L’Agence américaine des médicaments entendait le 26 février dernier un comité consultatif d’experts américains au sujet d’une nouvelle technique de procréation médicalement assistée (PMA) combinant l’ADN de trois personnes différentes afin de créer des embryons exempts de tout défaut mitochondrial responsable de maladies héréditaires incurables. Les experts se sont montrés prudents mais les réserves qu’ils ont exprimées n’ont pas fait faiblir la détermination de nombreux chercheurs américains déterminés à mener ces recherches à terme. En Grande-Bretagne, une consultation nationale a été lancée par le gouvernement, qui devrait aboutir à un projet de loi d’ici 2015.
D’un ovule à l’autre
La technique est complexe, l’idée relativement simple à résumer : elle consiste à extraire de l’ovule de la mère la mitochondrie (partie de la cellule qui lui fournit son énergie) défectueuse pour la remplacer par une mitochondrie prélevée sur les cellules d’une femme qui n’est pas porteuse de maladie mitochondriale. L’ovule ainsi obtenu est fécondé in vitro puis implanté dans l’utérus de la mère afin que la grossesse puisse se poursuivre normalement. Quoique l’ADN soit principalement contenu dans le noyau de l’œuf, il est présent également dans la mitochondrie. Aussi, une fois l’œuf recomposé fécondé par les gamètes du père, un embryon est formé, porteur de trois ADN différents.
Le procédé a été inventé par le professeur Shoukhrat Mitalipov, chercheur de l’Université de l’Oregon (États-Unis) et testé avec succès sur des singes. Le professeur a ainsi réussi à faire naître cinq singes, pour l’instant en bonne santé, porteurs de trois ADN différents. La communauté scientifique obtiendra-t-elle l’autorisation de faire des essais cliniques sur des humains ? Elle estime en tout cas que la technique pourrait être mise au point et appliquée aux humains d’ici deux ou trois ans.
Eugénisme?
Eugénisme ? Les scientifiques qui planchent sur ce procédé s’en défendent et estiment que la FIV à trois parents n’a rien de condamnable puisqu’elle permet d’éviter des maladies graves. D’eugénisme, donc, ils ne veulent pas entendre parler, pas plus que de « bébé sur mesure ». Il s’agit néanmoins bel et bien d’un eugénisme thérapeutique, d’une « fabrique » d’embryon, d’une réalité que les meilleures intentions du monde ne peuvent effacer.
Fort heureusement, la trouvaille du professeur Shoukhrat Mitalipov ne fait pas l’unanimité et le projet de loi britannique inquiète jusque dans la communauté scientifique : « S’il est adopté, ce sera la première fois qu’un gouvernement légalise la modification du génome humain héréditaire, une procédure encore interdite dans tous les autres pays européens (…). Les techniques sont contraires à l’éthique médicale, car leur seul avantage sur le don d’ovules standard et sûr est que la mère est génétiquement liée à son enfant. Cela ne peut justifier les risques inconnus pour l’enfant ou les conséquences sociales résultant de la modification du génome humain », explique le Dr David King, directeur du groupe Human Genetics Alert.
Enjeux éthiques
Quelles seront les conséquences sur les enfants, sur les plans aussi bien physique que psychologique ? Quelles seront les conséquences sur la famille ? Peut-on imaginer qu’un jour, des couples d’homme fassent fusionner le noyau de l’ovule fourni par la mère porteuse et la mitochondrie du premier homme, que l’œuf ainsi obtenu soit fécondé par les gamètes du second homme… et qu’ainsi deux hommes puissent revendiquer une paternité biologique ?
Nul ne peut le prévoir et la fécondation in vitro (FIV) à trois parents est problématique indépendamment de ses éventuelles conséquences physiques, psychologiques et sociales. Elle pose en tant que telle un problème éthique grave et témoigne une fois de plus que les corps des uns sont devenus les produits de consommation des autres. Entreprise prométhéenne de recréation de l’homme qui, en voulant faire de l’enfant un être parfait, le fait finalement passer d’un don de Dieu accueilli par les parents à une salade d’ADN préparée dans le fond d’une éprouvette.