le prince est par sa charge, entre tous les hommes, le plus au-dessus des petits intérêts, le plus intéressé au bien public » (Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, Livre V, IIe proposition).
En un sens, les évènements contemporains sont un gage d’espérance. Ne mésestimons pas l’attrait qu’exerce sur la population la pratique des vertus dans l’exercice de la politique, qu’il s’agisse de la bonne tenue personnelle, bien sûr, mais aussi des vertus politiques. Si Néron ne fit pas bon usage de la sage leçon de Sénèque, elle reste d’actualité pour nous : « Tu trouves pesant qu’on enlève aux rois le libre pouvoir de parler (sous-entendu de parler sans contrôle de choses insignifiantes voire malsaines) que possèdent les plus humbles. “C’est là, dis-tu, servitude, non souveraineté”. Quoi ? Ne fais-tu pas l’expérience que c’est pour toi une noble servitude ? Autre est la condition de ceux qui sont cachés au sein d’une masse qu’ils ne dépassent pas, dont les vertus luttent longtemps pour se manifester et dont les vices sont couverts de ténèbres : Vos actions et vos paroles, la rumeur les recueille » (De clementia, Livre I, VIII-1).
Nos candidats peuvent aussi écouter les conseils de Plutarque, qui fait écho à la « noble servitude » évoquée par Sénèque : « Les petits travers paraissent grands quand on les voit dans la vie des souverains et des politiques, à cause de cette opinion que le grand nombre se fait du pouvoir et de la politique comme d’une grande affaire qui doit être pure de toute extravagance et de toute dissonance » (Plutarque, op. cit., p. 34).
Et ce n’est pas DSK qui contredira Juvénal : « Plus haut placé est le coupable, plus éclatant, à la moindre défaillance, le scandale » (Satires, VIII).
L’homme représente la charge
Corruptio optimi pessima ! N’étant pas servie par l’élévation morale espérée chez celui qui l’exerce, la fonction publique perd alors sa légitimité auprès de ceux qui lui sont soumis. La politique n’est pas un simple jeu mécanique d’institutions désincarnées. « Ce n’est pas seulement la charge qui représente l’homme, mais aussi l’homme qui représente la charge » disait l’homme politique grec Épaminondas au IVe siècle avant notre ère (cité par Plutarque, op. cit., p. 87). Une nouvelle fois, on voit l’abîme qui sépare, d’un côté, la sagesse antique et le christianisme appuyés sur les vertus morales et, de l’autre, nos temps actuels. Le pire aujourd’hui n’est pas dans les actes eux-mêmes mais dans leur justification, faisant passer les faiblesses des gouvernants pour des progrès, à quelques exceptions près.
À l’époque médiévale, il existait une littérature politique destinée à la formation des gouvernants que l’on désignait sous le nom de « Miroirs des princes ». Ces ouvrages instruisaient les gouvernants sur la pratique des vertus, théologales et morales, jugée tout aussi importante que la connaissance du fonctionnement des institutions. Nous devons nous inspirer de cette littérature et des exemples des bons gouvernants de notre Histoire que l’on peut transposer à notre époque, meilleur moyen de préparer la relève. « Cher fils, disait saint Louis à son fils, s’il advient que tu deviennes roi, prends soin d’avoir les qualités qui appartiennent aux rois ». De bonnes institutions ne protègent pas à elles seules l’autorité si son ministre n’est pas à la hauteur de la tâche. Gardons-nous d’omettre cette vérité dans le combat politique.