L’histoire – vraie, faut-il le préciser ? – a lieu dans la file d’attente des cabines d’essayage d’une boutique de vêtements. Un jeune garçon, probablement de 15 ou 16 ans, attend comme tout le monde, à côté de sa « copine » qu’il a bien voulu accompagner. Cet univers féminin, ces chiffons et ces froufrous ne l’amusent pas et ça se voit mais il est là, seul représentant de la gent masculine. Une des cabines se libère, en sort une jeune fille de 12 ans, visiblement ravie de ses trouvailles, fort court vêtue, outrageusement maquillée et montée sur plusieurs centimètres de talon. Et le mâle de grommeler, dans un langage tout a fait poétique : « Ben tu m’étonnes qu’avec des gueules de pouffiasses pareilles, ça se fasse violer à 12 ans ». Voilà qui est dit.
Il ne le sait sans doute pas, mais ce jeune homme a les mêmes préoccupations que Roselyne Bachelot, ministre de la Santé.
Celle-ci a commandé un rapport sur l’hyper-sexualisation des petites filles, mené par la sénatrice Chantal Jouanno et rendu public le 27 février 2012. Le problème n’est pas nouveau, mais il avait été mis sous les projecteurs en décembre 2010 alors que le magazine Vogue
venait de publier des publicités mettant en scène des petites filles habillées, coiffées, maquillées comme des adultes et posant dans des poses suggestives. Alors qu’on se souciait surtout de déshabiller les musulmanes trop couvertes, en l’occurrence, carrément recouvertes, il a fallu songer à rhabiller femmes et enfants qui faisaient le bonheur de l’industrie publicitaire… et pornographique.
Une pétition « contre l’érotisation d’images d’enfants dans toutes les formes de publicité » fut organisée, toujours disponible sur www.petitionpublique.fr et qui disait avec raison :
« À l’heure où s’empilent les textes et les rapports sur les comportements des mineurs, il serait temps d’ouvrir un débat réel sur le mode d’éducation de masse implicite que représente la publicité et sur la façon dont nous abreuvons nos enfants d’injonctions contradictoires : il leur est demandé de consommer, mais aussi de se retenir, de régir les achats de leurs parents tout en leur obéissant et, aux petites filles, d’être «
sexy » avant dix ans, mais de se méfier des adultes qui pourraient y être sensibles… Derrière ce que rapporte à certains cette surexploitation de l’enfant, n’y a-t-il pas, pour la société, un prix caché que nous refusons de voir? ».
L’affaire Vogue
fit scandale, elle n’était que la conséquence d’un changement en profondeur de la société occidentale où les enfants de 7 ans peuvent participer aux concours de Minis-Miss, portent des soutiens-gorge rembourrés, se maquillent et s’habillent comme leur grande sœur… voire comme leur mère. Entre l’enfance et l’adolescence, quand le corps n’est plus celui d’un enfant mais pas encore celui d’une jeune fille, la tranche d’âge des 6-12 ans était la grande oubliée jusqu’à ce que le marché sans empare. Et tant pis pour les retombées psychologiques. Entre refus de l’enfance, projection des parents sur leurs enfants et mimétisme des petites filles vis-à-vis des femmes, entre les enjeux économiques mais aussi moraux, les causes sont multiples qui expliquent ce phénomène. Les conséquences, elles aussi, apparaissent de plus en plus clairement depuis que médecins, psychiatres et autres sociologues ont relevé les séquelles profondes entraînées par ce décalage orchestré entre l’apparence des petites filles et leur développement psychologique et social. Car celui-ci continue de prendre du temps, quoique les filles soient pubères de plus en plus tôt. Comme si l’esprit avait du mal à suivre le corps dans sa course effrénée.
Les petites filles sont implicitement invitées, à travers la mode qui les sollicite sans cesse, à faire comme les « grandes », lesquelles sont toujours des femmes fatales, objets de désir sexuel. Dans nos petites têtes blondes, l’équation est bien simple. Être une femme, c’est séduire. C’est plaire aux hommes.
Évidemment, les cathos, réacs, et autres méchantes bestioles n’ont pas été les seuls à s’insurger. Il y en a même eu pour aboyer. Les chiennes de garde, célèbre mouvement féministe, dénoncent avec leur virulence habituelle la « putanisation » des petites filles, qu’elles jugent discriminante. Et pour cause… Sans tomber dans cette logique de lutte homme/femme et l’habituelle schéma de victimisation qui justifie toutes ces revendications, il faut bien dire que ces petites filles, gourmandises sexuelles pour pervers polymorphe ou pour jeune garçon chez qui le désir sexuel commence à se développer, ne partent pas gagnantes. Difficile de tracer sa route comme sujet, personne responsable, quand on est vu comme un objet de consommation, un atout publicitaire pour mieux vendre une marque de voiture ou une gamme d’aspirateur, ou, pire encore, comme un objet sexuel.
Parce qu’évidemment, les scandales toujours plus nombreux de pédophilie rendent plus problématique encore cette érotisation précoce…
Alors ? À quand une réglementation de l’industrie pornographique ? À quand des réglementations imposées sur l’utilisation des enfants pour la publicité ? À quand une véritable éducation à la féminité ?